C’est l’équation la plus dérangeante de cette rentrée. Pour la première fois, un sondage BVA met en évidence le lien entre burn out du médecin traitant et exigence de la patientèle. Selon l’association « Paroles de professionnels » à l’origine de l’enquête, les praticiens qui redoutent la pression quotidienne de leur salle d’attente sont plus nombreux qu’on ne le dit. Résultats, analyse et ébauches de solutions pour garder la main.
Si de retour des vacances, vous vous êtes traîné au cabinet la boule au ventre ou si vous avez été tétanisé à l’idée de retrouver vos patients, n’ayez crainte, vous n’êtes pas le seul ! La relation médecin-malade serait même une des deux principales causes de burn out (juste derrière la surcharge de travail) pour les praticiens si l’on se réfère à un récent sondage BVA mené auprès de 120 médecins généralistes de Champagne-Ardenne. Selon cette enquête, réalisée par l’association « Paroles de Professionnels » en collaboration avec le laboratoire GSK, si la charge de travail reste la principale cause d’épuisement professionnel (citée par 46 % des médecins interrogés), les difficultés de relation aux patients sont presque autant citées (43 %) devant les contraintes administratives (31 %) et la gestion du cabinet (15 %) (voir notre infographie).
« Jusqu’à aujourd’hui on était dans un déni. S’il est vrai que les conditions de travail influent sur le bien-être du médecin, le cœur du métier de généraliste, l’écoute, est aussi quelque fois mal vécu par le praticien », pointe le Dr Antoine Demonceaux, généraliste à Reims et psychanalyste, qui a participé à l’étude. Pour lui, on est face à un phénomène relativement nouveau: « Depuis que j’ai commencé à travailler il y a trente ans, la prise en charge a évolué. On est passé de consultations pour des motifs médicaux à des patients consultant aujourd’hui pour des problèmes sociaux, psychologiques... Peut-être parce que le monde du travail ainsi que celui de la famille manquent d’écoute », suggère-t-il.
Généraliste toujours, assistante sociale parfois...
Parmi les stress générés par les patients, presque deux médecins sur dix (18 %) sondés, évoquent le profil de patients « consommateurs » de soins, à l’origine de demandes parfois « abusives ». D’autres mettent en avant le dérangement occasionné par les appels qu’ils reçoivent pendant les consultations (7 %) ou souffrent d’un manque de reconnaissance ou de confiance (4 et1 %).
Autre grande cause d’épuisement identifié par les généralistes: les patients nécessitant un soutien psychologique (9 % des citations), au point que certains praticiens sondés (3 %) se vivent dans certaines situations comme des assistantes sociales. Besoin d’être rassurés, suivis de près, manque d’autonomie… Dans certains cas, il semblerait que les prérogatives des généralistes dépassent, et de loin, celles de thérapeute. « Soit on fait face à des patients très investis ou avec un niveau d’attente très élevé, comme les anxieux ou les hypocondriaques, soit on est confronté à des patients experts qui se renseignent beaucoup sur leur pathologie et mettent le médecin en porte-à-faux, soit on retrouve des patients qui ne consultent pas mais qui devraient le faire. Dans les trois cas, le médecin est sous pression. En particulier, dans le dernier cas, l’inquiétude du suivi est doublée d’une pression supplémentaire d’être évalué par la caisse d’Assurance Maladie », analyse le Dr Antoine Demonceaux.
Devenus incollables sur leur pathologie, les « nouveaux patients » seraient-ils donc aussi de plus en plus exigeants vis-à-vis de leur médecin traitant ? Peut-être bien que oui, au point que les généralistes craignent désormais d’être mis en défaut par certains d’entre eux. Environ un tiers (33 %) des généralistes interrogés admet en effet avoir été remis en cause, au moins de temps en temps, par un des leurs malades. Et 14 % disent l’avoir été lors de la semaine qui précédait l’enquête, le plus souvent sur des éléments aussi fondamentaux que leurs connaissances d’une pathologie donnée sur telle ou telle avancée thérapeutique ou même sur un traitement prescrit.
