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Dossier

Octobre rose

Cancer du sein : prendre la maladie de court

Par Nicolas Evrard et Bénédicte Gatin - Publié le 11/10/2019
Cancer du sein : prendre la maladie de court

Seins
BURGER/PHANIE

Dépistage ciblé, ADN tumoral circulant, intelligence artificielle… Les outils de pilotage se multiplient pour agir le plus possible en amont de la maladie cancéreuse, quel que soit le stade de prise en charge : tumeur précoce ou en phase métastatique. Avec, dans le cas extrême, la mastectomie prophylactique chez les femmes à risque élevé de cancer.

Vers un dépistage « intelligent » ?

« On peut améliorer notre programme de dépistage ! » Alors que le dépistage du cancer du sein peine à s’imposer en France, plusieurs évolutions pourraient changer la donne, comme l’a expliqué le Dr Brigitte Seradour (Marseille), en amont des journées de la Société française de sénologie et de pathologie mammaire.

Sur le plan technique, les attentes concernent surtout la tomosynthèse, qui reconstitue de manière tridimensionnelle l’image du sein à partir de clichés acquis sous différents angles. Par rapport à la mammo classique, plusieurs études lui attribuent une meilleure spécificité (d’où une réduction des faux positifs) et un gain en termes de détection de lésions invasives, notamment en cas de seins denses. Actuellement en France, plus de 500 machines sont disponibles mais l’on attend toujours la mise en place d’un protocole national de contrôle qualité et la publication de recommandations de la HAS qui précisent sa place dans le cadre du dépistage.

Moins d’irradiation grâce à l’IA Autre bémol : couplant clichés 2D et coupes 3D, la tomosynthèse est environ deux fois plus irradiante que la mammo classique. Pour contourner le problème, plusieurs constructeurs ont développé des systèmes (en cours de validation) qui reconstruisent virtuellement, grâce à l’intelligence artificielle (IA), une image synthétique 2D à partir de la 3D. L’IA pourrait aussi contribuer à réduire l’irradiation des mammographies en permettant d’adapter, au plus strict pour chaque patiente, les doses délivrées en fonction de la mesure automatique de leur densité mammaire.

Enfin, des algorithmes basés sur les réseaux neuronaux” ont été développés depuis cinq ans pour l’aide à la lecture des clichés. Entraînés à partir de larges bases de mammographie, ces logiciels ont montré pour certains qu’ils arrivent à repérer les lésions suspectes avec un taux de faux positif limité. Ces résultats prometteurs obtenus sur des séries rétrospectives demandent encore à être validés dans des conditions de dépistage réelles. S’il n’est pas question de se passer de l’œil humain, ce type d’IA pourrait par contre permettre un jour de s’affranchir de la seconde lecture.

Au-delà de l’imagerie, l’idée d’un dépistage non radiologique, basé par exemple sur l’ADN tumoral circulant, fait aussi son chemin mais reste pour le moment du domaine de la recherche (voire ci-dessous).

En marge des progrès techniques, l’amélioration du dépistage pourrait aussi passer par un meilleur ciblage des patientes à risque. C’est tout le propos de l’étude MyPeBS lancée fin 2018. Cet essai européen comparera chez près de 20 000 femmes âgées de 40 à 70 ans le dépistage standard actuel à une stratégie personnalisée selon le risque individuel évalué sur des critères cliniques (antécédents familiaux de cancer, âge, poids, statut hormonal ou encore densité mammaire) et génétiques. Si les résultats sont probants, cela pourrait conduire à adapter la fréquence des mammographies selon le niveau de risque. Avec à la clef un bénéfice espéré en matière de surdiagnostic et de surtraitement.

Reste que les conclusions de ce travail ne devraient pas être disponibles avant 8 ans. Or, « d’ici là, la technique et la science auront encore avancé et l’on disposera peut-être de marqueurs à même de prédire l’agressivité tumorale », espère le Dr Séradour.

Si l’ADN tumoral circulant devenait un outil de suivi

Les progrès de la biologie moléculaire et de la génétique permettent de mieux cibler la prise en charge des cancers. Pour le sein, les recherches réalisées sur l’ADN tumoral circulant ont pour principal objectif de mieux analyser l’évolution de la maladie, dans le but d'agir le plus tôt possible et d’adapter les traitements. Une chose est sûre : il est compliqué d’identifier de manière spécifique l’ADN tumoral, « car dans la circulation sanguine, on trouve de l’ADN libre provenant de cellules normales, surtout celles qui se régénèrent souvent (comme les cellules hématopoïétiques). D’un point de vue technique, cela nécessite d’avoir à disposition des méthodes très sensibles, permettant d’identifier de très petits fragments d’ADN, d’environ 200 paires de bases », explique le Pr Jean-Yves Pierga, chef du département d’oncologie médicale à l’Institut Curie (Paris), intervenu aux 22es Journées de sénologie interactive de l’hôpital Saint-Louis (26-27 septembre 2019).

