La dermatite atopique (DA) n’est ni définie sur le plan clinique, ni caractérisée par un quelconque marqueur biologique ou histologique, de telle sorte que son cadre peut être plus ou moins large. Les avancées de la recherche fondamentale sur la physiopathologie du prurit en général, et de la DA en particulier, vont permettre le développement de nouvelles molécules dont les cibles sont maintenant connues. Mais les conseils d’hygiène et les traitements locaux gardent une place déterminante et suffisante dans la plupart des cas.
DÉFINITION
Il est difficile d’établir une définition de la dermatite atopique.
→ À partir de la notion de terrain Cette affection dermatologique est liée à d’autres pathologies qui peuvent être présentes simultanément ou se succéder dans le temps, comme l’asthme, la rhinite allergique ou l’allergie alimentaire. Celles-ci sont plus ou moins génétiquement déterminées, et l’interrogatoire peut les retrouver dans les antécédents personnels ou familiaux. Ainsi, l’existence d’une mutation d’un gène codant pour la filaggrine (protéine épidermique participant à la perméabilité cutanée) est inconstamment retrouvée. Certains considèrent même qu’il existe une « marche atopique » (1). À partir d’une mutation génétique favorisant initialement une atopie cutanée se développeraient successivement l’allergie alimentaire, puis une rhinite allergique et tardivement un asthme.
→ À partir de la notion d’eczéma Étymologiquement, un eczéma est un jaillissement. En effet, la sérosité provenant des vaisseaux dilatés est d’abord dermique, puis imprègne l’épiderme comme une éponge : c’est la spongiose. Enfin, cette sérosité suinte à la surface de la peau, où elle coagule avant que se mette en place une restauration de la continuité du tégument grâce au développement rapide d’une nouvelle couche cornée. À ces quatre stades anatomiques correspondent successivement des aspects cliniques de lésion érythémato-œdémateuse, vésiculeuse et suintante, croûteuse et squameuse. Cette description correspond à un eczéma de type aigu. La dermatite atopique, quant à elle, est plutôt un eczéma chronique avec une présentation essentiellement érythémato-squameuse, mais les lésions anatomiques de spongiose sont constantes. Le prurit est présent à tous les stades.
→ Par une addition de plusieurs critères Traditionnellement, la DA est affirmée sur les critères de Rajka (2). Ils associent à la fois des éléments cliniques, comme l’atteinte du visage chez le tout jeune enfant, des plis à tout âge et l’existence d’une peau sèche ; biologiques, comme l’éosinophilie et l’élévation des Ig E ; et les antécédents familiaux déjà évoqués. Cette définition est surtout adaptée à l’enfant. Elle est trop restrictive car l’adulte est concerné par la DA, parfois avec un début très tardif. Notons que certaines circonstances favorisent son apparition :
• la grossesse, qui peut induire un prurigo atopique ou favoriser un eczéma du mamelon, signe classique d’atopie,
• le savonnage itératif, qui favorise la délipidisation de l’épiderme,
• la ménopause, qui majore la sécheresse cutanée.
→ À partir de la notion de prurit Il est parfois difficile à définir : à l’origine, c’est un geste réflexe qui écarte un danger externe. Parfois, l’excoriation crée une sédation en diminuant l’œdème dermique. Le prurit crée à lui seul la lésion anatomique de spongiose. Selon les critères UK (3), la dermatite atopique se définit avant tout par un prurit autour duquel on agrège quelques critères de peau sèche, d’antécédent d’inflammation des plis de flexion, ou d’asthme.
LA DERMATITE ATOPIQUE SURVIENT À TOUT ÂGE
• La DA ne concerne pas le nouveau-né : avant 2 mois, on n’observe qu’une dermatite séborrhéique non prurigineuse des fesses et du cuir chevelu.
• La DA du nourrisson entre 2 mois et 2 ans est fréquente (60 à 65 %), les poussées érythémato-œdémateuses et vésiculeuses affectent surtout les joues, respectent les fesses. L’affection rétrocède entièrement entre 2 et 6 ans dans la moitié des cas. Dans le cas contraire, il existe un risque de passage à la chronicité.
• La DA de la première enfance (10 % des cas) est souvent peu sévère, affecte électivement les plis, surtout le creux poplité et le pli du coude. Elle peut parfois se manifester sous forme de dartres achromiques (pityriasis alba).
• La DA de l’adolescence et de l’adulte (20 % des cas) est peu sévère et souvent localisée. La femme présente des dermatites des paupières, des lèvres ou des mains ; l’homme une dermatite de la face et du tronc. Une fissure rétro-auriculaire est parfois le seul signe évocateur.
