Proposé depuis plusieurs années aux externes, un cours de langue des signes française (LSF) a été ouvert cette année au département de médecine générale pour les internes. Objectif : mieux entrer en contact et recevoir les patients sourds dans leur future patientèle.
Au 3e étage de la faculté de médecine Jacques-Lisfranc, dans une des salles de classe du département de médecine générale, huit internes s’exercent à signer en attendant l’arrivée de leur professeure, qui s’est égarée. Un léger retard presque salutaire pour leur permettre de réviser le vocabulaire appris le mois dernier. Depuis cette année, le DMG de Saint-Étienne propose aux internes des cours d’initiation à la langue des signes française (LSF).
Une unité d’enseignement (UE) d’apprentissage de la langue des signes existait déjà depuis sept ans pour les 5e année. De novembre à avril, 25 étudiants suivent chaque année 25 heures de cours. Mais les internes, eux aussi, voulaient avoir l’opportunité de se former à la LSF. Le DMG a donc lancé ce cours optionnel pour les 6e, 7e et 8e années. Pendant leurs trois ans d’internat, 14 internes au maximum par promo pourront s’initier à la LSF, à raison d’un cours d’1h30 par mois.
Ce mercredi, ce sont des internes en fin de cursus qui sont présents. Le cours étant à ses débuts au sein du DMG, ils ne pourront bénéficier que de quelques heures, contrairement aux nouveaux internes qui continueront sur toute la durée de leur DES. Malgré tout, les étudiants présents sont motivés par la perspective. « Je n’avais pas pu suivre le cours optionnel à la fac et cela m’intéressait. Je trouve ça enrichissant, que ce soit pour sa vie professionnelle ou personnelle, de pouvoir au moins connaître le vocabulaire de base. C’est plus inclusif pour la patientèle », confie Manon.
L’UE pour les externes ou ce cours pour les internes ont été mis en place à l’initiative du Dr Hervé Bonnefond, généraliste stéphanois, professeur du DMG et précurseur dans la Loire sur l’accueil des personnes sourdes en cabinet. Lui, qui s’est formé au début des années 2000 à la LSF, a tenté une première fois en 2009 de créer une unité d’accueil et de soins pour les sourds (UASS) à l’hôpital de Saint-Etienne mais avait alors essuyé un refus. Il a donc décidé de créer cette consultation en libéral. Depuis, sa patientèle a grossi. « J’ai à peu près 300 patients sourds », explique-t-il. Et en 2018, avec une psychologue de l’hôpital, il réussit finalement à mettre sur pied dans l’établissement une UASS, dans laquelle travaillent aujourd’hui dix professionnels.
Des cours dispensés par des personnes sourdes
Le Dr Bonnefond est donc évidemment convaincu de l’intérêt pour les futurs généralistes de se former à cette langue, reconnue comme telle en 2005. « L’objectif est de leur donner les bases de communication s’ils sont amenés à rencontrer un patient sourd : entrer en contact, savoir quelle maladie ils ont, les antécédents, les traitements, utiliser le dessin, les images, souligne-t-il. Ce sont des patients qui ont une littératie en santé faible car ils n’ont pas accès à l’information comme nous. »
Même s’il est partie prenante dans l’existence de cet enseignement au sein du DMG, le Dr Bonnefond laisse la main à des professeurs sourds. Tout se passe donc en LSF, ce qui permet de mettre immédiatement les internes dans le bain. « Je trouve ça bien que ce soit une personne sourde qui nous fasse le cours », estime Marie, qui considère cet enseignement comme « une ouverture pour sa pratique ».
Ce mercredi, c’est Manon Messina, professeure universitaire de LSF, qui vient de Lyon pour donner le cours. Lors des trois premiers, les jeunes médecins ont appris à se présenter, l’alphabet et les chiffres. Les premières minutes sont donc consacrées à la révision de ce qui a été enseigné la fois précédente. Une piqûre de rappel nécessaire. « Malheureusement, les contraintes de l’internat ne nous permettent pas d’avoir une autre régularité et, sur un mois, on oublie », confirme le Dr Bonnefond. Dans l’heure qui suit, la petite dizaine d’internes va apprendre à signer les saisons, les mois de l’année, l’heure ou encore les couleurs.
À la fin de l’heure et demie, chaque interne se filme avec son téléphone portable en train de reproduire les gestes appris. Car, en peu de temps, beaucoup de nouvelles notions ont été introduites et déjà, à la fin du cours, se remémorer l’intégralité demande un effort.
Évidemment, tout passe par les gestes, les mains. Manon Messina utilise également quelques supports visuels, des illustrations essentiellement, pour expliciter aux étudiants les mots qu’elle est en train de leur enseigner. L’apprentissage est facilité par le fait que la LSF est une langue très visuelle, chaque mot étant associé à une « image ». Cette association d’idées et de gestes rendant le tout plus facile à mémoriser. Ce mercredi, les jeunes généralistes apprendront donc que pour signer le mois de juin, il faut se souvenir de la goutte qui coule le long du cou pendant les grandes chaleurs. Pour le mois de janvier, il faut se toucher une joue puis l’autre, à l’image des bises de début d’année.
Un suivi sur trois ans
La répétition est l’alliée des apprentis signeurs. La professeure les fait donc pratiquer à plusieurs reprises collectivement puis individuellement les nouvelles notions. Même si la classe de ce mercredi après-midi n’aura que cinq cours au total, l’objectif en lançant cet enseignement en première année d’internat et pendant toute la durée du DES, « c’est qu’en le mettant plus régulièrement, ça infuse, qu’ils aient plus de bagage à la sortie », confie le Pr Paul Frappé, professeur titulaire du DMG. « La première promotion à avoir eu les trois ans sera relativement bien formée. Ils seront capables de se débrouiller au cabinet ou sensibilisés pour ensuite travailler au sein d’une UASS », confirme le Dr Bonnefond.
Le cours du mois de mai était l’ultime donné par Manon Messina à ces élèves. Pour les deux restants, en juin et juillet, le Dr Hervé Bonnefond prendra le relais. Il s’agira des derniers dans le cadre du DMG pour cette promotion. « Ce serait bien qu’on puisse voir un peu les questions basiques d’un entretien médical », demande Marie au Dr Bonnefond. Le médecin généraliste leur propose notamment de travailler sur des vidéos réalisées avec des personnes sourdes qui incarnent le « rôle » de patients.
Pour Mme Messina, c’est donc l’heure des remerciements et des au revoir. La professeure leur souhaite toute la réussite possible pour leur avenir académique et professionnel, en espérant que cet apprentissage aura participé à bâtir des cabinets de médecine générale encore plus inclusifs pour les personnes sourdes et à améliorer l’accessibilité aux soins de ces patients.
Fiche d'identité du DMG de Saint-Étienne
Directeur et coordonnateur : Pr Christophe Bois
Création en 1995
315 étudiants inscrits au DES de médecine générale (88 en première année, 86 en deuxième, 99e en troisième, 42 post-DES)
23 enseignants sont rattachés au DMG
1 campus sur la faculté de médecine Jacques Lisfranc