Diabétologie

DIABÈTE ET VACCINATION

Publié le 06/11/2020
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Les personnes diabétiques ont un surrisque infectieux bien documenté mais le plus souvent négligé. Or aucun objectif de couverture vaccinale n’est atteint dans cette population vulnérable. Les vaccins s’avèrent tout aussi efficaces qu’en population générale, sans élévation du risque d’effet secondaire, en particulier chez les diabétiques de type 1. Aucun vaccin n’est contre-indiqué.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

INTRODUCTION

Les complications infectieuses chez la personne diabétique, pourtant accessibles à la prévention vaccinale, sont rarement évoquées. Ce sujet méritait un référentiel afin d’informer, d’argumenter en s’appuyant sur la littérature scientifique et ainsi de convaincre de la nécessité d’augmenter les taux de couverture vaccinale, largement en deçà des objectifs de santé publique. Les infections restent encore des complications fréquentes, retentissant gravement sur la qualité et l’espérance de vie des personnes diabétiques, constatent les rapporteurs de cette première synthèse des connaissances, éditée en 2020 par la Société francophone du diabète (SFD) et coordonnée par les Prs Ariane Sultan (CHU de Montpellier) et Bernard Bauduceau (Saint-Mandé).

SURRISQUE INFECTIEUX

Le lien est de mieux en mieux établi entre le diabète, de type 1 (DT1) comme de type 2 (DT2), et un taux accru d’infections, majoré par l’âge, les comorbidités fréquentes, ainsi que par la baisse de l’efficacité du système immunitaire (immunosénescence). De plus, le diabète est un facteur de récidive d’infections et de risque de sévérité de l’infection.
En dehors du pied diabétique très vulnérable aux infections, d’autres infections ont une incidence majorée en cas de diabète, telles les infections pulmonaires en premier lieu, mais également digestives, urogénitales, post-opératoires, etc.

Précisément, les infections les plus concernées sont osseuses et articulaires, les sepsis, les cellulites, les endocardites et les pneumonies (2). Ce surrisque est particulièrement marqué dans le type 1 : le risque d’infections osseuses est multiplié par 22,3 versus 4,9 dans le DT2, et celui de sepsis par 6,1 versus 2,25, respectivement.
Par ailleurs, les conséquences sont potentiellement graves, puisque le risque d’hospitalisation pour infection est multiplié par 3,7 chez le patient avec un DT1, et par 1,88 chez le patient avec un DT2. Le risque de décès de cause infectieuse est multiplié par huit dans le diabète, avec un risque également supérieur en cas de DT1 par rapport au DT2.
Une étude de cohorte (Fremantle) corrobore ces données (3) : plus de 20 % des sujets diabétiques ont été hospitalisés pour infection, soit le double par rapport aux non-diabétiques.
Les facteurs prédictifs associés au risque d’hospitalisation sont un âge plus avancé, du fait de l’immunosénescence (4-5), le sexe masculin, un antécédent récent d’hospitalisation, une obésité, et une atteinte microvasculaire. L'association de comorbidités multiplie les risques d’infection, en particulier de pneumonies (6). Les complications, comme un risque accru d'hospitalisation pour pneumonie, sont favorisées par l’absence de contrôle de l’équilibre glycémique.

PHYSIOPATHOLOGIE

Les explications de ce surrisque global sont multiples. Dans le diabète existe un déficit immunitaire acquis modéré (9) et plusieurs dysfonctionnements immunitaires ont été décrits (altération des neutrophiles et de l’immunité cellulaire du fait de la diminution des lymphocytes Natural Killer). L’hyperglycémie favorise le développement des infections, dans le type 2 et encore plus fortement dans le type 1. En retour, les infections déséquilibrent le diabète, créant un véritable cercle vicieux. Par ailleurs, certains germes sont plus virulents dans un milieu riche en glucose. Enfin, les complications chroniques du diabète altérant la microcirculation peuvent retarder la réponse à l’infection ; une neuropathie végétative favorise également la colonisation urinaire par des micro-organismes qui, en cas d’hyperglycémie, vont proliférer d’autant plus. À noter : le niveau d’immunodépression constitue un élément important car il faudra proposer les vaccins vivants avant qu'ils ne soient contre-indiqués par une éventuelle immunodépression (liée à un cancer, des radiothérapies récentes, des immunosuppresseurs, voire une insuffisance rénale chronique ou hépatique chronique, etc.).

PRÉVENTION VACCINALE

Chaque année, les personnes diabétiques paient un lourd tribut à la grippe et aux infections invasives à pneumocoque (IIP). Pourtant, les patients diabétiques n’atteignent pas de meilleures couvertures vaccinales comparées au reste de la population, d’après les rares chiffres disponibles. On est encore loin du compte. Idéalement, 100 % des diabétiques devraient être protégés contre la coqueluche, le tétanos, le pneumocoque et la grippe. Tous les ans au minimum, la vaccination antigrippale devrait être l’occasion pour le médecin de faire le point sur la couverture vaccinale chez ses patients diabétiques.

