Pneumologie

LA BRONCHOPNEUMOPATHIE CHRONIQUE OBSTRUCTIVE

Publié le 12/06/2020
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Avec la prévention, le repérage est le maître-mot dans la BPCO. En France, deux personnes sur trois ne seraient pas diagnostiquées. À toutes les étapes de la prise en charge, le généraliste a sa place grâce aux nouvelles organisations telles les communautés professionnelles territoriales de santé et les équipes de soins spécialisées. 
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Crédit photo : SPL/PHANIE

INTRODUCTION

Méconnue des patients malgré sa prévalence – 3 à 4,5 millions de Français en souffrent – la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) reste longtemps silencieuse. Même si l’obstruction bronchique est irréversible, le diagnostic permet une prise en charge adaptée qui améliore la qualité de vie et le pronostic du patient. À ce titre, la prévention comme le repérage ne sont plus en option. La BPCO est concernée par la prévention en tant que maladie chronique invalidante et par la substance addictive qui est le tabac, mis en cause dans plus de 80 % des BPCO. 17 à 50 % des fumeurs développeront une bronchopneumopathie chronique obstructive, selon la durée de leur tabagisme et leur susceptibilité individuelle. On estime que le risque de BPCO devient significatif à partir de 20 paquets-années chez l’homme, 15 paquets-années chez la femme. Par ailleurs, l’exposition professionnelle et/ou domestique à des toxiques ou irritants (silice, poussières de charbon ou végétales, moisissures) double, voire triple le risque de BPCO.

LES CHIFFRES CLÉS (1)

• Les deux tiers des patients BPCO ne sont pas diagnostiqués.

• La BPCO devrait représenter la3e cause de mortalité par maladie en 2030.

• 40 % des patients BPCO en France sont des femmes.

• + 53 % d’écart de mortalité entre la population la plus défavorisée et la plus favorisée.

• 22,1 % du grand public a répondu avoir déjà entendu parler de la BPCO (2).

REPÉRER ET DÉPISTER

La BPCO est définie par une obstruction permanente et progressive des voies aériennes. En cause, le remodelage qui réduit le calibre des bronchioles, associé à une destruction alvéolaire (emphysème) et à une hyper-réaction aux irritants inhalés.

Les hospitalisations pour bronchopneumopathie chronique obstructive correspondent à un stade sévère de la maladie (III ou IV). Malheureusement, il s’agit souvent, pour les patients, du moment de la découverte de leur état. Le repérage de la BPCO, largement insuffisant, est primordial, concentré sur les populations à risque, précisément les patients tabagiques âgés de 40 ans et plus. Mais les freins sont multiples. Les malades tendent à ne pas reconnaître leur état, qui les renvoie à une perception culpabilisante d’eux-mêmes, à la différence d’autres pathologies chroniques socialement plus « acceptables ». Stigmatisés, les malades s’installent dans le déni, retardant la décision de consulter. Par ailleurs, et à raison, on qualifie souvent la bronchopneumopathie chronique obstructive de maladie silencieuse, voire invisible au stade précoce. En outre, la BPCO reste perçue, y compris par les professionnels de santé, comme une conséquence du tabagisme plutôt qu’une maladie à part entière qu’il faut diagnostiquer et traiter. Enfin, le stéréotype masculin a la vie dure. Or, s’il y a 20 ans, 20 % des patients atteints de la maladie étaient des femmes, elles sont 40 % aujourd'hui (3-4).

On a beaucoup misé sur la médecine générale pour dépister les patients BPCO. Avec une difficulté majeure qui est que les patients consultent en soins primaires pour des pathologies aiguës ou chroniques. D’où la double difficulté de faire de la prévention chez des personnes qui ne se plaignent pas d’obstruction bronchique, et de repérer des signes souvent aspécifiques. Selon un « focus group » patients organisé par l’association Santé respiratoire France en 2019 (5), le repérage de la BPCO reviendrait au médecin généraliste, premier témoin de la dégradation de l’état respiratoire de ses patients. De fait et a minima, tout patient fumeur depuis plusieurs années devrait se voir poser tôt de simples questions en consultation de routine sur son souffle, sa capacité à l’effort, d’éventuelles difficultés respiratoires naissantes… À cette fin, le questionnaire de repérage proposé par la Haute Autorité de Santé (HAS) (cf. encadré 1) est approprié.

