Neurologie

ÉPILEPSIE DE L’ENFANT

Publié le 17/01/2022
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Cette maladie, fréquente, est hétérogène, pouvant être de plusieurs types. Si sa prise en charge est du ressort du spécialiste, le médecin généraliste a un rôle très important, de l’identification de la première crise d’épilepsie au suivi. Aujourd’hui, la grande majorité des enfants épileptiques sont contrôlés par le traitement.

Crédit photo : GARO/PHANIE

INTRODUCTION

Les crises d’épilepsie sont fréquentes chez l’enfant : 5 % environ des enfants présentent au moins une crise avant 5 ans. Dans la plupart des cas, il s’agira d’un épisode unique ou rare, le plus souvent en rapport avec la fièvre. Cependant, c’est aussi dans cette tranche d’âge que débutent la majorité des épilepsies. La distinction entre crise d’épilepsie – événement qui peut survenir chez chacun d’entre nous dans certaines circonstances – et épilepsie – maladie chronique qui traduit un dysfonctionnement cérébral permanent – est primordiale. Les enfants qui font une ou plusieurs crises d’épilepsie occasionnelles (convulsions fébriles) ne sont pas à risque de développer une épilepsie ultérieure.

Convulsions fébriles mises à part, l’incidence annuelle d’un premier épisode critique dans les pays industrialisés est de 1er janvier 000 (1). Ce chiffre comprend les cas d’épilepsie débutante (environ 50 %) et les cas de crise occasionnelle, épisode unique, en rapport ou non avec une affection aiguë du système nerveux central (SNC).

Devant une première crise d’épilepsie, la prise en charge initiale est centrée sur la confirmation du diagnostic de crise d’épilepsie et la recherche d’une cause occasionnelle urgente.

Une fois cette étape réalisée, un bilan, à la recherche d’arguments pour une épilepsie débutante, est réalisé. Ce bilan comprend toujours un électro-­encéphalogramme (EEG) et très souvent une imagerie cérébrale.

Nous parlerons ici de l’épilepsie de l’enfant dont le diagnostic est posé dans trois situations concrètes :

1. Récurrence de crises d’épilepsie non provoquées (au moins deux crises non provoquées, séparées d’au moins 24 heures) ;
2. Survenue d’une crise d’épilepsie dont le bilan permet de faire un diagnostic de syndrome épileptique (cf. ci-dessous) ;
3. Survenue d’une crise d’épilepsie dont le bilan permet d’affirmer un risque de récurrence élevé (première crise chez un enfant suivi pour une malformation cérébrale, pour un AVC congénital, pour un handicap intellectuel ou moteur…).

DE LA CRISE D’ÉPILEPSIE AU DIAGNOSTIC D’ÉPILEPSIE

Il s’agit de déterminer les étapes et les arguments qui, à partir d’un premier évènement qu’est la crise d’épilepsie, permettent de poser le diagnostic d’épilepsie (maladie chronique).

Environ la moitié des crises d’épilepsie non fébriles de l’enfant sont le point de départ d’une épilepsie. Une fois les causes de crise occasionnelle écartées (tableau 1), la prise en charge comprend plusieurs étapes (2).

Si le diagnostic et la coordination du suivi relèvent du neuropédiatre, le médecin traitant a un rôle à jouer dans l’éducation des parents et de l’enfant à la description des phénomènes car il connaît bien la famille.

1re étape : description de la crise par l’entourage, et par le patient lui-même si possible

Cette étape est primordiale. La description de la crise doit être consignée dans le dossier du patient car elle conditionne la classification de l’épilepsie. Les crises d’épilepsie sont, par définition, inopinées, et très souvent traumatisantes pour les parents (impression très fréquente de mort). L’importance de la description de la crise doit leur être expliquée. Pour ne pas perdre d’information, il est recommandé de consigner la description sans a priori, sans traduction médicale hâtive et en utilisant des mots sans équivoque (éviter « bizarre », « spasmes », « absent »… pour caractériser l’état de l’enfant). L’utilisation d’une vidéo familiale peut parfois aider, surtout en cas de récurrence d’épisodes douteux.

