Plus fréquente que ne le pensent de nombreux médecins, la migraine touche 10 à 15 % des adolescents (15 à 20 % des adultes, 5 à 10 % des enfants). Avant la puberté, les garçons sont un peu plus nombreux (60 %) que les filles à en souffrir ; cette tendance s’inverse par la suite (3 à 4 filles pour un garçon) (5,4). La migraine est souvent considérée comme une affection « bénigne » alors qu’elle altère la qualité de vie de ces adolescents et a des répercussions sur leur vie scolaire et parfois personnelle. Mais comment évaluer la douleur d’un adolescent, comment en parler avec lui ?
LE DIAGNOSTIC DE LA MIGRAINE
Purement clinique, le diagnostic repose sur l’écoute «bienveillante»
- Le diagnostic est purement clinique, il se fait en écoutant attentivement l’adolescent décrire ses crises et en recherchant des éléments permettant de les caractériser. Cela nécessite d’aller au delà de la première réponse habituelle des adolescents « tout va bien » et implique une attitude bienveillante et empathique. Il faut laisser d’abord l’adolescent raconter avec son vocabulaire l’apparition de ses troubles, comment il les interprète, leur retentissement sur sa vie, etc.
Dans un deuxième temps, il sera possible de lui faire décrire plus précisément ses symptômes (localisation de sa douleur, intensité, durée, les facteurs déclenchants ou aggravants ou ce qui atténue sa douleur). Ce n’est pas toujours si simple, la maladie chronique provoque souvent une incompréhension de la part de l’entourage et le jeune peut être amené à dissimuler ses douleurs ou au contraire parfois à renforcer ses comportements douloureux. Le dialogue doit chercher à favoriser un échange mutuel qui prend en compte ses possibles sentiments de pudeur, de méfiance, d’opposition et en comprenant que la maladie et la douleur représentent pour l’adolescent une atteinte à son image voire une entrave à son autonomie en cours d’acquisition. Ce dialogue sera d’autant plus facile que sa douleur est « reconnue » et que le jeune n’a pas à la « prouver ».
- L’échelle numérique quantitative (EVA) est un outil simple et bien utile pour ces adolescents qui spontanément ne parlent pas facilement de leur douleur.
Des réactions de courage ou de prestance ou un sentiment antérieur d’incompréhension de la part de leur entourage les amènent à se taire.
- Dans la migraine, la douleur est intense, pratiquement toujours évaluée à plus de 7/10 sur l’échelle de la douleur, souvent pulsatile (« ça tape »), gênant les activités, conduisant le jeune à s’allonger. Elle est souvent accompagnée d’une pâleur, de nausées et/ou de vomissements, d’une phonophobie et d’une photophobie, et habituellement améliorée par le sommeil. La céphalée est le plus fréquemment frontale et bilatérale contrairement à l’unilatéralité habituellement observée chez l’adulte. Une aura, à rechercher systématiquement car pas toujours spontanément signalée, n’est pas rare (plus de 30%).
Chez l’adolescent, l’aura intervient plutôt pendant la céphalée alors que chez l’adulte, elle la précède (1). Elle peut être visuelle (scotome scintillant, phosphènes, tâches colorées, images déformées), sensitive (paresthésies, fourmillements débutant souvent à la main ou au pied, parfois touchant le visage), auditives (sifflements, bourdonnements, hallucinations auditives), motrice (sensation d'engourdissement, de faiblesse musculaire). La crise de migraine peut durer de 10 minutes à deux jours mais le plus souvent, elle dure de plusieurs heures. Un adolescent présentant de telles symptômes est certainement migraineux (4).
- La notion d’antécédents familiaux renforce le diagnostic ; 70 % ont des parents migraineux, mais leurs crises peuvent avoir disparues depuis de nombreuses années ou avoir été étiquetées à tort (« crises de foie », « crise de sinusite »,...). Il faut demander : quelles sont les personnes connues dans la famille pour avoir régulièrement mal à la tête ou connues comme migraineuses ?
A noter qu’à l'adolescence, peuvent survenir aussi des manifestations plus bruyantes : perte de connaissance initiale, manifestations neurologiques (aphasie, agitation, confusions, hemiparésie), qui font souvent errer le diagnostic (4).
