La mise sur le marché du Viagra en 1998, puis d’autres inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (IPDE-5) a révolutionné la prise en charge de la dysfonction érectile (DE) (1). En 20 ans, 65 millions d’ordonnances de Viagra ont été prescrites dans le monde. Trente-sept millions d’hommes en ont consommé entre 1998 et 2013, années des premiers génériques. Cependant, 30 % des patients souffrant de DE ne répondent pas au traitement de première intention par IPDE-5 (2, 3).
Souvent condamnés au silence, beaucoup de ces patients évoquent des idées suicidaires. Or, il existe presque toujours une solution qui permet de retrouver une vie sexuelle épanouie. Pour cela, il est essentiel de détecter une cause organique, une fuite caverno-veineuse (FCV) en particulier. La démarche diagnostique repose sur l’échographie-Doppler du pénis avec test pharmacologique.
Le médecin traitant, interlocuteur privilégié des hommes atteints de DE (4), a un rôle clé dans la prise en charge de cette pathologie fréquente.
Quel bilan devant une résistance aux IPDE-5, pour quelles solutions ?
LA DYSFONCTION ÉRECTILE D'ORIGINE VASCULAIRE, C'EST QUOI ?
Il est estimé qu’en France, 2 à 3,6 millions d’hommes sont atteints de DE (30 % des hommes de plus de 40 ans) (5). Des études utilisant l’échographie-Doppler du pénis ont mis en évidence des FCV chez 50 % des patients dont la DE résiste au traitement par les IPDE-5 (2, 3). Si la prévalence augmente avec l’âge, les très jeunes hommes ne sont pas épargnés : 1 à 4 % des moins de 25 ans souffrent d’une DE invalidante, dont 50 % ont une FCV (6).
Cinq clés pour comprendre
La dysfonction érectile est un symptôme défini par l’incapacité persistante ou récurrente (≥ 3 mois) à obtenir ou maintenir une érection du pénis permettant d’avoir un rapport sexuel satisfaisant.
→ La dureté de l’érection est la conséquence d’un double phénomène vasculaire :
– l’afflux de sang dans les corps caverneux (CC),
– le maintien du volume sanguin dans les CC le temps de l’érection (figure 1).
→ L’afflux de sang vers les CC peut être diminué en raison d’une obstruction des artères (athérosclérose, traumatismes), et/ou d’un dysfonctionnement endothélial du tissu érectile (diabète, tabagisme, HTA, …).
→ La sortie trop précoce du sang des CC est la conséquence d’un phénomène pathologique en raison de l’existence d’un réseau veineux anormal (50 % des résistances aux IPDE-5).
→ Ces phénomènes hémodynamiques sont étudiés par l’échographie-Doppler du pénis avec test pharmacologique (injection de substances vasodilatatrices dans les CC.).
→ Toute DE induit une angoisse de performance, un stress, voire un état dépressif, qui dépriment la fonction érectile.
CAS CLINIQUE 1. DE primaire par fuites caverno-veineuses
• Patient de 25 ans, suivi en psychanalyse depuis 3 ans. Il consulte son médecin traitant car il a lu sur Internet qu’il existe des « maladies de la verge qui sont la cause d’impuissance ». Ses érections ont pratiquement disparu à 16 ans. Depuis, il n’y a pas d’érection matinale. Interrogé sur les répercussions de sa dysfonction érectile, le patient indique ses idées suicidaires si une solution n’est pas trouvée. Une première chirurgie d’embolisation de fuites profondes et superficielles lui ont permis de découvrir une sexualité avec pénétration. Insatisfait en raison de la lourdeur des injections, une seconde chirurgie qui neutralise un reliquat de fuites superficielles lui a donné accès à des relations sexuelles aidées par 5 mg de Tadalafil par jour.
LES SIGNES CLINIQUES DE LA DE D'ORIGINE VASCULAIRE
Il existe des questionnaires d’évaluation de la DE (7). Les signes recueillis à l’interrogatoire peuvent être présents dès l’adolescence, chez des hommes qui n’ont jamais eu d’érection satisfaisante en raison de FCV, et pour certains aucun rapport sexuel avec pénétration.
– Bien qu’il n’existe pas de signe pathognomonique d’atteinte organique de la DE, certains permettent d’évoquer une FCV (tableau 1).
– Il est essentiel de repérer l’inefficacité des traitements médicaux de la DE en interrogeant les patients, par exemple sur les raisons d’un abandon du traitement.
L’examen clinique recherche une courbure du pénis, un phimosis, une anomalie testiculaire, des cordons ou de l’albuginée.
DIFFICULTÉS DIAGNOSTIQUES
Le diagnostic des causes organiques d’une DE est complexe car :
– Les IPDE-5 amplifient la réponse aux stimuli de l’érection, mais sont inefficaces en cas de troubles du désir (trouble de la libido, mésentente du couple,…). Les difficultés d’érection lors de la masturbation, ou la disparition des érections matinales permettent d’orienter vers une cause organique.
– Stress, angoisse de performance, voire dépression sont des conséquences fréquentes des DE de cause organique, pouvant être confondues avec la cause.