Une crise d’épilepsie peut se traduire par différents symptômes, que l’on peut classer de la manière suivante :

• symptômes moteurs : mouvements anormaux, prise de posture, comportement moteur ;
• symptômes expérientiels : hallucination, état de rêve, émotion envahissante ;
• perte de connaissance/perte de contact.

Quels que soient les symptômes, voici quelques éléments évocateurs de crise :
• début brutal, fin plus progressive ;
• décours stéréotypés en cas de récurrence ;
• en cas de perte de connaissance, existence d’une confusion postcritique ;
absence de facteur déclenchant clair.

2e étape : déterminer le type de crise, focale ou généralisée

En cas de crise focale, poser des hypothèses sur la localisation de la ou des zones épileptogènes.

Les crises généralisées ont en commun une absence de possibilité de prévenir et une perte de contact et/ou de connaissance. Il s’agit des crises généralisées tonico-cloniques, des crises toniques et des absences.

Tout autre type de crise doit évoquer une crise focale, en particulier en cas de déficit moteur focal post-critique, si l’enfant a pu appeler ses parents ou prévenir, s’il a changé brutalement son comportement avant l’évènement.

Il n’est pas rare de ne pas avoir de certitude à ce stade. On parle alors de crise inclassable ou difficile à classer.

3e étape : classification de l’épilepsie

C’est l’étape qui va permettre de poser le diagnostic de l’épilepsie.

Il existe deux grands types d’épilepsies : les épilepsies focales et les épilepsies généralisées, qui sont sous-tendues par le type de crise. Les épilepsies généralisées sont caractérisées par des crises qui impliquent les deux hémisphères cérébraux, sur de vastes zones. Les crises focales impliquent une zone plus ou moins étendue, mais toujours unilatérale.

Il existe deux grands cadres étiologiques : les épilepsies génétiques et les épilepsies structurelles.

Les épilepsies génétiques sont liées à une anomalie monogénique ou multifactorielle qui perturbe le fonctionnement cérébral, sans en modifier la structure. Il s’agit d’épilepsies qui ont un âge de début, un ou des type(s) de crise et un pattern EEG particuliers. Chez l’enfant, les épilepsies génétiques qui débutent avant 10 ans sont le plus souvent limitées dans le temps.

Les épilepsies structurelles sont liées à une lésion ou une malformation impliquant le cortex cérébral. Elles sont beaucoup plus hétérogènes, la réponse au traitement est moins fréquemment obtenue et, généralement, il s’agit d’épilepsies qui nécessitent un traitement à vie. Les épilepsies structurelles pharmacorésistantes doivent faire l’objet d’un bilan en vue d’un traitement chirurgical, qui permet de contrôler l’épilepsie dans 50 à 80 % des cas.

4e étape : recherche de la cause

Les épilepsies génétiques peuvent bénéficier des progrès récents dans la génétique. Certaines épilepsies dites génétiques sont multifactorielles (comme l’est par exemple l’HTA idiopathique).

L’IRM cérébrale est l’examen de choix pour le bilan morphologique des épilepsies structurelles ou des épilepsies non classables. Cet examen doit être fait sous sédation ou anesthésie chez les enfants de moins de 6 ans. La recherche de lésion dysplasique de petite taille nécessite des compétences importantes en neuroradiologie et une collaboration étroite avec les épileptologues pour délimiter des zones d’intérêt. La normalité de l’IRM n’exclut pas une cause structurelle (anomalie de petite taille).

5e étape : prévoir et suivre les handicaps (invisibles) associés à l’épilepsie

Cette étape est cruciale. La majorité des enfants épileptiques ont des difficultés associées : 70 à 80 % ont des difficultés scolaires qui nécessitent une prise en charge ou des adaptations dans plus de la moitié des cas. Ces difficultés sont le plus souvent en lien avec des troubles cognitifs spécifiques : troubles attentionnels, lenteur graphomotrice, troubles de la mémoire et de travail sont les symptômes les plus fréquents, chez des enfants ayant une intelligence normale. D’autres troubles sont à rechercher, comme les troubles de l’humeur, qui sont retrouvés chez 20 % des enfants épileptiques.