Détecter le plus tôt possible Dans le cancer du sein, en pratique, on utilise aujourd’hui largement le marqueur tumoral CA 15/3 dans le suivi de traitement, principalement dans des situations métastatiques. Dans cet objectif, l’ADN tumoral circulant pourrait à l’avenir s’avérer un outil pertinent. Ainsi a-t-il été montré qu'on le détecte davantage en phase métastatique qu’en cas de tumeur précoce. D’autres études ont démontré sa valeur pronostique, sa détection dans le sang étant péjorative. En situation métastatique, la recherche de cet ADN permet de suivre l’efficacité des traitements. Un des premiers articles l’ayant mis en évidence date de 2013 (Carlos Caldas, NEJM). Différents travaux ont aussi montré que la recherche d’ADN tumoral circulant aurait un intérêt pour détecter une maladie résiduelle, c’est-à-dire avant qu’apparaissent des métastases. Même si des études complémentaires sont indispensables, des arguments se multiplient sur son futur usage dans le monitoring des patientes.

Au final, la détection de cet ADN pourrait être un marqueur déterminant pour suivre l’évolution de la maladie, bien en amont de l’apparition d’adénopathies, par exemple. Dans le cancer du sein, pour que la recherche de l’ADN tumoral circulant entre dans la pratique courante, « il reste à prouver qu’un traitement mis en place rapidement en cas de détection de cet ADN permet de guérir les patientes… Mais encore faut-il avoir les médicaments efficaces », explique le Dr Marc Espié qui a présidé ces Journées de sénologie. Enfin, ne pourrait-on utiliser cet ADN tumoral à des fins de dépistage ? « En effet, à terme l’objectif serait de pouvoir dépister une tumeur mammaire avant ses premiers symptômes. Mais on n’y est pas encore ! », conclut le Dr Espié.

La mastectomie prophylactique pour abaisser les risques

Cette intervention radicale s’adresse aux femmes qui pour des raisons génétiques ont un risque élevé de développer un cancer du sein. « Son indication dépend surtout de la présence des gènes mutés BRCA1 ou BRCA 2, mais aussi d’autres mutations génétiques impliquées en particulier dans la réparation de l’ADN. Parfois, on ne retrouve pas de gène muté et la mastectomie prophylactique peut être proposée, prenant en compte l’histoire familiale ou personnelle particulièrement significative », détaille le Pr Marc Chaouat, chirurgien plastique à l’hôpital Saint-Louis (Paris). Cette chirurgie est proposée en prenant en compte les avis de la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), de la consultation de génétique évaluant le risque de développer un cancer, et surtout de la patiente. L’intervention correspond à « une proposition plus qu’à une prescription », souligne le Pr Chaouat. On laisse généralement un délai de réflexion de 3 à 6 mois à la patiente avant l’opération.

La chirurgie prophylactique a prouvé son efficacité. En cas de mutation de BRCA1, par exemple, on passe d’un risque cumulé d’environ 65 % à un risque résiduel de 1 à 5 % selon les séries et surtout selon le type de mastectomie. Trois grands types d’intervention sont possibles : mastectomie radicale ; opération conservant l’étui cutané mais avec ablation de la plaque aréolo-mamelonnaire ; ou mastectomie sous-cutanée préservant l’étui cutané et la plaque aréolo-mamelonnaire. Leurs indications dépendent du souhait de la patiente, mais aussi du volume du sein ou de son degré de ptose, du choix de la reconstruction, de l’aspect du sein controlatéral, etc. Le risque résiduel dépend d’éventuels fragments glandulaires laissés en place, comme dans le cas où la plaque aréolo-mamelonnaire est maintenue. La solution la plus conservatrice avec un meilleur pronostic esthétique présente en revanche un léger surrisque de voir se développer une tumeur.

La femme au cœur de la décision La reconstruction mammaire se faisant généralement dans le même temps que la mastectomie, la patiente doit là encore choisir entre différentes solutions : prothèse mammaire, expandeur tissulaire suivi d’une prothèse, lambeaux pédiculés ou libres, lipofilling seul ou associé aux autres techniques. « Il arrive que la technique soit choisie d’emblée par la patiente elle-même, sur ce qu’elle souhaite ou ne veut pas », précise le Pr Chaouat. Mais la solution dépend aussi de la technique de mastectomie choisie, de la corpulence de la femme, de la largeur de son thorax, etc.

Au final, du fait de ses spécificités, cette intervention suscite chez la femme, mais aussi l’équipe soignante, certaines interrogations. Car on opère a priori celles qui n’ont pas de cancer. L’intervention préventive est individuelle, et pourtant « statistique » vis-à-vis de la réduction des risques, et avec au final des séquelles esthétiques.

Au fur et à mesure des progrès de la génétique, des débats émergent. Quel seuil de risque retenir ? Quel est le niveau d’acceptabilité ?

Dr Nicolas Evrard et Bénédicte Gatin

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