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Dossier bilan 2017

Comment les patients ont tout chamboulé

Par Camille Roux et Nicolas Evrard - Publié le 15/12/2017
Comment les patients ont tout chamboulé

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GARO/PHANIE

Ces derniers mois, les patients ont donné de la voix pour défendre leurs intérêts. L’affaire du Levothyrox en a été l’illustration la plus marquante. S'agit-il d’une véritable prise de pouvoir ou d’une exposition éphémère ? Le Généraliste a demandé à des usagers, mais aussi à des experts, médecins, juristes, politique et sociologue dans quelle mesure 2017 aura été une année charnière pour la démocratie sanitaire.

Démocratie sanitaire, lanceurs d’alerte, actions de groupe, décision partagée… Ce jargon nouveau autour du patient n’a jamais autant résonné. 2017 aura été riche en alertes sanitaires largement relayées par les médias : Levothyrox, violences obstétricales, Dépakine, œufs contaminés, antivax, etc. Les mouvements collectifs d'usagers se sont succédé. Cette visibilité médiatique reflète-t-elle pour autant une réelle prise de pouvoir du patient ? Les avis sont partagés. Le Dr Olivier Véran, neurologue au CHU de Grenoble, député de l’Isère et rapporteur du PLFSS à l’Assemblée, confirme ce changement sociétal : « Le patient est un acteur à part entière, avec lequel il faut compter et qui pèse fortement dans les choix des politiques publiques en matière de santé », affirme-t-il.

Patients experts

Dans les faits, les patients ont défendu leur cause à bras-le-corps. L'affaire du Levothyrox en est le parfait exemple. Des malades se sont fait entendre jusque dans les plus hautes institutions grâce en partie aux réseaux sociaux. C’est le cas de Muriel Londres, alias @MissLondres, particulièrement présente sur Twitter au moment de l’affaire. « Cela m’a épuisée, confie-t-elle. En plus de mes problèmes thyroïdiens, tous ces événements ont été difficiles à vivre. » Souffrant de la maladie d’Hashimoto, cette patiente experte, très active au sein de l’association Vivre sans thyroïde, a été reçue avec d’autres représentants de patients par Agnès Buzyn, en septembre dernier. « Au final, à coups de pétitions et autres actions médiatisées, le ministère de la Santé nous a écoutés, et réagi en mettant en place un groupe de travail avec différents acteurs dont des patients. Un bémol toutefois, nous n’avons pas obtenu le retour pérenne de l’ancienne formule », détaille Muriel Londres.

Pour cette patiente experte, plusieurs leçons peuvent être tirées de l'affaire du Levothyrox. La dysthyroïdie ne fait pas l’objet d’un accompagnement, ni d’éducation thérapeutique comme pour le diabète. Pourtant, en France, plus de trois millions de personnes prennent de la lévothyroxine. « Le patient aura toujours besoin du soignant, mais cette relation doit évoluer, avec un objectif d’accompagnement, surtout pour certains patients qui sont de véritables “experts” de leur maladie, explique Muriel Londres. Certains malades chroniques en savent parfois plus que les médecins. » De son côté, le Dr Véran approuve cette importance de l’accès à l’information des patients. Pour aller plus loin dans la démocratie sanitaire, il faut selon lui « éduquer les Français au regard de leur santé ». « L’asymétrie de la relation entre soignant et soigné s’estompe progressivement, ajoute-t-il. Tout est une question d’information et de confiance. »
L’expertise de Muriel Londres a été remarquée. À côté de son activité professionnelle, elle donne quelques cours à la faculté de médecine de Bobigny dans le programme sur l’implication des patients dans l’enseignement de la médecine générale. à la HAS, elle participe à un groupe de travail sur les règles de bonne pratique liées aux applis santé. 

Des malades mieux informés

De plus en plus de patients intègrent les instances décisionnaires. Giovanna Marsico est l’une d’elles. Très active sur les réseaux sociaux, elle a su partager et profiter de ses compétences juridiques. Cette avocate italienne a cotoyé notre système de santé dès son arrivée en France. « Enceinte, on a diagnostiqué chez mon fils une malformation cardiaque. J’ai vite perçu une déficience d’information. J’ai regretté qu’on ne me laisse pas plus d’autonomie, et de devoir suivre “aveuglément” les propositions des soignants ». Elle se met naturellement au service d'associations de patients. Elle est sollicitée pour développer un “Pôle citoyen” à Villejuif, sous l’égide de l’Institut Gustave Roussy et avec les collectivités territoriales. Son rôle, faire le lien entre les attentes de la population, la recherche et les soins proposés par l’Institut, le développement de nouvelles technologies et les programmes de santé portés par les collectivités. Elle a également lancé Cancéradom, un projet de recherche en design social sur les attentes et besoins générés par le virage ambulatoire, financé sous appel à projet par la Direction générale de la santé (DGS).

