Raymond, 42 ans, consulte car depuis quelques semaines, il souffre de démangeaisons de ses yeux et de modifications de sa vision. En parallèle, il a des problèmes de dyspepsie, avec perte de 10 kg en 6 mois. Ce patient, qui vit dans la rue depuis 15 ans, explique son appétence pour l’alcool. Cliniquement, nous remarquons une hépatomégalie, des angiomes stellaires sur le thorax, des vaisseaux tortueux et très apparents au niveau de la conjonctive de l’œil (cliché 1). Un bilan biologique permet d’objectiver d’importantes perturbations hépatiques avec hépatite mixte (cholestatique et cytolytique) : ϒGT à 569 UI/l (N inférieure à 35), ASAT à 115 UI/l (N inférieure à 45), ALAT à 139 UI/l (N inférieure à 45), phosphatases alcalines à 197 UI/l (N entre 30 et 100), bilirubine totale à 42 mg/l (N inférieure à 10). Dans ce contexte, nous effectuons un bilan chez un confrère gastro-entérologue, qui met en évidence des varices œsophagiennes, et surtout une cirrhose en rapport avec un alcoolisme chronique. Les manifestations ophtalmologiques sont liées à cette addiction.
INTRODUCTION
L’alcool demeure un enjeu majeur de santé publique en France. Chaque année, près de 49 000 décès sont imputables à la consommation d’alcool, et les problèmes de morbidités peuvent être majeurs. On connaît les conséquences psychosociales d’une consommation excessive et chronique d’alcool, mais aussi médicales : augmentation du risque de cancers, de maladies cardiovasculaires, de cirrhose, d’affections neurologiques, etc. On parle généralement moins des conséquences oculaires, qui peuvent être importantes.
CONSÉQUENCES SUR L’ŒIL ET LA VISION
→ Au niveau des vaisseaux conjonctivaux et de la pupille Chez les patients souffrant d’une addiction à l’alcool, on retrouve souvent un aspect sinueux des vaisseaux à la périphérie de la conjonctive, en rapport avec une majoration de la perfusion artérielle.
Par ailleurs, il peut exister des troubles de l’accommodation liés à un défaut de fonctionnement (dilatation, rétraction) de l’iris en rapport avec un retard dans la diffusion des messages entre cortex cérébral et l’œil.
Enfin, l’ajustement entre obscurité et luminosité est difficile, et il est réduit de près de 30 % chez ces patients par rapport à un patient non alcoolisé.
→ La majoration du vieillissement ou de la souffrance cellulaire Il existe une atteinte du nerf optique (neuropathie) responsable d’une altération de la vision périphérique et de la vision des couleurs. Cette situation est surtout due à une carence en vitamine B12 et en folates. Une consommation excessive d’alcool favorise un développement prématuré d’une dégénérescence maculaire au niveau de la rétine donnant des métamorphopsies (déformation des images) du fait d’une oxygénation cellulaire altérée.
L’alcoolisme majore également les risques de développement d'une cataracte du fait de carences vitaminiques (vitamine A surtout).
→ Une tendance à la sécheresse oculaire La consommation excessive d’alcool agit sur le film lacrymal, qui est constitué de trois couches (couche interne composée de mucine sécrétée par les glandes conjonctivales, couche intermédiaire due aux glandes lacrymales, et couche externe lipidique produite par les glandes de Meibomius). La consommation excessive d’alcool a une action sur la couche lipidique en favorisant sa dissolution. Cela entraîne une sécheresse au niveau des yeux.
→ Les myokymies (contractions musculaires localisées) Elles sont secondaires à une alcoolisation importante, et peuvent également être secondaires à un stress, de la fatigue (problème de sommeil en cas d’alcoolisme chronique), la sécheresse oculaire. Elles touchent classiquement les paupières.
→ En cas de grossesse Différentes conséquences de l’alcoolisme sont classiquement décrites pour le futur nouveau-né : problèmes de vision, effets sur le nerf optique, modification de la motricité des paupières, et troubles de la coordination entre les deux yeux.
→ Les autres manifestations ophtalmologiques en rapport avec l’alcoolisme La carence en vitamines A et B1 peut induire une réduction de l’épaisseur de la cornée, avec augmentation du risque de perforation, d’amblyopie secondaire et de paralysie oculomotrice.
→ Au total sur la vision L’alcoolisme modifie la transmission des messages au niveau des neurones (ralentissement surtout), à l’origine des troubles de la vigilance et de l’attention. La vision binoculaire se trouve perturbée tout comme la vision latérale. Le champ visuel est rétréci (« effet tunnel »). Une alcoolisation importante peut également générer une vision dédoublée, des hallucinations visuelles.
Bibliographie
1 - Kluger N. Manifestations cutanées liées à la consommation et à l’abus d’alcool. Images en Dermatologie 2014 ; VII (1) : 33-38.
2 - You YS, Qu NB, Yu XN. Alcohol consumption and dry eye syndrome : a Meta-analysis. International Journal of Ophtalmology 2016 ; 9 (10) : 1487-1492.
3 - L’addiction à l’alcool. https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/addictions/articl….
4 - Peragallo J, Biousse V, Newman NJ. Ocular manifestations of drug and alcohol abuse. Current Opinion in Ophtalmology 2013 ; 24 (6) : 566-573.
Cas clinique
Le prurigo nodulaire
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC