ORL

EXPLORER UNE SURDITÉ BILATÉRALE

Publié le 08/03/2018
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Un otoscope et un diapason sont les deux outils indispensables et suffisants à l'évaluation clinique ORL d'une perte auditive. De réalisation simple, les tests de Rinne et de Weber permettent de différencier les surdités de transmission ou de perception.
Test de Rinne

Test de Rinne
Crédit photo : Pr P.Bonfils

Monsieur B., âgé de 58 ans, consulte pour une surdité progressive, apparue depuis quelques années et s'aggravant lentement. La surdité s'accompagne d'acouphènes de tonalité aiguë, uniquement dans l'oreille droite mais qu'il perçoit parfois, notamment dans la tête, entre autres quand il est fatigué. Il signale que les acouphènes augmentent d'intensité jusqu'à devenir pénibles lors des périodes de stress au travail – Monsieur B. étant ingénieur dans une société internationale d'électronique. Il n'a jamais eu de vertiges ni de troubles de l’équilibre. La surdité est bilatérale et Monsieur B. estime qu'elle est à peu près identique en intensité dans ses deux oreilles. Cette surdité est jugée modérée mais ce patient se plaint surtout de difficultés de compréhension de la parole, notamment lors de réunions – en particulier lorsque ses interlocuteurs parlent en anglais – quand le bruit de fond ambiant est élevé. Monsieur B. a quelques antécédents médicaux : une HTA traitée et équilibrée, une polypose naso-sinusienne bien équilibrée par des corticoïdes locaux et une HBP sans traitement.

Comment mener l'examen clinique ?

Devant une surdité, il convient de mener l'examen clinique en deux temps : 1) un examen otoscopique et 2) un examen acoumétrique au diapason. Ces deux examens simples doivent être réalisés par le médecin généraliste.

► L'examen otoscopique doit être réalisé en premier, notamment afin de s'assurer qu'il n'existe pas de bouchon de cérumen qui pourrait modifier les résultats de l'acoumétrie. Il doit être mené avec un excellent éclairage. Dans le cas de la presbyacousie, le méat acoustique externe et la membrane tympanique doivent être normaux. En cas d'anomalie de la membrane tympanique, que ce soit au niveau de la pars tensa ou de la pars flaccida (figure 1), il faut penser à une otite chronique.

► L'acoumétrie est l'étude "clinique" de l'audition qui doit être réalisée par tout médecin. Elle doit être systématique car elle apporte des renseignements essentiels au diagnostic. Elle doit être réalisée avec un diapason de fréquence grave, usuellement 500 hertz (Hz). Elle comprend deux étapes ; il faut débuter par le test de Rinne puis terminer par le test de Weber. En effet, le premier explore séparément chaque oreille, puis le second va comparer les résultats obtenus au niveau de chaque oreille avec le test de Rinne. La durée de réalisation des tests d'acoumétrie est d'environ 2 minutes.

Le test de Rinne consiste à comparer, oreille par oreille, la transmission du son par la conduction osseuse (CO) et par la conduction aérienne (CA).

Lorsque l'oreille externe (méat acoustique externe) et l'oreille moyenne (membrane tympanique, chaîne ossiculaire et pression dans la caisse du tympan) sont saines, le son transmis par le système tympano-ossiculaire est amplifié d'environ 30 décibels (dB) : le patient doit donc entendre plus fort en conduction aérienne qu'en conduction osseuse. On parle de "Rinne positif". Cela traduit le fait que l'oreille moyenne est un amplificateur et qu'il est fonctionnel.

• Quand l'amplificateur de l'oreille moyenne ne fonctionne pas – dans le cadre d'une otite chronique ou d'une otospongiose – il n'y a plus d'amplification par le système tympano-ossiculaire : le patient entend plus fort en conduction osseuse qu'en conduction aérienne. On parle de "Rinne négatif".

• En pratique, le diapason vibrant est posé sur une mastoïde (photo 1A) : le sujet entend le son en conduction osseuse. La stimulation passe directement à l'oreille interne par transmission dans l'os temporal. On demande au sujet d'alerter le médecin dès qu'il n'entend plus le son en conduction osseuse. Lorsque le son n'est plus perçu, on place immédiatement le diapason devant le pavillon de l'oreille du même côté (photo 1B). Si l'amplificateur tympano-ossiculaire est fonctionnel, le patient va "réentendre" le son : Rinne positif (positif, j'entends à nouveau). Si l'amplificateur tympano-ossiculaire n'est pas fonctionnel, le patient n'entend rien : Rinne négatif (négatif, non, je n'entends rien). Le test est alors réalisé dans l'oreille opposée. Le tableau 1 résume les résultats du test de Rinne.