→ Les signes d’appel pour une maladie bronchique obstructive:

• dyspnée d’effort ou paroxystique,

• toux et/ou expectoration chronique,

• sifflements thoraciques,

• exposition à un facteur de risque (tabac, facteur professionnel ou plus rarement domestique),

• sevrage tabagique,

• comorbidité : cardiopathie ischémique, insuffisance cardiaque gauche, etc.

Suite à un interrogatoire en faveur d’une obstruction bronchique potentielle, la spirométrie, examen opérateur-dépendant, reste la référence pour définir l’existence d’un trouble ventilatoire obstructif (TVO). Il est complété d’un test de bronchodilatation aux ß-2 mimétiques inhalés quinze minutes auparavant, ce qui requiert une organisation en médecine générale. Les mini-spiromètres (PIKO-6®, BPCO6®, etc.) ne sont que des outils de première approche. En effet, la mesure du débit expiratoire de pointe est mal corrélée au volume expiratoire maximal par seconde (VEMS). Il n’en reste pas moins qu’ils sont une première étape, rapide, dans la détection des patients BPCO, un outil adapté à la pratique en médecine générale, avant d’orienter le patient vers le pneumologue.

Une autre possibilité pour favoriser le repérage des patients à risque serait la réalisation de la spirométrie par d’autres acteurs de santé, comme les infirmiers en pratique avancée, précédée d’une prescription, et suivie d’une validation et d’une interprétation par le médecin. Il serait également intéressant de formuler un projet portant sur la détection de la BPCO dans le cadre d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Parmi les autres pistes envisagées, l’introduction d’une aide à la décision médicale concernant la BPCO dans les logiciels métier de médecine générale. La détection de la BPCO pourrait alors être très facilement intégrée dans la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) à l’occasion de la prescription de substituts nicotiniques, de la détection d’un essoufflement, etc.

DIAGNOSTIC

La bronchopneumopathie chronique obstructive est une définition tant clinique que paraclinique. La spirométrie reste l’examen de référence diagnostique pour définir l’existence d’un trouble ventilatoire obstructif (TVO) : rapport VEMS/CVF < 70 % après administration d’un bronchodilatateur (non réversible). L’obstruction est classée en quatre stades fonctionnels, allant des stades I (obstruction bronchique légère, VEMS normal) et II (obstruction bronchique modérée, VEMS compris entre 50 et 80 % de la théorique) aux stades III et IV (obstruction bronchique sévère et très sévère, VEMS inférieur à 50 % et 30 % de la théorique). Cette spirométrie nécessite une formation initiale, éventuellement sous forme de développement professionnel continu (DPC), car elle est opérateur et patient dépendant.

→ Il n’y a pas que le VEMS. Le diagnostic d’obstruction bronchique chronique posé, une évaluation globale du patient BPCO s’impose. Des mesures fonctionnelles complémentaires peuvent être utiles selon le contexte et la sévérité, en gardant à l’esprit que l’étude de la fonction respiratoire n’est pas restreinte à l’exploration fonctionnelle respiratoire (EFR) au repos, mais également à l’effort et nocturne.

Au rang de ces mesures fonctionnelles complémentaires figurent l’évaluation des volumes pulmonaires (restriction, distension) et de la diffusion (membrane alvéolo-capillaire), la gazométrie artérielle, l’exploration du sommeil (oxymétrie, polygraphie) et de l’exercice (test de marche, épreuve d’effort éventuellement). Sans oublier une radiographie du thorax.

Dépister tôt ces patients BPCO, c’est aussi donner l’opportunité d’une prise en charge multidisciplinaire, avec notamment le repérage et la prise en charge de maladies cardiovasculaires et tumorales.

L’exploration des comorbidités, très fréquentes chez le patient BPCO, que celles-ci soient secondaires à la maladie (coronaropathies, anxiété, dépression…) ou inhérentes au terrain du patient, relève de la collaboration entre le médecin généraliste en charge du champ psycho-médico-social, le pneumologue et les autres spécialistes (tabacologue, psychologue, enseignant en activité physique adaptée…).

