Constatant l’insuffisante prise en charge des migrants à Calais, Médecins du monde a installé
Géographiquement, c’est une zone côtière du Nord-Pas-de-Calais, sur les bords de la Manche. Mais rien de ces 40 hectares qui font face à la Grande-Bretagne ne ressemble à l’Hexagone. Dans la jungle de Calais, les migrants affluent depuis des mois. Selon Médecins du Monde, ils étaient 3 000, en juin, à vivre dans cette lande sablonneuse. Pour soutenir des acteurs locaux débordés et « secourir ces hommes, ces femmes et ces enfants », l’association a déployé une clinique mobile au cœur de cette « ancienne décharge sauvage ». Et lancé un appel à ses adhérents, début juin, pour venir assurer la prise en charge médicale des exilés.
2 500 consultations assurées par 88 bénévoles
En fait, tout comme elle a récemment monté des actions en urgence au Népal ou en République Centrafricaine, Médecins du Monde a donc monté une véritable mission humanitaire à Calais. « Tout d’un coup, ce n’était pas à l’autre bout du monde, ce n’était pas dans un pays en guerre, c’était la France, à
1 h 30 de là où je vis et où on me dit qu’il y a une catastrophe », raconte le Dr Mady Denantes. Interpellée par cet appel à l’aide, cette généraliste parisienne a chamboulé ses vacances « pour aller voir (…), sinon on a l’impression de fermer les yeux ». Et assurer, pendant quinze jours, des consultations dans la jungle. Comme elle, « des médecins et infirmiers anglais, belges, français ont répondu à l’appel », note Martine Devries (photo ci-contre), coresponsable de la mission. Depuis le démarrage, au début de l’été, 88 bénévoles se sont succédé, effectuant pas loin de 2 500 consultations.
Tous les matins, bénévoles locaux et renforts venus pour l’été se retrouvent dans le local de l’association à neuf heures. « Il y a un débriefing entre les différents intervenants, notamment les médiateurs », explique le
Dr Bernard Esnault (photo ci-dessous), généraliste de Tourcoing venu la dernière semaine de juillet. Et revenu, en août, pour une nouvelle semaine auprès des équipes de Médecins du monde. Chargée de médicaments et documents relatifs aux prises en charge médicales, une camionnette de l’association quitte le centre ville de Calais. À 7 kilomètres de là, au bout d’un chemin de terre, « le camp des migrants est retranché derrière deux clôtures grillagées surmontées de barbelés », décrit Bernard Esnault.?« à 10 heures, quand on arrive, il y a déjà une file d’une dizaine de personnes », ajoute-il. Une file qui ne tarira pas au cours de la journée.
Une clinique « de brousse »
Au milieu des dunes et des épineux, dans une sorte de clairière, la clinique de Médecins du monde. « C’est une clinique de brousse », rappelle Martine Devries, autrement dit « plusieurs tentes dans le bidonville ». Ce sont, plus précisément, deux tentes et trois petits chalets en bois. Accueillis, écoutés et enregistrés sous les premières, « les patients sont ensuite orientés selon les soins dont ils ont besoin », détaille la généraliste retraitée. Un chalet pour les soins infirmiers, les deux autres sont occupés par autant de médecins. On y trouve « un tensiomètre, un thermomètre et la bonne volonté des bénévoles », résume-t-elle, pointant l’impossibilité de mener tout examen complémentaire sur place. Des conditions d’exercice rudimentaires que Mady Denantes résume ainsi : « une cabane sans porte avec un rideau pour s’isoler et un canapé d’examen qui manque de s’écrouler à chaque consultation ».
Des gens hébétés et en état de choc
Mains lacérées par les barbelés, fractures du talon suite à des chutes de grande hauteur, lésions de gale, les motifs de consultations témoignent des parcours des migrants. « Médicalement, ce que nous avons vu dans ce bidonville est inacceptable », juge Mady Denantes. « On a affaire à des gens qui sont hébétés, sous le choc – ils sont toujours dans l’horreur –, qui ne parlent pas français et qui veulent passer en Grande Bretagne », ajoute-elle. Peu importe qu’il y ait désormais « des lames de rasoirs sur les barbelés en haut des grilles, explique-t-elle, ils en ont vu d’autres et ce n’est pas à Calais qu’ils vont s’arrêter. C’est terrible de voir ces jeunes prêts à tout ». Bernard Esnault abonde en ce sens : « les migrants, qui ont traversé à leurs risques et périls, la Libye – avec ses bandes de rançonneurs et une “police” coupable de mauvais traitements –, puis la Méditerranée en canot pneumatique souvent, puis l’Italie et la France du sud au nord, sont déterminés à passer coûte que coûte ».