- Pas d’examens complémentaires a priori. « Quand la migraine est typique – céphalées sévères évoluant par crises stéréotypées – aucun examen complémentaire n’est justifié. Il ne le serait qu’en cas d’anomalie neurologique, de modification ou d’aggravation des crises, de baisse des résultats scolaires, ... L’absence d’antécédents familiaux, une céphalée difficile à décrire, une localisation occipitale sont des signes appelant à la vigilance », précise Daniel Annequin. A noter qu’une tumeur intracrânienne évolutive donne habituellement d’autres signes que la céphalée (vomissements matinaux, troubles visuels d’installation rapide, …).
Identifier les facteurs déclenchants
Chaque adolescent a des facteurs propres déclenchant ses crises migraineuses qu’il est particulièrement utile d’identifier afin d’envisager avec lui les possibilités éventuelles de les éviter.
- Facteurs physiques : stimulations sensorielles (chaleur, lumière intense, bruit intense, froid, odeurs fortes - parfums, peinture...-), efforts physiques (endurance, effort physique intense, piscine, position tête en bas, chocs sur la tête, roulades...).
Autres facteurs : hypoglycémie, sensation de faim, manque de sommeil ou excès (grasse matinée), transports, épisodes de fièvre, …
- Facteurs psychologiques : les facteurs de stress sont très importants à l’adolescence : les contrariétés, les émotions, une colère, une dispute avec les parents ou la fratrie, la crainte des contrôles scolaires sont régulièrement retrouvés comme facteurs déclenchants de migraine. La migraine dite cataméniale liée à la chute des estrogènes en fin de cycle n’est quasiment jamais en cause chez les adolescentes, les facteurs déclenchants alimentaires ne sont quasiment jamais en cause.
Il est toujours indispensable de bien expliquer que ces facteurs ne sont pas la cause de la migraine, mais qu’ils facilitent la survenue d’une crise.
Différencier des autres céphalées chroniques
- La céphalée de tension. Vraies crises de migraine et céphalées de tension peuvent être intriquées chez un même adolescent. La description attentive des crises permet de les différencier. Les céphalées de tension sont moins intenses que la céphalée migraineuse (environ 4/10 sur l’échelle de la douleur), plus fréquentes, survenant de préférence en fin de journée, elles sont décrites comme diffuses, non pulsatiles, sans signe neurologique accompagnateur ni trouble digestif, et leur retentissement sur l’activité est absent ou modéré. Contrairement aux migraines, elles n’entraînent pas d’absentéisme scolaire. Elles témoignent souvent d’une tension psychologique, d’un stress, d’une fatigue, ...
Seuls l’interrogatoire et l’agenda des céphalées permettent de bien faire la part de chacune ; c'est important car le traitement diffère totalement. La migraine requiert systématiquement une prise médicamenteuse, qui est en revanche inefficace et à évitée pour la céphalée de tension généralement apaisée par des paroles rassurantes, une prise alimentaire, du repos. Il faut se focaliser sur les symptômes de la crise la plus sévère pour ne pas passer à coté d’une maladie migraineuse (2).
- La céphalée chronique quotidienne (CCQ) peut se rencontrer à l’adolescence. Il s’agit d’une céphalée présente presque en permanence, induite et renforcée par un abus médicamenteux qui se traduit par la prise quotidienne d’antalgiques sans soulagement. L’interrogatoire permet souvent de découvrir une céphalée épisodique antérieure (migraine ou céphalée de tension) et de déceler une anxiété parfois massive. La CCQ nécessite un une prise en charge psychothérapeutique.
TROIS AXES THERAPEUTIQUES
Informer, comprendre, réassurer
La communication avec le jeune et sa famille, l’information claire sur la maladie et son traitement sont indissociable de la prise en charge (4).
- Avant tout, il importe de dédramatiser et de rassurer l’adolescent et ses parents. La migraine est une maladie, douloureuse, mais sa nature est bénigne et son évolution est souvent favorable avec l’âge. Une majorité verra les crises diminuer ou disparaître avant 20 ans.