LES PRINCIPES DU SUIVI

Le suivi d’un enfant épileptique est coordonné par le neuropédiatre. Si l’épilepsie est stable (absence de crise sous traitement bien toléré), le suivi spécialisé est annuel. Le médecin traitant à un rôle à jouer dans diverses situations (en plus des affections et événements intercurrents) :

Suivi du traitement

• Tolérance clinique et biologique

Le suivi de la tolérance par le médecin traitant est primordial. Tous les médicaments anti-crise ont des effets secondaires connus qui nécessitent d’être anticipés. Au-delà des effets secondaires reconnus, certains parents, enfants et adolescents peuvent exprimer des plaintes, qu’ils ou elles relient au traitement et qui doivent être entendues et prises en compte.

Certains médicaments nécessitent une surveillance biologique régulière.

• Observance

L’observance est un enjeu majeur du suivi. Les ruptures de traitement mettent en danger l’enfant ou l’adolescent : risque de récidive qu’il ne sera plus possible de contrôler à nouveau, risque d’état de mal, risque lié à la crise. Dans un certain nombre de cas, la question de l’arrêt du traitement se pose chez l’enfant ou l’adolescent, au cours de consultations spécialisées. Un dosage des traitements peut parfois être utile en cas de doute sur l’observance.

Épilepsie non équilibrée

• Être là en cas de survenue d’une crise

Les traitements permettent de contrôler l’épilepsie dans 70 % des cas, mais 100 % des enfants peuvent, à un moment ou à un autre, faire une crise. En cas de crise, il est important de rechercher une cause, en particulier une mauvaise observance, des troubles digestifs, un manque de sommeil, une prise de toxique. Chez les enfants dont l’épilepsie était contrôlée, il s’agit le plus souvent d’ajuster la posologie au poids. Parfois il s’agit d’un échappement au traitement qui justifie une consultation spécialisée urgente. Dans tous les cas, le médecin traitant a un rôle à jouer dans ces situations : examiner, rassurer, vérifier l’observance et informer sur son importance, ajuster la posologie des traitements, le cas échéant joindre le spécialiste.

Penser à la chirurgie ou aux traitements non conventionnels en cas de pharmacorésistance

La chirurgie de l’épilepsie est le moyen le plus efficace de rendre libre de crise un enfant ou un adulte avec une épilepsie pharmacorésistante. Tout enfant ayant une épilepsie qui reste active malgré deux tentatives de traitement bien conduit doit être évalué dans un centre spécialisé pour un enregistrement vidéo-EEG prolongé (dont la durée dépend de la fréquence des crises), souvent associé à d’autres examens : une évaluation neuropsychologique, un bilan d’imagerie morphologique et fonctionnel…

Suivi de la scolarité et de l’enfant dans sa globalité

Compte tenu de la fréquence des difficultés scolaires, le bien-être à l’école, la recherche de difficultés d’apprentissage, mais aussi de troubles de l’humeur est importante à chaque consultation. Il existe des échelles validées de dépistage rapide d’une dépression chez l’enfant épileptique : par exemple l'échelle de NDDIEY (Neurological Disorders Depression Inventory for Epilepsy), disponible gratuitement (3).

Transition vers l’âge adulte

À partir de 13 ans, les consultations comprennent une période de préparation à la transition de la pédiatrie à la médecine d’adulte (pour les enfants qui garderont une épilepsie). La transition n’est pas un évènement, mais un processus qui comprendra plusieurs étapes indispensables pour que l’enfant devienne un adulte autonome avec sa maladie. Une des étapes majeures est la ré-information, c’est-à-dire la mise à niveau des connaissances de l’enfant sur sa maladie (souvent, les explications sont essentiellement données aux parents avant 12 ans).

Éducation thérapeutique et rôle des associations

Comprendre ce qu’il se passe dans le cerveau au moment d’une crise, comment fonctionnent les traitements mais aussi les fonctions des différentes structures cérébrales… Comprendre les risques liés aux crises et comment vivre avec en toute sécurité, comment parler de son épilepsie aux proches, à la famille… Bref, vivre avec une épilepsie lorsqu’on est un enfant ou un adolescent nécessite un accompagnement adapté. Aux côtés des équipes de soin, les associations jouent un rôle fondamental pour cela, et bien au-delà, pour que cette maladie fréquente soit mieux connue, que les patients soient moins stigmatisés et qu’ils puissent bénéficier des progrès de la science et de la médecine. Parler des associations aux patients épileptiques doit faire partie de leur suivi.