Mady Denantes se souvient d’une jeune femme, érythréenne, « avec une énorme cicatrice sous l’oreille gauche ». « Au départ, elle était venue pour autre chose mais je lui ai demandé ce qui s’était passé, poursuit le médecin, c’était il y a 4 mois, en Libye, un coup de hache, m’a-t-elle répondu… » Voyageant seule, la patiente a évoqué une agression physique, souffrant, depuis, de vomissements et troubles de l’audition.
« On travaille toute la journée, de 10 heures à 18 heures, avec une pause, le midi, sur place, pour ne pas perdre de temps », explique Bernard Esnault, estimant à 25, en moyenne, le nombre de consultations effectuées quotidiennement par chacun des deux médecins présents.
Loin de son rythme habituel de travail, Mady Denantes « a essayé de voir le plus de monde possible », reconnaissant avoir été « très débordée ». « La majorité des gens a entre 20 et 25 ans », estime-t-elle, mais il y a aussi « des mineurs isolés, (…), des enfants, des jeunes femmes, des jeunes hommes, des hommes plus âgés ». Leur maigreur l’a particulièrement marquée, « la majorité des gens avaient un IMC à 19, quelques-uns à 18 ». « Une autre chose importante, c’est leur tension, ajoute-elle, beaucoup de jeunes hommes ont une tension artérielle à 10 ». Des niveaux anormalement bas qui brouillent les repères de diagnostic. Pas sûr que le passage des migrants à Calais améliorera leur état général. Chaque jour, moyennant une attente longue de plusieurs heures, un repas unique leur est distribué dans un centre d’hébergement situé à côté du bidonville. Mais ceux qui souhaitent également être soignés privilégient, bien souvent, la queue devant la clinique.
Parfois, il suffit de peu de chose pour qu’un patient aille mieux. En pleurs, « un homme d’une trentaine d’années, arrivé à bout de forces au chalet » a marqué Bernard Esnault. « Il n’avait pas son traitement, explique le généraliste, et une heure après lui avoir donné de la Ventoline, il avait le sourire. » « Ce genre de situations n’est pas normal », tranche-t-il, indigné de constater qu’un tel traitement, somme toute basique, puisse encore manquer à certains.
« Une enclave de misère »
En plus des symptômes liés aux errances jusqu’à Calais, se sont développées des affections liées aux conditions de vie dans le camp. « C’est une enclave de misère », renchérit Bernard Esnault qui a retrouvé, dans la « jungle », une situation comparable à celle qu’il avait rencontrée, autrefois, au Népal. Très peu de points d’eau, des toilettes récemment installées par une association. Une épidémie de gale sévit actuellement dans le bidonville. « Les petits avaient des gales surinfectées », révèle Mady Denantes, et ce notamment parce qu’« il n’y a pas de possibilité de se laver les mains. C’est comme dans les livres d’histoire. » Il y a aussi beaucoup de « viroses, des gens avec des maux de gorge, qui toussent » et à qui « il est difficile d’expliquer qu’il faut attendre ».
Prévue pour durer jusqu’en septembre, la mission initiée par Médecins du monde se prolonge et devrait, vraisemblablement, être maintenue quelques mois encore. « L’association est en train d’étudier la possibilité de poursuivre l’opération jusqu’à la fin de l’année car les pouvoirs publics n’ont pas pris le relais », décrypte Martine Devries. Rentrée à Paris, Mady Denantes s’interroge sur le rôle des autorités sanitaires. « On était dans un autre pays où aucune règle n’existe », pointe-elle par opposition aux nombreux protocoles de prise en charge actuellement en vigueur. « La loi française n’est pas respectée, il n’y a pas de protection maternelle et infantile ni de protection des femmes, renchérit Martine Devries, on est en dessous de tous les standards. »