Des patients de plus en plus impatients
Des situations qui n’étonnent guère à l’heure d’Internet, mais qui peuvent être déstabilisantes et sources d’angoisses pour les blouses blanches, même si les généralistes interrogés relativisent : ces situations de remise en cause ne concernent en moyenne qu’un faible pourcentage de patients (5 %). L’accès aux sites web expliquerait, au moins en partie, la nouvelle attitude des patients. Les médecins en sont convaincus : la vulgarisation des informations à caractère médical est citée par plus de la moitié (54 %) des praticiens ayant eu le sentiment d’avoir été remis en cause. Antoine Demonceaux fait la part des choses : « Les médecins ne doivent pas se tromper. Les patients continuent de leur faire confiance. Mais, en même temps, ils nourrissent beaucoup d’attentes qui sont souvent ressenties par les professionnels de santé comme autant d’obligations de résultat. Pas formé à un environnement psycho-social – anxiété et dépression sont enseignées en termes de traitement mais pas en termes de discours –, cela engendre une souffrance chez plus d’un tiers des médecins, ce qui est énorme », explique-t-il.
En parallèle, une série d’entretiens ouverts menés en Champagne-Ardenne, auprès d’une trentaine de patients confirme d’ailleurs le fait que les malades d’aujourd’hui sont de plus en plus exigeants. Et, paradoxalement, selon les auteurs de l’étude, depuis la réforme du médecin traitant. Leur constat est double : les patients seraient à la recherche de plus d’écoute et le médecin traitant, premier relais dans l’organisation des soins, ne serait plus totalement « sacralisé ». « Les patients portent un regard plutôt positif sur leur médecin traitant tout en en attendant beaucoup », affirme le Dr Demonceaux.
À quoi ressemble un malade stressant?
Qui sont donc ces patients difficiles ? L’enquête de BVA en dessine les contours. S’il est difficile de généraliser, on peut tout de même esquisser des profils type. à en croire les confrères champenois sondés, les patients « burn outants », sont d’abord les insatisfaits (40 % des citations) : un profil qui englobe le client exigeant jusqu’à l’insatisfait chronique jamais content (voir infographie), en passant par celui qui négocie tout ou qui arrive avec plusieurs motifs de consultations. Deuxième grosse catégorie : les anxieux, dépressifs ou hypocondriaques (22?%). Sans oublier les personnalités chronophages (16 %), ceux qui parlent trop ou qui questionnent beaucoup ou les récalcitrants (12 %) qui n’écoutent personne, sauf bien entendu eux-mêmes. On citera enfin, mais dans une moindre mesure, les méfiants, les retardataires et les hystériques!
Il y a les malades intrinsèquement épuisants... et les motifs d’irritation de Monsieur Toutlemonde. Quand on demande aux généralistes quel est le principal motif d’insatisfaction de leurs patients, 54 % citent en premier le temps passé en salle d’attente, loin devant le sentiment qu’on ne leur dit pas tout (16 %) ou le contenu de l’ordonnance (13 %). D’autres motifs d’insatisfaction ressortent de l’enquête dont la durée des consultations, la qualité des explications prodiguées, ainsi que la capacité d’écoute... Griefs réels ou supposés par le praticien ? En tout cas, on peut penser que le simple fait qu’ils soient présents dans l’esprit des médecins est là encore une source de stress supplémentaire... Pour apprendre au patient à canaliser sa demande, les auteurs de l’enquête proposent des solutions très pratiques : « Les médecins pourraient mettre à leur disposition en salle d’attente des fiches pour préparer les consultations. Les patients y mentionneraient deux ou trois priorités », suggère Antoine Demonceaux, qui conseille aussi à ses confrères de ne pas hésiter à reporter sur une consultation ultérieure un problème qui ne peut pas être réglé dans l’immédiat. Chaque chose en son temps..