Dans la cohorte Palomb constituée de patients BPCO (7), 72 % des personnes souffrent au moins d’une autre maladie en plus de la BPCO (comorbidités cardiovasculaires, syndrome métabolique, syndrome d’apnées obstructives du sommeil (overlap syndrome), dénutrition, bronchectasie).

PRISE EN CHARGE

La prise en charge thérapeutique d’un patient BPCO doit inclure l’indispensable sevrage tabagique, la mise à jour des vaccinations (grippe, pneumocoque), le traitement des foyers infectieux dentaire et ORL et, si la dyspnée et le handicap persistent, la mise en place d’une activité physique personnalisée avec un stage de réadaptation respiratoire reposant sur le réentraînement à l'exercice.

Les symptômes (dyspnée, exacerbations) conditionnent les choix thérapeutiques.

Lorsque les symptômes (dyspnée) sont épisodiques et peu intenses, le traitement se limite aux bronchodilatateurs de courte durée d’action inhalés à la demande. En cas de dyspnée quotidienne et/ou d’exacerbations, on proposera un bronchodilatateur de longue durée d’action en monothérapie plutôt qu'en association de bronchodilatateurs : β2-agoniste à longue durée d’action (LABA) ou antimuscarinique à longue durée d’action (LAMA).

Si la dyspnée persiste, une double bronchodilatation (LABA + LAMA) améliore la fonction respiratoire (VEMS), la qualité de vie, la dyspnée et diminue les exacerbations.

En cas d’exacerbations fréquentes avec un VEMS ≤ 70 %, on peut proposer une association LABA + LAMA ou LABA + corticostéroïdes inhalés (CSI). La trithérapie (LABA + LAMA + CSI) est indiquée en cas de persistance d’exacerbations. La persistance de la dyspnée malgré une double bronchodilatation ou d’exacerbations en dépit d’une trithérapie nécessite une évaluation par le pneumologue afin d’adapter le traitement, voire de discuter l’indication de certaines innovations thérapeutiques telles que le traitement endoscopique de l’emphysème (8).

Les patients en insuffisance respiratoire sévère nécessitent la prescription d’une oxygénothérapie, et relèvent par conséquent du spécialiste pneumologue (mesures de PaO2 et PaCO2 indispensables).

Du point de vue de l’organisation, certaines CPTS peuvent s’organiser autour d’un projet de suivi des patients insuffisants respiratoires chroniques, et s’attacher les services d’un pneumologue. Ce qui semble encore plus adapté à la problématique du suivi des patients BPCO serait la constitution d’équipes de soins spécialisées réunissant des pneumologues, contractualisées avec une CPTS. Différents professionnels de santé (infirmiers en pratique avancée, kinésithérapeutes, etc.) pourraient ainsi intervenir en fonction des besoins. Tous les modes d’organisation sont envisageables, afin que les patients BPCO puissent être suivis de façon adéquate et protocolisée, de manière à ce que le médecin pneumologue ou le médecin traitant ne soient consultés qu’en cas de mauvais contrôle et d’exacerbations de la BPCO.

→ La réadaptation respiratoire en ambulatoire pourrait changer la donne. Moins de 10 % des patients souffrant d’une BPCO bénéficient d'une réadaptation respiratoire. L’ambulatoire pourrait être la solution, et la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) a confirmé en 2019 sa volonté de développer la prise en charge des patients sur le mode ambulatoire. Ainsi, la réadaptation fonctionnelle pourrait se faire en ambulatoire, ou en hospitalisation à temps partiel ou à domicile. L’unique expérimentation de réadaptation respiratoire à domicile, menée dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais par le Dr Jean-Marie Grosbois, affiche des résultats très positifs : la tolérance à l’effort et les capacités physiques, la qualité de vie, l’anxiété et la dépression, ces trois critères clés des pathologies respiratoires, sont améliorées de manière significative un an après la fin du stage à domicile. Un bénéfice statistique qui se vérifie sur le plan clinique : plus de 80 % des « stagiaires » confirment une amélioration pour au moins un des trois critères (60 % après un an).

