Psychiatrie

DÉPRESSION : PRÉVENTION ET PRISE EN CHARGE DE LA RÉCIDIVE

Publié le 08/09/2023
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Dans la dépression, la récidive est la crainte de nombreux patients. Le risque peut être limité en optimisant la prise en charge de l’épisode dépressif, en analysant les facteurs de risque de chaque patient, en assurant un suivi suffisamment long, etc. Il est important d’obtenir la rémission de l’ensemble des symptômes. En cas de trouble dépressif récurrent, une prise en charge spécifique est nécessaire, avec, entre autres, un traitement médicamenteux prolongé.

Crédit photo : BURGER / PHANIE

INTRODUCTION

Comptant parmi les principales causes d'invalidité dans le monde, la dépression pourrait remplacer les maladies cardiovasculaires en tant que principale cause de morbidité d’ici 2030 [1]. L’épisode dépressif caractérisé (EDC) touche un adulte sur dix en France chaque année [2]. Pour plus d’un tiers, il y aura des récidives (récurrences) d’EDC au cours de la vie, ce qui définit le trouble dépressif récurrent [3]. Dans cet article, nous rappellerons la définition d’un EDC, préciserons la différence entre rechute et récurrence, et reviendrons sur la prévention et la prise en charge de ces épisodes. Nous évoquerons uniquement les EDC unipolaires, par opposition aux EDC survenant dans les troubles bipolaires.

ÉPISODE DÉPRESSIF CARACTÉRISÉ

Un épisode dépressif caractérisé (EDC) est défini dans le DSM-5 (cinquième et dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) par la présence d’au moins cinq symptômes ps­ychoaffectifs, psychomoteurs ou physiologiques (cf. encadré) dont un des symptômes est soit une humeur dépressive, soit une perte d’intérêt ou de plaisir [4]. Cet ensemble de symptômes doit être présent pendant une même période d’une durée d’au moins deux semaines et doit représenter un changement par rapport au fonctionnement antérieur.

La symptomatologie doit induire une souffrance cliniquement significative et ne doit pas être expliquée par une autre pathologie psychiatrique, par la prise de substances ou par d’autres pathologies médicales non psychiatriques. Il faut donc éliminer ces diagnostics différentiels par un examen clinique et un bilan sanguin standard comprenant la TSH.

L’EDC peut se caractériser par différentes formes cliniques selon la prédominance d’un symptôme. On précise alors que l’EDC est un EDC avec caractéristiques mélancolique ou psychotique ou mixte ou anxieuse ou saisonnière, etc.

> Trois niveaux de sévérité sont définis :

-  Intensité légère : il y a seulement le nombre de symptômes nécessaire au diagnostic. Les conséquences socioprofessionnelles et familiales sont mineures.

-  Intensité modérée : l’intensité n’est ni légère ni sévère.

-  Intensité sévère : la plupart des symptômes sont présents et les conséquences socioprofessionnelles sont majeures.

 >  Le traitement est  [5] :

-    psychothérapique de type thérapie cognitivo-comportementale (TCC) pour les EDC d’intensité légère à modérée ;

-   médicamenteux avec un antidépresseur (parfois associé à une TCC) pour les EDC d’intensité sévère.

Les complications de l’EDC comprennent principalement le risque de suicide, la désinsertion socioprofessionnelle, les ruptures familiales, les comorbidités psychiatriques et non psychiatriques et les récurrences dépressives.

Une fois traité, l’EDC aura été unique au cours de la vie pour la moitié des patients. Pour 15 % d’entre eux, l’épisode évoluera vers une chronicité. Pour plus d’un tiers, il y aura des récidives d’EDC au cours de la vie, ce qui définit le trouble dépressif récurrent [3]. On parle aussi bien de récidive ou de récurrence de façon équivalente.

RECHUTE ET RÉCURRENCE

La question du pronostic d’un EDC en cours de traitement ou traité est majeure tant cela conditionne la qualité de vie, la vie familiale et la réinsertion socioprofessionnelle. Il s’agit donc de bien différencier les évolutions éventuelles et notamment la rechute et la récurrence.

On parle de rechute quand la symptomatologie dépressive réapparaît avant la rémission complète (disparition de tous les symptômes et retour au fonctionnement antérieur) ou pendant les six premiers mois suivant la rémission [6, 7]. On parle de récurrence (ou de récidive) si la symptomatologie dépressive réapparaît après six mois de rémission complète (rétablissement) [6, 7].

> Les facteurs de risque

Cette distinction entre rechute et récurrence n’est pas souvent rigoureusement prise en compte dans les études s’intéressant aux facteurs de risque de rechute ou de récurrence. C’est pour cela que nous évoquerons les facteurs de rechute indifféremment pour les deux.