DEUX SYNDROMES ÉPILEPTIQUES FRÉQUENTS

1. L’épilepsie à pointes centro-temporales : crises de la sphère oro-pharyngée, à l’endormissement ou au réveil

Il s’agit d’une épilepsie génétique autolimitée (qui guérit avant 15 ans), sans rapport avec une lésion du SNC. Elle débute à l’âge scolaire (5 ans en moyenne) et représente 20 % des épilepsies de l’enfant.

Les crises ont typiquement lieu à l’endormissement ou au réveil, elles intéressent la sphère oro-pharyngée : bruits de gorge, clonies de l’hémiface, troubles arthriques, parfois précédés de paresthésies de la langue, des lèvres et des joues. Les crises peuvent se propager au membre supérieur et inférieur ipsilatéral. Le contact est en règle générale préservé mais une rupture de contact est possible, surtout chez l’enfant de moins de 5 ans, chez qui les crises peuvent être plus longues et hémicloniques. Une généralisation secondaire est possible.

L’EEG de veille peut être normal. Il peut aussi montrer des pointes typiques de localisation centro-temporale, biphasique et de grande amplitude, survenant de façon isolée ou en bouffée de 3-5 pointes. Les anomalies sont toujours renforcées au cours des phases d’endormissement et au sommeil. Le tracé EEG est par ailleurs bien organisé, sans foyer d’ondes lentes.

Cette épilepsie se caractérise par sa bénignité, la rareté des crises – dont la fréquence ne va jamais crescendo, même sans traitement –, leur disparition spontanée en 1 à 3 ans et par l’absence de complications, même en cas de crise prolongée. L’ensemble de ces caractéristiques invite à la mesure dans le choix du traitement, qui ne doit pas avoir d’effet cognitif. Il est ainsi recommandé de ne pas traiter cette épilepsie, sauf en cas de crises nombreuses ou prolongées.

2. Épilepsie absence de l’enfant

Ce type d’épilepsie représente environ 5 à 10 % des épilepsies de l'enfant. L’épilepsie absence de l’enfant (EAE) débute vers 5-7 ans et disparaît généralement avant 10 ans. Elle se manifeste cliniquement par des ruptures de contact qui durent quelques secondes et qui sont pluriquotidiennes. Ces ruptures de contact sont accompagnées sur l'EEG par des bouffées de pointes ondes bilatérales, synchrones à 3 cycles/secondes de début et fin brutales.

Ces absences sont favorisées par l'hyperpnée, on peut donc en provoquer en consultation en cas de doute diagnostique. Le pronostic est généralement bon, mais comme toutes les épilepsies de l’enfant, l’EAE justifie une évaluation régulière des performances cognitives, de l’humeur et l’anxiété. Les EAE sont très souvent contrôlées par une monothérapie. À ce jour, trois molécules ont l’AMM : l’ethosuximide, le valproate de sodium et la lamotrigine.

Pr Mathieu Milh (service de neurologie pédiatrique, centre de référence des épilepsies rares de l’enfant, hôpital de La Timone Enfants, 265, rue Saint-Pierre, 13005 Marseille, mathieu.milh@ap-hm.fr)

BIBLIOGRAPHIE
1. Hauser WA, Annegers JF, Kurland LT. (1993) Incidence of epilepsy and unprovoked seizures in Rochester, Minnesota : 1935 – 1984. Epilepsia34 : 453 – 468.
2. Engel Jr et al. (2001) A Proposed Diagnostic Scheme for People with Epileptic Seizures and with Epilepsy : Report of the ILAE Task Force on Classification and Terminology Epilepsia 42 (6), 796 – 803.
3. Viellard M, Villeneuve N, Milh M, Lépine A, Micoulaud-Franchi JA, McGonigal A. Screening for depression in youth with epilepsy : Psychometric analysis of NDDI-E-Y and NDDI-E in a French population. Epilepsy Behav. 2019 Sep;98 (Pt A) :
19-26.
4. King MA, Newton MR, Jackson GD, Fitt GJ, Mitchell LA, Silvapulle MJ, Berkovic SF. (1998). Epileptology of the first-seizure presentation : a clinical, electroencephalographic, and magnetic resonance imaging study of 300 consecutive patients. Lancet 352:1007–1011.


Source : lequotidiendumedecin.fr