– La plainte du patient peut être extérieure à la sphère sexuelle (angoisse, dépression, toxicomanie, difficultés du couple, isolement social, …).
– Il faut distinguer les DE des autres dysfonctions sexuelles (baisse de la libido, éjaculation précoce, retardée, anéjaculation).
CAS CLINIQUE 2. DE secondaire par fuites caverno-veineuses
• Patient de 49 ans. Rapports sexuels avec pénétration sans difficulté jusqu’à 45 ans. Apparition de difficultés d’érection, efficacement compensées par du Viagra, puis du tadalafil en cure d’un mois. Depuis un an, le traitement est devenu inefficace. Les érections matinales se produisent une fois par semaine, durent moins de 2 minutes, sans dureté. Lors des stimulations, les érections peuvent atteindre 3 sur 4, mais la détumescence se produit au bout de 3 minutes. La pénétration n'est pas possible. Après une chirurgie d’embolisation, d’exérèse de la veine dorsale profonde et de ligatures de veines à la surface des corps caverneux, les rapports sexuels sont possibles sans médicaments avec 12 mois de recul.
PRÉCAUTIONS D'EMPLOI DES IPDE-5
Contre-indications
À l'inefficacité des IPDE-5 s’ajoutent les contre-indications :
– utilisation de dérivés nitrés (CI formelle).
– antécédent de neuropathie optique ischémique non artéritique (NOIANA).
– toute dyschromie visuelle doit faire interrompre la prise du médicament et requérir un avis ophtalmologique.
– un avis cardiologique est nécessaire avant la prescription d’un IPDE-5 chez les patients en incapacité d'effectuer un effort physique comparable à une relation sexuelle (consensus de Princeton III : marcher 1,5 km en 20 minutes ou monter deux étages en 10 secondes) chez les diabétiques, chez les patients qui présentent des symptômes cardiovasculaires au repos ou à l’effort, ou chez les sédentaires avec des risques cardiovasculaires.
Précautions d’emploi
– Déformations du pénis : angulation, maladie de la Peyronie, phimosis
– Risque accru de priapisme : drépanocytose, myélome multiple, leucémie
– Les patients susceptibles de développer une hypotension artérielle : cardiopathies obstructives, traitements concomitants.
Intolérances aux IPDE-5
Elles détournent les patients de leur utilisation : céphalées, rougeurs du visage, douleurs dorsales, dyschromies visuelles.
QUAND PRESCRIRE UN BILAN ÉTIOLOGIQUE ?
Il doit être pratiqué devant toute DE, et particulièrement en cas d’inefficacité, de contre-indication ou d’intolérance aux IPDE-5. (7)
→ Un bilan biologique doit être prescrit devant toute DE :
– Glycémie, ou hémoglobine glyquée si diabète connu
– Créatininémie
– Bilan hormonal : testostérone totale et biodisponible, TSHus
– Le bilan lipidique entre dans la quantification des FDR CV (tabagisme, recherche d’une HTA, obésité, apnée du sommeil).
→ Devant toute DE résistante au traitement médical per os, l’échographie-Doppler avec test pharmacologique est l’examen complémentaire qui fournit les informations essentielles à la prise en charge (figure 2).
La méthodologie de réalisation de l’échographie-Doppler doit être rigoureuse (8). Au cours de cet examen, l’injection intra-caverneuse de Prostaglandine E1 (Alprostadil), Papavérine, etc. permet de déterminer si la DE est psychogène ou neurologique (forte érection induite par le test) ou vasculaire (érection pharmaco-induite faible). Cette étape diagnostique est essentielle.
Cet examen identifie les insuffisances artérielles, diagnostique les FCV et détecte les maladies de la Peyronie.
À l’issue de cet examen, la situation du patient peut être catégorisée : soit il existe une atteinte essentiellement psychologique ou neurologique, soit l’atteinte est essentiellement vasculaire.
PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE
À toutes les étapes, l’accompagnement du patient et/ou du couple est nécessaire, par le médecin traitant, le recours à un avis sexologique, psychologique ou psychiatrique.
→ Étape 1 : optimisation de l’utilisation des IPDE-5.
– Correction des FDR cardiovasculaires. Elle améliore la DE en agissant sur la composante endothéliale du tissu érectile. Cette étape est d’autant plus importante qu’une DE associée aux facteurs de risques cardiovasculaires marque un risque accru d’évènements cardiovasculaires futurs.
– Adaptation des traitements médicamenteux déprimant la fonction érectile (ex : anti-hypertenseur).
– Correction d’une insuffisance hormonale (7).
– Vérifier la prescription et l’utilisation de l’IPDE-5 : la prise du médicament doit être calée sur l’horaire du rapport sexuel pour le Sildénafil (½ heure avant puis dans les 5 heures après), la prise de Tadalafil ou de Vardénafil peut se faire au long cours à faible dose
– Modifier le type d’IPDE-5 : Tadalafil versus Sildénafil ou Vardénafil. L’association de deux IPDE-5 ou d’autres traitements de la DE n’est pas recommandée par la HAS en raison de l’absence d’étude d’innocuité.