Les facteurs de risque de connus sont [8, 9] :

-       les symptômes résiduels de l’EDC tels que les perturbations des fonctions physiologiques (sommeil, appétit, libido), l’anxiété, l’asthénie, les cognitions dépressives… ;

-       l’âge d'apparition précoce du premier EDC ;

-       la sévérité de l'épisode initial (définie par la présence d'un plus grand nombre de symptômes, d'idées suicidaires ou d'agitation psychomotrice) ;

-       le nombre élevé d'épisodes antérieurs ;

-       les perturbations du cycle veille-sommeil, notamment du sommeil paradoxal ;

-       la persistance d'une comorbidité psychiatrique (tels les troubles de la personnalité et troubles anxieux) ou addictologique ou médicale autre ;

-       les traits de personnalité de type neuroticisme élevé (défini par une tendance persis­tante à l’expérience des émotions négatives) ;

-       le faible soutien social ;

-       les événements traumatiques dans l’enfance ;

-       les événements de vie stressants ;

-       les antécédents familiaux de pathologie psychiatrique.

Ces facteurs de risque doivent donc être méticuleusement recherchés.

PRÉVENTION

Le traitement antidépresseur ou psychothérapique d’un premier EDC doit être poursuivi six mois à 1 an à partir du rétablissement complet. Il est recommandé d’arrêter le traitement sur plusieurs semaines à plusieurs mois dans une période de vie stable. Le traitement doit donc être bien conduit et n’être arrêté ni précocement ni brutalement (tout en prenant en compte l’importance de la tolérance et les effets indésirables), afin de limiter le risque de rechute et de récurrence. Après l’arrêt du traitement, le suivi ne doit pas s’interrompre et la surveillance doit être régulière, notamment la première année qui suit l’arrêt du traitement.

Compte tenu des facteurs de risque de rechute détaillés plus haut :

- Un EDC doit être traité jusqu’à rémission complète des symptômes. Il est donc important de cibler les efforts de prévention sur les patients qui ne parviennent pas à une rémission complète. Les symptômes résiduels doivent être recherchés et traités afin de limiter leurs conséquences sur la qualité de vie et sur le risque de rechute ou de récurrence. Il faut alors optimiser le traitement existant, en intensifiant ou en associant une psychothérapie de type cognitivo-comportementale et/ou en augmentant la posologie de l’antidépresseur [5]. En cas d’échec, il peut être intéressant d’envisager un changement d’antidépresseur [5]. Des traitements spécialisés, notamment des antipsychotiques atypiques, peuvent être associés [10]. En complément, un traitement spécifique des symptômes résiduels de type anxiolytiques ou hypnotiques peut être utilisé pour une courte durée [5].

- Les patients ayant des antécédents d’événements traumatiques doivent pouvoir bénéficier d’une prise en charge psychothérapique spécialisée.

- Toutes les comorbidités psychiatriques, addictologiques et médicales autres doivent être recherchées et traitées.

Les patients ayant des facteurs de risque majorant le risque de récurrence peuvent bénéficier d’une thérapie cognitivo-comportementale à l’arrêt des antidépresseurs [11]. De façon plus générale, une thérapie cognitivo-comportementale diminue le risque de récurrence [12].

PRISE EN CHARGE

Les patients ayant un trouble dépressif récurrent doivent bénéficier d’une prise en charge spécialisée par un psychiatre et spécifique sur le plan médicamenteux. Le traitement médicamenteux par antidépresseur d’un deuxième EDC ou plus ou chez les patients à fort risque de récurrence doit être poursuivi au moins deux ans à partir du rétablissement complet [8, 10].

Dans le trouble dépressif récurrent unipolaire, certains traitements, de type thymorégulateurs, peuvent également être prescrits en association avec l’antidépresseur afin de prévenir les rechutes dépressives. Selon la Haute Autorité de santé, seul le lithium peut être envisagé [5]. Ces traitements sont du ressort du psychiatre. Les patients ayant un trouble dépressif récurrent doivent bénéficier d’un suivi régulier et au long cours par un psychiatre référent.

Liens d'intérêts :

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article 

En résumé

-  Pour plus d’un tiers des patients ayant eu un épisode dépressif caractérisé (EDC), il y aura des récurrences de dépression au cours de la vie, ce qui définit le trouble dépressif récurrent.

-  La recherche et la prise en charge des facteurs de risque de rechute ou de récurrence sont primordiales.

-  La durée de traitement de l’EDC (antidépresseur et/ou psychothérapie) sera déterminée en fonction du nombre d’épisodes antérieurs et/ou des facteurs de risque de rechute et de récurrence.

-  Les symptômes résiduels d’un EDC doivent être recherchés et traités afin de limiter le risque de rechute ou de récurrence.

-  La thérapie cognitivocomportementale diminue le risque de rechute et de récurrence.

-  Les patients ayant un trouble dépressif récurrent peuvent bénéficier de traitements spécifiques, comme le lithium, afin de prévenir la récidive d’un nouvel épisode.

Dr Nicolas Bonfils (psychiatre et addictologue, docteur en neurosciences, ancien chef de clinique des Hôpitaux de Paris – cabinet médical : 4, rue Chomel, 75007 Paris)

Source : Le Quotidien du médecin