On parle de constipation quand le patient évacue moins de 3 selles par semaine. Cette définition consensuelle met l'accent sur le rythme des évacuations mais ne recouvre pas la réalité clinique constituée de situations variées, incluant des évacuations jugées insatisfaisantes, anormalement difficiles, des selles de consistances anormales ou en quantité insuffisantes. Cette hétérogénéité complique l’analyse d’une littérature dont le faible niveau de preuve explique le contraste la fréquence du symptôme et de nombreuses inconnues (1). Cela a conduit certains à dire : est constipé celui qui s'en plaint. Par conséquent, derrière la plainte, il faut disposer d’une démarche clinique pour la démembrer. D’autant que les termes n’ont pas la même signification pour les patients et pour les médecins ; ainsi une constipation est définie par 52 % des adultes jeunes comme la nécessité de pousser pour évacuer, 44 % comme le passage de selles dures et seulement 32 % comme une évacuation rare. La constipation reste la plainte digestive la plus fréquente, touchant 15 à 35 % des individus avec une prédominance féminine (2). Des explorations sont rarement nécessaires en première ligne. L’approche s’effectue par étapes.
ÉTAPE 1 : PRÉCISER LA PLAINTE
L'objectif initial de la 1ère consultation est de faire préciser au patient ce dont il se plaint le plus. Il existe des scores de constipation mais ils ne sont pas adaptés à la pratique courante. On doit aussi préciser les paramètres qui vont constituer ultérieurement des indicateurs de suivi. La fréquence des évacuations est un critère simple même si ce paramètre discrimine mal les sujets normaux des constipés. La fréquence rapportée par les patients est fausse dans un cas sur 6. Un calendrier de recueil peut aider chez le sujet âgé ou imprécis. La difficulté à évacuer (dyschésie) est un syndrome subjectif, défini par le patient lui-même et qui dépend donc de l’idée qu’il se fait d’une évacuation « facile ». Il associe une difficulté à évacuer la selle, une incapacité à démarrer une exonération et la nécessité d’une poussée défécatoire excessive ou d’une assistance digitale avec parfois une sensation d’évacuation incomplète.
Les exigences du patient peuvent aussi être disproportionnées par rapport aux besoins physiologiques (volonté farouche d’une évacuation quotidienne ou désir d’une régularité en termes d’horaire ou de consistance).
ÉTAPE 2 : POURRAIT-IL S'AGIR D'UN TROUBLE FONCTIONNEL (TFI) ?
Cette question est pertinente car les TFI sont la première cause de constipation. Le diagnostic repose exclusivement sur un système de critères cliniques.
On distingue 3 TFI avec constipation :
1- Le syndrome de l'intestin irritable (SII) définit par la présence répétée de douleurs abdominales ou d’un inconfort, associés à une modification de la fréquence et de la consistance des selles apparus plus de 6 mois avant la consultation ;
2- La constipation fonctionnelle associant un effort de poussée, des selles dures ou grumeleuses, une sensation d’évacuation incomplète, une sensation d’obstruction ou de blocage au niveau anorectal, des manœuvres manuelles d’aide à l’évacuation et moins de 3 évacuations par semaine (mais sans les critères du SII) ;
3- Les troubles fonctionnels de l'évacuation, parfois suspectés cliniquement et qui nécessitent un minimum d'exploration pour être confirmés (manométrie, défécographie), et qui est s'exprime par une dyschésie opiniâtre.
ÉTAPE 3 : L'EXAMEN CLINIQUE
Il faut examiner le patient même si le TFI est patent. Cela lui donne le statut de malade. Cet examen inclut un bilan proctologique (3). Il peut être différé si l'interrogatoire met en évidence un abus sexuel ou un antécédent de maltraitance, délai nécessaire pour éviter un processus de reviviscence.
ÉTAPE 4 : PREMIÈRE SYNTHÈSE !
Cette étape doit répondre à 3 questions :
- Peut-on suspecter une cause organique ?
- En l'absence d'arguments pour une cause organique, et par conséquent si on retient le diagnostic de TFI, y a-t-il des examens à prévoir ?
- À ce stade, y a-t-il des conséquences de cette constipation ?
• Les causes organiques sont très nombreuses (4). La difficulté est de repérer au sein des troubles fonctionnels les étiologies graves (cancer du côlon) ou rares. En l’absence de signe de gravité (antécédent de cancer pelvien, amaigrissement, fièvre, saignement digestif -rectorragie, anémie-, symptômes récents et intenses), la nature organique des troubles sera recherchée seulement après une première phase de traitement. Au-delà de 50 ans la pratique de la coloscopie peut être recommandée car elle associe au diagnostic de la constipation, le dépistage des lésions précancéreuse. Le bilan de première intention comporte : TSH, glycémie, calcémie, créatininémie, numération formule sanguine et dosage de la CRP(3).