Les infections invasives à pneumocoque
Les infections invasives respiratoires (IPP) sont les infections dont l’incidence est la plus élevée en cas de diabète. Le risque pour une personne diabétique de présenter une IIP es 2,3 fois supérieur à la population générale (10). En dépit de ce surrisque et d’une efficacité des vaccins identique à la population générale, la couverture vaccinale ne serait que de 20 à 30 % chez les diabétiques. Le bénéfice clinique de la vaccination avec le VPC13 a été démontré, y compris au cours du diabète (11). Le schéma est une primo-vaccination par VPC13 (le vaccin comportant les antigènes de 13 sérotypes de pneumocoque conjugués à une protéine porteuse) suivi, huit semaines plus tard, d’un vaccin polyosidique non-conjugué comportant les antigènes de 23 sérotypes de pneumocoque (VPP23). Un nouveau vaccin conjugué (Prevenar 20®) sera bientôt mis sur le marché, en réponse à l’écologie changeante des infections invasives à pneumocoque.

La grippe saisonnière
Les taux de couverture vaccinale spécifique aux diabétiques sont bien connus en France et estimés en deçà de 30 % avant l’âge de 65 ans, et entre 60 et 70 % au-delà de 65 ans (12). 68 % des patients ont déclaré être à jour dans l’enquête Patients conduite à l’occasion de la rédaction de ce référentiel. La présence d'un diabète est associée à un risque plus élevé d’hospitalisation pour grippe saisonnière, et à un risque plus élevé de mortalité liée à la grippe pandémique (13). Le virus grippal limite l’efficacité de la réponse immune innée et augmente l’adhésion des pneumocoques ; la surinfection à pneumocoque est donc fréquente après une grippe.
Le bénéfice du vaccin en termes de réduction significative de l’incidence de la grippe/pneumonie, de la mortalité toute cause et des événements cardiovasculaires chez les diabétiques a été mis en évidence dans une cohorte prospective (14).
L'allergie à l'ovalbumine contenue dans l’œuf n'est plus une contre-indication.

Le zona
La gravité du zona tient à certaines de ses localisations et aux séquelles douloureuses représentées par les névralgies post-zostériennes (NPZ). Le risque de zona est augmenté de 20 à 30 % en cas de diabète de type 2 (15). Quant aux patients avec DT1, leur risque de développer un zona est multiplié par 2,3 par rapport à des sujets non-diabétiques, risque d’autant plus important que le diabète est ancien et compliqué (16).
La vaccination par Zostavax®, disponible depuis 2015 et encore confidentielle, est recommandée dans la fenêtre 65-74 ans. Elle a démontré une réduction sur l’incidence du zona et des douleurs post-zostériennes chez les plus de 60 ans : les personnes diabétiques vaccinées ont une réduction significative de l’incidence du zona (de 51 %), comparable à celle obtenue sur l’ensemble de la cohorte des non-diabétiques. De plus, l’incidence du zona ophtalmique est réduite de 63 %, ainsi que les hospitalisations en lien avec le zona (de moins 65 %), chez les personnes vaccinées (17).

Le tétanos
Avec l’usage de drogues injectables, le diabète est l’un des deux principaux facteurs de risque de tétanos. L’incidence est élevée chez les personnes vivant avec un diabète, liée aux plaies chroniques, notamment au niveau des pieds. L’efficacité vaccinale est de 100 % en suivant un schéma de primo-vaccination complète avec trois doses, comme en population générale. La persistance des anticorps dans la longue durée repose sur deux doses supplémentaires à réaliser à cinq ans d’intervalle, puis des rappels tous les 20 ans tout au long de la vie.

L’hépatite B
Le diabète étant associé à un risque élevé d’évolution de l’hépatite B vers une maladie grave du foie (cirrhose, carcinome hépatocellulaire, transplantation, décès) (18), la vaccination est indispensable chez les sujets diabétiques, tout particulièrement en cas d’insuffisance rénale, avec un schéma similaire à celui pratiqué en population générale, c’est-à-dire l’administration de trois doses vaccinales avec un intervalle de 1 à 2 mois entre les deux premières doses et avec un intervalle de 6 mois entre la 1re et la 3e dose (M0, M1–M2, et M6). En cas de nécessité d’une immunisation rapide, il existe un schéma accéléré utilisant le vaccin Engerix B® 20 mg en quatre doses : trois doses en 21 jours (j 0, j 7, j 21), suivies d’un rappel 12 mois après, indispensable pour assurer une protection au long cours. La séroconversion semble identique à la population générale. L’American Diabetes Association se positionne en faveur de la vaccination contre l'hépatite B chez la personne diabétique. (19)

À RETENIR

Les couvertures vaccinales chez les personnes diabétiques sont toutes insuffisantes. Chez ces patients, les vaccins ont la même efficacité que chez les non-diabétiques et aucun surrisque d’effet secondaire (maladies auto-immunes, etc.), en particulier chez les diabétiques de type 1, n’a été mis en évidence.