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DISPOSITIFS CONNECTÉS, TÉLÉSURVEILLANCE…

Les algorithmes d’intelligence artificielle et les innovations technologiques, tels les objets connectés ou la télémédecine, sont de formidables outils pour améliorer la prise en charge des maladies chroniques, en l’occurrence respiratoires comme la BPCO.
• Oxymètres connectés encore non commercialisés, inhalateurs et spiromètres connectés encore sur le papier, et d’autres projets en cours de validation comme des montres connectées relevant la fréquence cardiaque ou la saturation, pourraient permettre un meilleur suivi des patients ou encore de mieux prévenir les exacerbations. Tout est à construire.
• La télésurveillance dans la BPCO aura deux finalités : éviter les exacerbations et rétablir le contrôle de la maladie. À ce jour, la télésurveillance ne s’applique qu’aux patients BPCO sous ventilation non invasive dans le cadre du programme Expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé (Etapes).

EN RÉSUMÉ

Dans le repérage des malades BPCO, comme dans leur prise en charge au long cours, le médecin généraliste est partout un acteur incontournable au sein d’un environnement de soins incluant le médecin pneumologue, l’addictologue, le psychologue/psychiatre et les personnels de santé paraclinique (kinésithérapeute, nutritionniste…), ou en collaboration avec les nouveaux métiers (infirmier en pratique avancée) et les nouvelles organisations professionnelles telles les Communautés professionnelles territoriales de santé et les équipes de soins spécialisées.

Aux stades I et II, le médecin généraliste doit consacrer au minimum une à deux consultations annuelles dédiées au suivi de la BPCO (dont l’évaluation de la dyspnée) et prendre si besoin l’avis du pneumologue (exacerbations sévères ou fréquentes, détérioration clinique, comorbidité respiratoire). Aux stades III et IV, le suivi est au minimum trimestriel, avec un recours au pneumologue au moins annuel. Les patients porteurs d’une BPCO très sévère relevant de l’ALD sont suivis par le spécialiste.

Bibliographie

1 - Livre Blanc de la BPCO (2017) « Urgence BPCO : les pneumologues et les patients alertent les pouvoirs publics » rédigé par des associations de professionnels de santé et de patients soutenues par un collectif de parlementaires https://splf.fr/livre-blanc-de-la-bpco/.

2 - Connaissance de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) en France : Baromètre santé 2017 (30 octobre 2018).

3 - Raherison C, Biron E., Nocent-Ejnaini C, et al. Existe-t-il des spécificités chez les femmes atteintes de BPCO ? Rev Mal Respir,2010;27:611- 624.

4 - CP Groupe Femme et Poumons, SPLF. http://splf.fr/wp-content/uploads/2017/10/dossier-de-presseBPCO-VF.pdf.

5 - Association Santé respiratoire France. https://sante-respiratoire.com.

6 - Auto-questionnaire Dépistage BPCO Haute Autorité de Santé. Faites le test : aurais-je une BPCO ? Auto-questionnaire dépistage BPCO. HAS ; 2014 (5). https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2014-06/questionna….

7 - Raherison-Semjen C, Ouaalaya H, Bernady A. et al, Profils de comorbidités et sévérité de la BPCO : données de la cohorte PALOMB. Revue des Maladies Respiratoires Volume 34, numéro S pages A4-A5 (janvier 2017) Doi : 10.1016/j.rmr.2016.10.014.

8 - Zysman M, Chabot F, Devillier P, et al. Pharmacological treatment optimization for stable chronic obstructive pulmonary disease. Proposals from the Société de Pneumologie de Langue Francaise. Revue des Maladies Respiratoires (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2016.10.004

Pour en savoir plus :

Guide parcours de soins HAS « Bronchopneumopathie chronique obstructive » (juin 2014). https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2012-04/guide_parc….

Liens d'intérêts

Le Dr Bruno Stach déclare n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article. Le Dr Frédéric Le Guillou déclare avoir des liens d'intérêts avec AZ, Chiesi, GSK, Novartis, Philips, SOS Oxygène, Pfizer, Boehringer Ingelheim.


Dr Frédéric Le Guillou (pneumologue à La Rochelle, président de l’association Santé respiratoire France), Dr Bruno Stach (pneumologue à Valenciennes).

Source : lequotidiendumedecin.fr