• La DA du sujet âgé représente 5 à 10 % des cas ; elle est sévère. Il s’agit soit d’une DA de l’enfance restée quiescente, soit d'une DA de forme nouvelle. Le diagnostic est difficile, on évoque une toxidermie ou une pemphigoïde bulleuse. La survenue d’un état érythrodermique complique l’affection.
PHYSIOPATHOLOGIE
La physiopathologie de la dermatite atopique (4) se confond avec celle du prurit (voir schéma page 24), qui occupe une place centrale dans la physiopathologie. La sensation de prurit (comme celle de la douleur) naît au niveau des neurones périphériques, remonte au niveau cérébral où elle devient perceptible et génère un comportement de défense par voie nerveuse descendante ou par voie hormonale.
Dans la dermatite atopique, il existe une stimulation permanente des neurones périphériques. Cette neuro-inflammation a une double origine :
• une anomalie de la réponse immunologique qui privilégie la voie TH2,
• une anomalie de la barrière épidermique, avec en particulier un déficit en filaggrine qui rend perméable la couche cornée.
Les kératinocytes sont activés par des antigènes bactériens (staphylococciques). La stimulation de l’immunité innée du kératinocyte (en particulier le TLR 3) génère des signaux transférés aux neurones périphériques.
De plus, le prurit entretient le prurit. L’agression mécanique que constitue le prurit entraîne une dégradation des kératinocytes. Ceux-ci sont reconnus par les récepteurs d’autres kératinocytes et activent également le TLR 3. Enfin, la régulation inhibitrice qui peut être théoriquement exercée par le système nerveux central n’est plus assurée en cas de prurit chronique. Au contraire, il semble exister une action facilitatrice en relation avec un phénomène d’addiction qui se crée au niveau central.
Les kératinocytes sont activés par des antigènes bactériens, ils sont agressés par le grattage, et génèrent des signaux transférés aux neurones périphériques. Ainsi, le prurit entretient le prurit.
Le système nerveux central est par ailleurs le récepteur des stress qu’il répercute au niveau périphérique, soit par les voies nerveuses descendantes, soit par voie hormonale via la glande surrénale.
Cette présentation succincte permet de comprendre les interventions thérapeutiques dans la dermatite atopique.
Les traitements locaux ont pour but de rétablir une continuité épithéliale par les émollients et de diminuer l’inflammation périphérique par les dermocorticoïdes.
Les traitements généraux ont surtout pour cible les lymphocytes T. C’est le rôle des immunosuppresseurs comme la cyclosporine et des traitements ciblés récents bloquant les interleukines produites par les Th 2.
LES PETITS SIGNES CLINIQUES À CONNAÎTRE
Au niveau de l’œil :
• le repli sous- palpébral (signe de Dennie Morgan ou troisième paupière), relativement fréquent et spécifique,
• l’épilation de la queue du sourcil (signe de Hertoghe), moins spécifique,
• la pigmentation bleuâtre de l’orbite tranchant sur la pâleur du visage,
• la conjonctivite accompagnant les poussées de rhinite vasomotrice,
• la kérato-conjonctivite vernale pouvant entraîner la formation d’une taie cicatricielle,
• la cataracte et surtout le keratocône, rare mais sévère.
En rapport avec la peau sèche :
• ichtyose, squames rhomboïdales prédominant aux membres inférieurs,
• eczéma craquelé (ou astéatotique) apparaissant en hiver au niveau des flancs, autrefois attribué à un état carentiel,
• kératodermie ou eczéma des mains, souvent fissuraire,
• eczéma folliculaire et kératose pilaire rouge apparaissant surtout à la face externe des membres,
• kératodermie plantaire de l’adolescent, favorisée par l’humidité et le port de semelles imperméables.
Les signes biologiques :
• éosinophilie et dosage des IgE sont inconstants et d’interprétation parfois très délicate.
PRISE EN CHARGE
Les traitements nouveaux très spécialisés ne s’adressent qu’aux cas résistants à une thérapeutique locale bien conduite (5). La prise en charge commence par des conseils d’hygiène, un traitement local et une éducation thérapeutique.
→ Soins d’hygiène et traitement local Les recommandations d'hygiène quotidienne doivent être précises. La toilette s'effectue à l'eau tiède. L'utilisation du savon est déconseillée. Le lavage doit être bref. Les croûtes sont enlevées mécaniquement, de façon ménagée. L’utilisation de syndet, d’huile de bain et de sels de bain peut être conseillée.