• Les conséquences directes de la constipation sont :
- La maladie hémorroïdaire (5) (il est souvent utile de préciser au patient qu’elle n’est pas la cause de sa constipation ni d’une obstruction),
- La fissure anale ;
- Les prolapsus du rectum ou de l’utérus ;
- L’incontinence anale par neuropathie d’étirement. Chez les sujets âgés la constipation peut aboutir à une impaction fécale.
• Si une cause organique sévère, a fortiori cancéreuse, a été éliminée, les explorations fonctionnelles digestives sont inutiles en première ligne et ne seront mises en route qu’après échec d’un premier traitement :
- Temps de transit colique aux marqueurs radio opaques, utile en cas de fausses diarrhées et pour authentifier une constipation de transit, notamment quand il existe une dissociation entre la plainte fonctionnelle et le calendrier défécatoire (Voir photo 1) (3).
ÉTAPE 5 : LE TRAITEMENT DE PREMIÈRE LIGNE
EN CAS D'ECHEC DE LA PREMIÈRE LIGNE THÉRAPEUTIQUE
• On peut recourir à ce stade à des laxatifs s’ils n'ont pas été utilisés dès la première ligne. On passe habituellement des fibres seules à une association ou un remplacement par des laxatifs modifiant la consistance des selles. Les laxatifs osmotiques, avec un bon niveau de preuve, augmentent le nombre de selles et améliorent leur consistance de façon significative (7). Le recours aux laxatifs stimulants a été accusé de lésions au niveau de la muqueuse intestinale et par un usage prolongé de favoriser l’apparition d’une inertie colique (Voir photo 2) (8). Ces complications sont à l’origine d’une limitation de leur utilisation qui perdure malgré l’ancienneté des études qui les ont établies. Leur usage en gériatrie n’est pas associé à une morbidité significative. Les laxatifs huileux sont utilisables mais leur innocuité sur le long terme lors de traitement continu n'est pas établie.
Les laxatifs locaux (micro lavements, suppositoires de glycérine ou à dégagement gazeux) en stimulant la motricité rectal sont envisageables chaque fois qu’une altération de la sensibilité rectale est suspectée.
• Un certain nombre de patient se tourne vers les médecines complémentaires, situées très loin de la médecine factuelle. Les thérapeutiques suivantes n’ont pas été validées : acupuncture, crénothérapie, sophrologie, hypnose (en dehors des colopathies fonctionnelles douloureuses). Certaines pratiques restent farfelues (hydrothérapie colique); d'autres mériteraient une évaluation plus rigoureuse et sont parfois intégrées dans les arbres thérapeutiques, anglo-saxons notamment (hypnose).
• Certaines constipations qui résistent à tout sont dites réfractaires. Des médicaments ont été développés afin de stimuler directement la motricité intestinale. Le prucalopride a reçu une AMM européenne pour la constipation réfractaire chez la femme ; il est disponible dans ce groupe très sélectionné de patients. D'autres sont en développement visant à agir sur des récepteurs différents. La place de ces médicaments reste à préciser sur le moyen terme.
PLACE DE LA CHIRURGIE
On peut y recourir pour le traitement des constipations terminales après échec du traitement médical et physiothérapique. On exige la présence d’une cause anatomique à laquelle on peut imputer la constipation et un rapport bénéfice risque acceptable. Les pathologies concernées sont la rectocèle, l’intussusception rectale et dans une certaine mesure les entérocèles/ élytrocèles. Dans les formes sévères de constipation de transit, on peut envisager une résection intestinale. Il faut affirmer l’échec du traitement médical et exclure les affections psychiatriques. La chirurgie de référence est la colectomie subtotale avec anastomose-iléo rectale (1). Elle est reste exceptionnelle ; on la fait parfois précéder d’une appendico-caecostomie (intervention de Malone ou l’on abouche l’appendice à la peau ) pour permettre des lavages antérogrades ; cette évacuation contrôlée du côlon et du rectum est proposée pour les constipations rebelles, plus particulièrement chez les patients neurologiques, quand coexiste une incontinence ou en cas de constipation terminale non opérable du fait de lésions périnéales (9). Ces chirurgies ne sont envisageables qu’en centre expert disposant d’explorations fonctionnelles spécialisées.
EN RESUME
Le terme de constipation recouvre des réalités cliniques multiples nécessitant une analyse clinique rigoureuse. La physiopathologie est mal connue ; elle met en jeu un bol fécal inadapté à un transit harmonieux. La motricité comme la sensibilité viscérale sont impliquées par des mécanismes en cours de démembrement et pouvant faire intervenir des anomalies de l’innervation autonome dans le cadre d’une axe cerveau intestin ou d’interaction avec le microbiote intestinal. Les laxatifs viennent en soutien de règles hygiéno-diététiques dont l’application sur le long terme constitue une difficulté. Les conséquences périnéales de la constipation doivent motiver les praticiens pour une prise en charge qui peut nécessiter plusieurs consultations. La chirurgie ne s’adresse qu’à certaines formes, et uniquement après échec d’un traitement médical prolongé et bien conduit. Le recours aux examens est limité, dominé par la coloscopie, notamment pour éviter de passer à côté des lésions organiques obstructives.
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