Il y a un an et demi, elle a rejoint le ministère pour la mise en œuvre du service public d’information en santé, prévu dans la loi Touraine. Giovanna Marsico pilote le développement de sante.fr, un portail web de confiance qui propose à chaque citoyen « de l’information de référence, accessible et actionnable ». Selon l'avocate, il reste encore du chemin à parcourir pour que le patient occupe la place qui lui incombe. « Il faut améliorer l’information des professionnels de santé envers les patients, sans doute en les formant mieux. Le généraliste doit renforcer sa mission d’accompagnement et d’information des citoyens pour les aider à faire des choix éclairés. Cela permettra – entre autres – de diminuer les conflits médecin-patient. »

Usagers sous-représentés ?

Pour ces patientes expertes, si ces prises de parole ont permis une certaine ouverture des institutions, les malades sont encore loin d’avoir la place qu’ils méritent. Ils ne sont encore pas « suffisamment impliqués dans la démocratie sanitaire, regrette Muriel Londres. Dans de nombreuses conférences, ils sont sous-représentés, voire absents. Dans le domaine de la e-santé, la place est surtout occupée par les experts du sujet – mais pas par les patients. » Ce constat, Eve Bureau-Point, docteure en anthropologie sociale à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et auteure de plusieurs revues sur la démocratie sanitaire, le partage : « Dans ce “systématisme” où il faut impliquer le patient un peu partout et à tous les niveaux, ce sont souvent ceux qui ne dérangent pas trop qui sont choisis. À partir du moment où il ne va pas dans le sens de l’institution biomédicale, le patient est moins écouté. » Pour la chercheuse, les malades ont surtout fait bouger les lignes dans les années 90, dans le contexte du VIH, à une époque où ils étaient « activistes et militants ».

« Aujourd’hui, les représentants des usagers au sein des institutions ne sont pas forcément contestataires. Les contestations ne fonctionnent que lorsque l’action est spontanée, avec des lanceurs d’alerte très engagés », analyse l’anthropologue. L’avocate Me Hélène Nativi-Rousseau, spécialisée dans la défense des patients, estime même que les associations n’ont pas plus de pouvoir qu’avant. « La loi Kouchner de 2002 et la création de commissions régionales d’indemnisation a beaucoup joué, explique-t-elle. Elles ont entraîné un tarissement des dossiers judiciaires et on en a moins entendu parler. En intégrant ces commissions, les associations ne sont pas mieux entendues. »

Une prise de pouvoir ponctuelle ?

Pour l’avocate parisienne, « il faut distinguer médiatisation et réalité de certains malades. Si vous êtes victime d’une infection nosocomiale ou d’une opération manquée, vous êtes seul. » L’action collective serait même parfois illusoire, selon certains. Le Dr Patrick Dubreil, généraliste et président du Syndicat de la médecine générale, nous confiait lors de son congrès la semaine dernière : « Le Levothyrox est une affaire ponctuelle. Comme il n’y a pas de véritable politique de santé publique, on va de scandale sanitaire en scandale sanitaire. Les patients ont raison de se mobiliser, mais j’ai l’impression que c’est un peu Don Quichotte qui se bat contre les moulins à vent. »

Le Dr Olivier Véran est plus optimiste. Il souligne les avancées réglementaires en faveur de la démocratie sanitaire observées ces dernières années : « La loi évolue assez vite, elle a notamment intégré la capacité de refus d’un traitement ou la reconnaissance de l’acharnement thérapeutique. » Il en est de même pour le droit à l'oubli pour les personnes guéries d'un cancer. Plus connectés, mieux informés, les malades lanceurs d’alerte entraînent-ils pour autant un climat de défiance entre soignants et soignés ? Non, affirme le neurologue. « Les Français ont confiance en leur médecin. Les personnes maîtrisent mieux leur maladie et sont très renseignées, c’est une bonne chose. » Le parlementaire reconnaît cependant que des progrès restent à faire : « Il faut aller plus loin dans la démocratie sanitaire en rendant le patient plus décideur, voire décisionnaire. » 

Camille Roux et Dr Nicolas Evrard