Neurologie

DÉMENCE : QUEL PRONOSTIC ?

Publié le 05/06/2020
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Une fois le diagnostic de démence posé chez un patient, il soulève rapidement la question du pronostic et de l’organisation de vie à moyen terme et d’une éventuelle institutionnalisation. Ce sujet a fait l’objet d’une étude rétrospective de cohorte au Canada qui a inclus plus de 100 000 patients étiquetés déments.
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Crédit photo : SPL/PHANIE

Risque d’institutionnalisation ou de décès à 5 ans chez des sujets âgés ayant reçu un diagnostic de démence : étude de cohorte populationnelle rétrospective.

Five-year risk of admission to long-term care home and death for older adults given a new diagnosis of dementia: a population-based retrospective cohort study Huyer G, Brown CRL, Spruin S & al. CMAJ 2020 April 20;192:E422-30.

https://doi.org/10.1503/cmaj.190999

CONTEXTE

La prévalence des syndromes démentiels (quelle qu’en soit l’étiologie) augmente considérablement avec le vieillissement des populations dans les pays dits développés (1), à tel point qu’elle pourrait doubler d’ici 2050 (2). En l’absence de traitement efficace, les patients déments sont exposés à une surmortalité (3) et à un surrisque d’institutionnalisation, qui contraint les proches à s’organiser afin d’anticiper ces évènements.

OBJECTIF

Décrire le taux d’institutionnalisation ou de décès 5 ans après un diagnostic de démence.

MÉTHODE

Étude rétrospective de cohorte ayant exploité 6 bases de données populationnelles de santé de l’Ontario (Canada). Tous les sujets, âgés ≥ 65 ans, vivant à domicile et ayant reçu un diagnostic de démence entre janvier 2010 et décembre 2013, ont été sélectionnés et rétrospectivement suivis pendant 5 ans. Le diagnostic des patients a été identifié via un rapport de sortie d’hospitalisation, ou les données diagnostiques automatiquement (mais anonymement) transmises aux bases de données par les médecins ambulatoires, ou encore sur les prescriptions itératives d’inhibiteurs de la cholinestérase. Le critère de jugement principal était le taux d’institutionnalisation et/ou de décès 5 ans après le diagnostic. L’analyse statistique a été faite à l’aide d’un modèle de régression logistique multivarié stratifié sur les principales variables d’intérêt : âge, sexe, lieu d’habitation, revenu annuel, et pathologies concomitantes.

RÉSULTATS

Parmi les 14 millions de sujets inscrits dans les 6 bases de données de santé de l'Ontario, 108 757 patients répondant aux critères d’inclusion ont été identifiés. Ils avaient en moyenne 82 ans au moment du diagnostic, 60 % étaient des femmes, 80 % vivaient en zone urbaine et l’immense majorité d’entre eux avaient au moins une comorbidité significative (cancer, cardiovasculaire, respiratoire, rénale, insuffisance d’un organe vital, etc.). Au cours des 5 ans de suivi, 48,4 % de ces patients ont été institutionnalisés. à 5 ans, 51,1 % étaient décédés et plus de la moitié d’entre eux avaient été admis en long séjour avant le décès. Le risque de décès augmentait significativement avec l’âge, le sexe masculin et toutes les comorbidités, en particulier l’insuffisance cardiaque (Odds ratio = 2,0) ou celle d’un organe vital. Le risque de décès à 5 ans était de 22 % chez les femmes âgées de 65 à 69 ans sans insuffisance d’un organe vital, et de 91 % chez les hommes ≥ 90 ans avec insuffisance d’un organe vital. Au total, seuls 25 % des patients de cette cohorte vivaient à domicile 5 ans après le diagnostic.

COMMENTAIRES

Malgré ses faiblesses méthodologiques (étude rétrospective sur bases de données), ce travail est intéressant car il indique le risque de décès ou d’institutionnalisation selon les caractéristiques de différents groupes de patients, ce qui permet de les informer, eux (si possible) et leurs proches, sur le pronostic à moyen terme.

En France, la prévalence de la démence est grossièrement estimée à 850 000 personnes, et comme dans cette étude canadienne, l’âge moyen au diagnostic est de 82 ans, même s’il est parfois un peu plus précoce (4).

Pour la pratique à venir, il serait judicieux que le critère de jugement principal des essais en cours avec les nouveaux médicaments de la démence soit l’institutionnalisation et/ou le décès, et non pas des variations sur des échelles d’évaluation de la cognition, non cliniquement pertinentes pour les patients. Les résultats de cette étude canadienne montrent que cela est parfaitement réalisable dans un délai raisonnable.

Bibliographie

1. Corrada MM, Brookmeyer R, Paganini-Hill A et al. Dementia incidence continues to increase with age in the oldest old the 90+ study. Ann Neurol 2010;67:114-21.

2. Dementia. Geneva: World Health Organization 2019. Disponible sur www.who.int/en/news-room/fact-sheets/detail/dementia.

3. Brodaty H, Seeher K, Gibson L. Dementia time to death: a systematic literature review on survival time and years of life lost in people with dementia. Int Psychogeriatr 2012;24:1034-45.

4. Ramaroson H, Helmer C, Dartigues JF & al. Prevalence of dementia and Alzheimer’s disease among subjects aged 75 years or over: updated results of the Paquid cohort. Rev Neurol 2003;159:405-411

 

Dr Santa Félibre, généraliste enseignant-chercheur.

Source : lequotidiendumedecin.fr