Il peut s’agir de produits captant des molécules d’eau comme le glycérol ou l’urée (mais sa présence peut entraîner un picotement) ou limitant l’évaporation, comme la vaseline.
Le choix se porte sur des produits non allergisants sans parfum.
■ L’utilisation des émollients justifie une prescription. Elle doit être précoce, régulière et quantitativement suffisante. Les émollients proposés tôt dans la vie pourraient prévenir les sensibilisations ultérieures par voie cutanée (dermatite de contact), mais également par voie digestive et respiratoire. L’application doit être réalisée deux fois par jour, en particulier sur peau humide après la toilette. La quantité de produit à utiliser doit être suffisante de l’ordre de 250 à 500 mg par semaine pour un adulte. Une prescription d’émollients bien suivie permet d’économiser l’application de dermocorticoïdes et de limiter leur administration dans le temps.
■ Les dermocorticoïdes sont proposés avec une posologie précise. La dose à appliquer suit la règle de la phalange : la quantité exprimée d’un tube sur la longueur d’une phalange sert à traiter une surface de deux paumes de main soit 2 % de surface corporelle. Un tube de 30 g pour deux semaines met à l’abri de tout effet systémique, quelle que soit la puissance du corticoïde. Les corticoïdes de faible puissance (désonides) ne sont pas conseillés en attaque : peu efficaces, ils peuvent aussi être allergisants.
Une application quotidienne de dermocorticoïde est en général suffisante.
Dès la régression du prurit, une décroissance ménagée du traitement local peut être envisagée en écartant les applications ou par l’utilisation d’un corticoïde moins puissant.
En dehors des poussées, un traitement proactif peut être proposé, avec deux applications par semaine sur les zones habituellement inflammatoires.
■ Les inhibiteurs de la calcineurine (tacrolimus topique) sont réservés aux dermatologues en cas d’eczéma résistant aux dermocorticoïdes. Le volume de la molécule rend son absorption malaisée, d’où une utilisation deux fois par jour en couche épaisse. L’intérêt est l’absence de risque de rebond à l’arrêt du traitement et l’absence d’effet délétère local, permettant une utilisation sur le visage ou les plis.
■ Les anti-infectieux topiques (antiseptique et antibiotique) ne sont pas conseillés, même en cas de présence de staphylocoque doré sur les lésions. Un traitement par ciclopiroxolamine peut être proposé en cas de DA facio-tronculaire dans lesquelles le pityrosporum joue un rôle vraisemblable.
→ L’éducation thérapeutique Elle est essentielle dans la prise en charger de la DA. Elle consiste d’une part à fournir des réponses pertinentes contre l’affection, d’autre part à préciser les modalités du traitement.
Les régimes alimentaires systématiques ne sont pas conseillés (sauf peut-être en cas d’allergie au lait prouvée chez un des deux parents après avis spécialisé). Au contraire, une alimentation diversifiée doit être introduite entre le 4e et le 6e mois chez le nourrisson. En cas d’exacerbation des poussées de DA après prise d’œufs, de lait de soja, de farine ou de cacahuète, une évaluation spécialisée doit précéder la décision d’un régime.
La vaccination est autorisée, sauf pour la grippe et la fièvre jaune dans un contexte d’allergie à l’œuf, nécessitant un avis spécialisé.
Les périodes de grande pollinisation, la pollution urbaine, la fumée de tabac, les poussières domestiques risquent d’être à l’origine de poussées, mais peuvent difficilement faire l’objet de mesures d’éviction.
Il en est de même pour les animaux de compagnie potentiellement susceptibles d’induire des poussées mais sans caractère systématique (le contact avec les bactéries des chiens aurait un effet protecteur).
L’utilisation préventive des pré- ou probiotiques n’a pas montré son intérêt.
Les extraits bruts de plante peuvent entraîner une sensibilisation.
Une supplémentation en vitamines D et E peut être utile.
De façon générale, les médecines alternatives n’ont pas apporté la preuve de leur efficacité.
Le choix d’une profession doit tenir compte du risque de contact ultérieur avec des substances sensibilisantes (coiffure).
La psychothérapie fournit une aide précieuse dans cette prise en charge. Un avis spécialisé est requis. Les techniques habituellement mises en œuvre vont de la psychothérapie à la relaxation et de la thérapie comportementale au training autogène. L’avis d’un psychosomaticien peut être utile.
Des écoles de l’atopie ont été créées pour la prise en charge des enfants atopiques et de leur famille, mais le dispositif est lourd par le personnel soignant à mobiliser et par la disponibilité nécessaire du patient et de son entourage.