► Le test de Weber est réalisé dans un second temps. Le diapason vibrant est posé sur le front en conduction osseuse (photo 2). La stimulation est transmise par voie osseuse aux deux oreilles internes en même temps. En cas de surdité bilatérale et symétrique, que la surdité soit de transmission ou de perception, le son est perçu par le patient "au milieu", dans la tête : on dit que le Weber n'est pas latéralisé. En cas de surdité unilatérale de perception, le son est perçu dans l'oreille interne fonctionnelle : on dit que le Weber est latéralisé du côté de l'oreille saine. En cas de surdité unilatérale de transmission, le son est perçu dans l'oreille interne malade : on dit que le Weber est latéralisé du côté de l'oreille pathologique ; c'est un signe de haute valeur sémiologique en faveur d'une surdité de transmission. Le tableau 2 résume les résultats du test de Weber. Le tableau 3 fait une synthèse générale des résultats de l'acoumétrie.



L'examen clinique de Monsieur B. met en évidence un tympan normal des deux côtés, un Rinne positif des deux côtés et un test de Weber non latéralisé.

Quel(s) examen(s) complémentaire(s) prescrire ?

L'examen clinique est en faveur d'une surdité de perception bilatérale et symétrique. Compte tenu de l'âge et de la plainte du patient, la première hypothèse est une presbyacousie débutante. Le seul examen complémentaire à demander est un audiogramme tonal et vocal réalisé en cabine audiométrique insonorisée par un ORL. Il est souvent couplé avec un tympanogramme (mesurant la pression dans la caisse du tympan) qui sera ici normal.

Comment interpréter l'audiogramme ?

L'audiogramme comporte deux axes : 1) l'abscisse indique les fréquences, des sons graves (125 Hz) aux sons aigus (8 000 Hz) ; une gamme importante de fréquences doit être soulignée : les fréquences dites conversationnelles (F.C.), comprises entre 500 et 2 000 Hz qui sont essentielles pour la compréhension de la parole ; 2) l'ordonnée indique les pertes auditives de 0 dB (audiogramme normal) à plus de 100 dB de perte. L'audiogramme est réalisé en conduction osseuse (ici, les ronds) et en conduction aérienne (ici, les croix). La superposition des ronds et des croix témoigne d'une surdité de perception. Cette surdité est modérée sur les fréquences aiguës et se majore vers les fréquences graves : c'est un profil typique de presbyacousie. Il est utile de calculer la perte auditive moyenne (PAM) avec la formule suivante :

PAM = [(seuil 500 Hz) x 2 + (seuil 1 000 Hz) x 4 + (seuil 2 000 Hz) x 3 + (seuil 4 000 Hz) x 1]/10

Cette perte auditive moyenne reflète la perte efficace sur la compréhension de la parole. Chez notre patient, elle serait de :

PAM = [(15 dB) x 2 + (25 dB) x 4 + (35 dB) x 3 + (35 dB) x 1]/10 = 27 dB.
La PAM à partir de laquelle des conséquences importantes de la surdité sont perçues est généralement autour de 30 décibels.

Conclusion

Vous avez l'ensemble des éléments permettant de conseiller Monsieur B. Aucun autre examen complémentaire n'est utile, notamment aucune imagerie, aucun bilan sanguin. Il s'agit typiquement d'un patient présentant une presbyacousie, avec une perte audiométrique moyenne de 27 décibels. Comme toute presbyacousie, la surdité a été progressive et le patient s'est "habitué" à cette perte auditive qu'il aura toujours tendance à minimiser. L'annonce d'une perte moyenne de près de 30 décibels (soit près du tiers du champ auditif) est souvent une surprise, sauf pour la famille qui s'est aperçue depuis longtemps de l'importance du handicap auditif de façon plus objective. Les acouphènes et leur majoration lors des périodes de stress au travail sont habituels dans ce contexte.

Se pose dès lors la question de la place du traitement. Il n'existe ni traitement médical ni chirurgical, et la seule alternative est l'appareillage auditif. Il ne faut pas l'"imposer" à un patient presbyacousique : la demande doit venir de lui, devant la gêne perçue et la volonté de la corriger. L'appareillage doit être bilatéral afin de garder une stéréophonie, ce qui permet de maintenir une perception de l'espace sonore. Une ordonnance d'appareillage auditif bilatéral est alors donnée au patient : une période d'essai de l'appareil est indispensable avant l'achat définitif. L'audioprothésiste recevra le patient, évaluera le handicap auditif afin de proposer un type de prothèse adapté, établira un devis afin que le patient puisse connaître les modalités de remboursement – souvent très partiel – de la Sécurité sociale et de la mutuelle, et proposera le plus souvent un plan de financement. Ce ne doit être qu'après une période d'essai d'une dizaine de jours que le patient devrait ou non faire l'acquisition définitive de son appareillage.

Bibliographie

1- Laccourreye O., Couloigner V. Le Livre de l'Interne, ORL. Editions
Lavoisier 2e édition, 2017.

 

Pr Pierre Bonfils (chef du service d'ORL et de chirurgie cervico-faciale, hôpital européen Georges Pompidou, 20 rue Leblanc, 75015 Paris. Email : pierre.bonfils@aphp.fr)

Source : lequotidiendumedecin.fr