Or il y a une augmentation de la sévérité des infections grippale et à pneumocoques au cours du diabète (risque d’hospitalisation et de mortalité), avec un impact délétère du déséquilibre glycémique.
Le risque de zona et de contamination par l’hépatite B est augmenté au cours du diabète avec bénéfice de la vaccination.
Près de la moitié des diabétiques de type 2 sont suivis par leur médecin généraliste, près de neuf sur dix des diabétiques de type 1 le sont par un diabétologue. Les médecins généralistes occupent une place centrale dans la vaccination.

Bibliographie

1 - Sultan A, Bauduceau B. et al. Référentiel de la Société francophone du diabète (SFD) : vaccination chez la personne diabétique. Med Mal Metab 2020 ; 14 :46-57
Une version longue de ce référentiel est disponible sur le site de la SFD (http://www.sfdiabete.org/)
2 - Carey IM, et al. Risk of infection in type 1 and type 2 diabetes compared with the general population: a matched cohort study. Diabetes Care 2018;41:513–21.
3 - Hamilton EJ, Martin N, Makepeace A, et al. Incidence and predictors of hospitalization for bacterial infection in community-based patients with type 2 diabetes: the Fremantle diabetes study. PLoS One 2013;8:e60502
4 - Mazieres S, et al. Fragilité et infections chez le sujet âgé : quelles relations ? Cah Ann Gerontol 2012;4:17–20.
5 -Boulos C, et al. Malnutrition and frailty in community dwelling older adults living in a rural setting. Clin Nutr 2016;35:138–43.
6 - Shea K, et al. Rates of pneumococcal disease in adults with chronic medical conditions. Open Forum Infect Dis 2014;1:ofu024.
7 - Kornum J, et al. Diabetes, glycemic control, and risk of hospitalization with pneumonia: a population-based casecontrol study. Diabetes Care 2008;31:1541–5.
8 - Lepper PM, Ott S, Nüesch E, German Community Acquired Pneumonia Competence Network (CAPNETZ). et al. Serum glucose levels for predicting death in patients admitted to hospital for community acquired pneumonia: prospective cohort study. BMJ 2012;344:e3397.
9 - Weintrob AC, Sexton DJ. Susceptibilty to infections in persons with diabetes mellitus. UpToDate®; 2019, https://www.uptodate.com/contents/susceptibility-to-infectionsin-
persons-with-diabetes-mellitus
10 - Muller LM, et al. Increased risk of common infections in patients with type 1 and type 2 diabetes mellitus. Clin Infect Dis 2005;41:281–8
11 - Huijts SM, et al. Post-hoc analysis of a randomized controlled trial: diabetes mellitus modifies the efficacy of the 13-valent pneumococcal conjugate vaccine in elderly. Vaccine 2017;35:4444–9.
12 - Verger P, et al. Characteristics of patients and physicians correlated with regular influenza vaccination in patients treated for type 2 diabetes: a follow-up study from 2008 to 2011 in southeastern France. Clin Microbiol Infect 2015;21 [930.e1–9].
13 - Bridges CB, et al. Transmission of influenza: implications for control in health care settings. Clin Infect Dis 2003;37: 1094–101).
14 - Selvais PL, Reported rates, incentives, and effectiveness of major vaccinations in 501 attendees at two diabetes clinics. Diabetes Care 1997;20:1212–3.
15 - Kawai K, Yawn BP. Risk factors for herpes zoster: a systematic review and meta-analysis. Mayo Clin Proc 2017;92:1806–21.
16 - Chen HH, Lin IC, Chen HJ, et al. Association of
herpes zoster and type 1 diabetes mellitus. PLoS One 2016;11:e0155175.
17 - Tseng HF, et al. Herpes zoster vaccine in older adults and the risk of subsequent herpes zoster disease. JAMA 2011;305:160–6.
18 - Younossi Z, et al. Should adults with diabetes mellitus be vaccinated against hepatitis B virus? A systematic review of diabetes mellitus and the progression of hepatitis B disease. Hum Vaccin Immunother 2017;13:2695–706
19 - Comprehensive medical evaluation and assessment of comorbidities. In: Standards ofmedical care in diabetes – 2019. Diabetes Care 2019;42 (Suppl. 1):S34–45.

Liens d'intérêts

Le Pr Ariane Sultan déclare avoir des liens d’intérêt avec les laboratoires Pfizer et MSD Vaccins.

Hélène Joubert (rédactrice médicale), avec le Pr Ariane Sultan (équipe nutrition-diabète, CHU Lapeyronie, Montpellier)

Source : lequotidiendumedecin.fr