→ Les traitements généraux Ils ne s’adressent qu’aux cas les plus graves.
■ Les antimicrobiens systémiques L’antibiothérapie générale est parfois proposée sur des durées courtes en cas de surinfection manifeste caractérisée sur le plan microbiologique.
■ Les sédatifs Les antihistaminiques ont peu d’effet sur le prurit. Les antihistaminiques de première génération (hydroxyzine) peuvent être utiles en poussée en améliorant le sommeil. Les antihistaminiques de 2e génération n’ont pas d’effet, sauf peut-être chez l’adulte et l’enfant de plus de 12 ans, comme la fexofenadine 60 mg à raison de deux fois par jour. Les inhibiteurs de recapture de la sérotonine diminuent notablement l’intensité du prurit mais ils ne concernent que les adultes.
■ La corticothérapie générale Elle peut être proposée en période aiguë pendant un temps court (maximum une semaine) à une posologie n’excédant pas 0,5 mg/kg/jour. Le rapport bénéfice/risque est en général défavorable à moyen terme.
→ La prise en charge spécialisée hospitalière
La photothérapie a un effet favorable sur le prurit, mais elle majore souvent la sécheresse cutanée.
La ciclosporine est proposée à la dose de 3 à 5 mg par kg et par jour. La surveillance régulière de la tension artérielle, de la créatinine, des lipides sanguins est nécessaire. La durée conseillée de traitement devrait être inférieure à deux ans.
Le méthotrexate est parfois prescrit hors AMM selon des modalités comparables au traitement du psoriasis, mais avec une posologie légèrement supérieure : 20 mg/semaine (évaluée chez l’adulte seulement). Il a une efficacité comparable à celle de la ciclosporine.
Le dupilumab est un anti IL-4 et anti IL-13 qui a une action ciblée sur des effecteurs du TH2. Le traitement est proposé en cas d’échec de la ciclosporine. Une conjonctivite sévère peut compliquer le traitement, avec une fréquence significative.
→ Les traitements de demain De nombreux traitements sont en cours d’évaluation. Dans le sillage du dupilumab sont développés un autre anti IL-4 et anti IL-13 (lebrikizumab) : un anti IL-13 (tralokinumab) ; un anti IL-31 (nemolizumab) ; des anti IL-17 et anti IL-33. Par voie locale : le crisaborole, un inhibiteur de la phosphodiestérase 4, est commercialisé aux États-Unis ; le tapinarof est un anti-inflammatoire spécifique aussi utilisé dans le sporiasis, il limite les effets de l’environnement sur l’épiderme. Les inhibiteurs de la kinase janus utilisés par voie orale bloquent une voie de signalisation indispensable à l’inflammation.
CONCLUSION
Le prurit est l’élément central du diagnostic, de la physiopathologie et du traitement de la dermatite atopique. En pratique, plusieurs types de patients sont à considérer :
• l’enfant, pour lequel les problèmes sont l’éducation thérapeutique familiale, le suivi pour expliquer la maladie et le traitement local dans le souci de prévenir l’avenir en limitant les sensibilisations,
• l’adulte et le sujet âgé, pour lesquels le diagnostic est difficile et le rapide retentissement des manifestations sur le plan général justifie souvent un traitement systémique.
Bibliographie
1 - Zhu TH, Zhu TR, Tran KA, Sivamani RK, Shi VY, Epithelial barrier dysfunctions in atopic dermatitis: a skin-gut-lung model linking microbiome alteration and immune dysregulation, Br J Dermatol. 2018 ; 179: 570-581.
2 - Qualitative vs. quantitative atopic dermatitis criteria - in historical and present perspectives.
Andersen RM, Thyssen JP, Maibach HI.
J Eur Acad Dermatol Venereol. 2016 ;30:604-18.
3 - Bos JD, Van Leent EJ, Sillevis Smitt JH, The millennium criteria for the diagnosis of atopic dermatitis. Exp Dermatol. 1998 ;7:132-8.
4 - Weidinger S, Beck LA, Bieber T, Kabashima K, Irvine AD, Atopic dermatitis, Nat Rev Dis Primers. 2018 ;4 :1.
5 - Wollenberg A, Barbarot S, Bieber T and Co, Consensus-based European guidelines for treatment of atopic eczema (atopic dermatitis) in adults and children, J Eur Acad Dermatol Venereol. 2018 ;32 :657-682 and 850-878.
Liens d'intérêts
L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article.
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