→ Étape 2 : en cas d’échec des mesures précédentes, traitement de la cause organique de la DE (chirurgie des anomalies vasculaires : angioplastie de l’artère iliaque interne et de ses branches dans les insuffisances artérielles, chirurgie des fuites caverno-veineuses (cf. infra), des anomalies urologiques péniennes). L’identification d’une cause organique nécessite un avis spécialisé.
→ Étape 3 : la prescription de prostaglandine E1 (10) en seconde intention.
– La prostaglandine E1 (Alprostadil, prescription d’un médicament d’exception) est un vasorelaxant du tissu érectile des corps caverneux et par ailleurs un inhibiteur de l’agrégation plaquettaire. Il existe trois présentations : injections intra-caverneuses, crème et gel intra-urétral.
– L’utilisation de la forme injectable est la plus efficace. Elle nécessite une éducation du patient (ou de la/du partenaire) à l’auto-injection, un encadrement et un suivi par le prescripteur. On recherche la dose minimale efficace en débutant à 2,5-5 microgrammes, dans le respect des contre-indications. Les risques principaux sont les douleurs à l’injection (10 %), la fibrose caverneuse, les hématomes au point d’injection. L’utilisation doit être prudente en cas de courbure de la verge, maladie de Lapeyronie, phimosis, traitement par anticoagulant ou antiagrégant plaquettaire, traitement anti-hypertenseur.
→ Étape 4 : discuter la mise en place d’un implant pénien par un chirurgien urologue spécialisé (11).
LA CHIRURGIE DES FUITES CAVERNO-VEINEUSES
L’objectif est de supprimer les fuites veineuses responsables d’une sortie trop précoce du sang des corps caverneux, phénomène responsable de la DE (figure 3). L’obtention de résultats durables nécessite une neutralisation des fuites actives, mais également des veines pouvant devenir secondairement la source de nouvelles fuites.
→ Le bilan comporte :
– L’échographie-Doppler du pénis avec test pharmacologique qui fait le diagnostic de FCV, et écarte une participation psychique prédominante à la DE. Le caverno-scanner qui visualise les fuites (figure 3) et guide l’intervention. Comme l’échographie-Doppler pénienne, il doit être réalisé selon un protocole établi.
→ Deux techniques peuvent être employées : l’embolisation des veines, et la ligature/exérèse des multiples veines responsables de fuites (12). En employant les deux simultanément au cours de la même intervention, il est possible de neutraliser plus complètement les fuites et de prévenir les récidives. Un contrôle post-opératoire par échographie-Doppler avec test pharmacologique vérifie le rétablissement des capacités érectiles.
→ Le suivi par le médecin traitant est obligatoire. Chez certains patients, la prescription d’IPDE-5, inefficace avant l’intervention, permet de retrouver confiance (angoisse de performance).
→ Les résultats de la chirurgie des FCV varie selon la technique opératoire. Dans une série en cours de publication, associant chirurgie ouverte et embolisation, après un recul moyen de 14 mois, 82,2 % des patients opérés pouvaient avoir des rapports avec pénétration. Comme pour toute chirurgie vasculaire, une seconde intervention à distance est parfois nécessaire.
CONCLUSION
Si les IPDE-5 sont un traitement de première intention très efficace de la DE, il faut en détecter les résistances (50 % dues à des FCV), les contre-indications et les intolérances. Face aux résistances aux IPDE-5, l’échographie-Doppler du pénis avec test pharmacologique d’érection est l’examen clé qui autorise une prise en charge adaptée à la cause de la DE.
Bibliographie
1- F. Cour et col. Recommandations aux médecins généralistes pour la prise en charge de première intention de la dysfonction érectile. Progrès en Urologie 2005;15:1011-20.
2- Tsertsvadze A. et col. Oral phosphodiesterase-5 inhibitors and hormonal treatments for erectile dysfunction: a systematic review and meta-analysisis. Ann Int Med 2009;3;151(9:650-61.
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6- Tal R. et col. Vasculogenic erectile dysfunction in teenagers: a 5-year multi-institutional experience. BJU Internatinoal 2008;10:646-50.
7- https://www.urofrance.org/congres-et-formations/formation-initiale/refe…
8- Labastie MN et col. Rôle de l’écho Doppler pénien sous stimulation pharmacologique de l’érection, dans le diagnostic et le suivi thérapeutique de la dysfonction érectile par fuite caverno-veineuse. J Med Vasc 2019;44 : 10.1016/j.jdmv.2019.09.003.
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10- Chochina L et col. Intracavernous Injections in Spinal Cord Injured Men With Erectile Dysfunction, a Systematic Review and Meta-Analysis. Sex Med Rev 2016;4(3):257-269
11- Kakpo W. Implantation de prothèse pénienne : indications et résultats. Comité d’andrologie et de médecine sexuelle de l’Association Française d’Urologie.Prog Urol. 2017;27(14):831-835.
12- Shu GL et col. J. Androl. Clinical experience of a refined penile venous stripping surgery procedure for patients with erectile dysfunction: is it a viable option? J Androl. 2010;31(3):271-80.
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