- On demande à l’adolescent de tenir un agenda des crises afin de l’aider à identifier les facteurs déclenchants, à évaluer l’efficacité des traitements et permettre au médecin d’apprécier la sévérité de la migraine (fréquence, intensité des crises, signes digestifs associés) et son retentissement sur la vie quotidienne (absentéisme scolaire notamment). Lors de chaque céphalée, sont notés la date, la durée, les facteurs déclenchants, les traitements pris et leur efficacité. « Si un stress, une pression scolaire, des soucis familiaux, peuvent favoriser l'arrivée d'une crise, il est indispensable d’insister, surtout pour les parents (les adolescents migraineux sont souvent suspects de simulation). La migraine n'est pas une maladie psychologique mais une maladie familiale avec une composante génétique majeure », insiste le Dr Annequin. Sur ce « terrain migraineux », des facteurs déclenchants psychologiques vont provoquer une crise, ces facteurs pouvant s’accumuler à certaines périodes (fatigue, contrôles scolaires,…) (7).
- S'enquérir du contexte psychosocial est important. Daniel Annequin relève que « beaucoup d'adolescents vus en consultation spécialisée présentent un niveau de stress ou d'anxiété particulièrement élevé ; ce sont souvent de bons élèves préoccupés par leur niveau scolaire. La conjoncture d'un stress majeur et de la volonté de très bien faire induit une spirale infernale. Il faut expliquer aux parents que ces adolescents sont très sensibles au stress et qu'il est inutile voire nocif d'en rajouter ». L’identification de ces situations de stress, d’anxiété, de difficultés familiales, de problèmes scolaires fait partie de la thérapie et amène au moins le soutien et la compréhension du praticien et parfois une prise en charge. Dans certains cas, seul un changement d'établissement scolaire permettra de baisser la pression spécifique (4).
Traiter rapidement la crise
Le traitement de la crise a pour objectif d’en diminuer la durée et l’intensité. Pour augmenter l’efficacité du médicament, celui-ci est pris le plus précocement possible, dés les premières manifestations céphalalgiques ressenties, ce qui veut dire que l’adolescent doit avoir le produit sur lui, même à l’école. Un certificat dans ce sens sera remis au collège ou au lycée. Attention ce traitement médicamenteux ne concerne que la crise de migraine et non la céphalée de tension ou la CCQ où ils sont inutiles et inefficaces.
Les recommandations de bonne pratique de l’AFSSAPS de juillet 2009 (9) précisent que « Ll’ibuprofène 10 mg/kg doit être privilégié en traitement de crise de migraine (Grade A). Le paracétamol 15 mg/kg reste néanmoins un traitement de crise souvent efficace. Le sumatriptan nasal est à utiliser en deuxième intention à partir de 12 ans (Grade B) » (9).
Attention, la posologie recommandée de l’ibuprofene est de 10 mg/kg c’est à dire un comprimé à 400 mg pour 40 kg. La sécurité et l’efficacité de cet anti-inflammatoire non stéroïdien ont été confirmées dans deux méta-analyses. Le plus souvent, cette prise précoce permet de soulager efficacement la crise, voire de l’éviter. En cas de vomissements ou de nausées intenses, la voie rectale est intéressante (suppositoire de diclofénac 1 mg/kg,).
En cas d’échec trente ou quarante minutesplus tard, on peut prescrire, à partir de 12 ans selon l’AMM, du sumatriptan par voie nasale : une pulvérisation à la dose de 10 mg dans une narine (en précisant sans inhalation mais en pressant ensuite la narine pour que le produit reste au contact de la muqueuse nasale) ; en cas d’échec une posologie de 20 mg peut être prescrite. Quelques effets secondaires sont possibles : douleurs musculaires, sensation d’oppression thoracique, goût amer. « A partir de 30 kg, je prescris un triptan (almotriptan, eletriptan, naratriptan, sumatriptan, zolmitriptan, rizatriptan, frovatriptan) si l’ibuprofene s’avère inefficace », précise Daniel Annequin.
Les produits contenant des opiacés faibles ou forts (codéine, tramadol, dextropopoxyphéne) sont à proscrire du fait de leur fréquente inefficacité et du risque d’abus potentiel. La morphine n’est jamais indiquée.
Des traitements de fond non pharmacologiques : relaxation, auto-hypnose….
L’ANAES, en 2003, a souligné la supériorité des traitements préventifs non médicamenteux de la migraine de l’enfant : « les données de la littérature permettent de conclure à l’efficacité de la relaxation, du rétrocontrôle, des thérapies comportementales et cognitives dans la prévention de la migraine chez l’enfant et l’adolescent, où ces méthodes sont préférables en première intention aux traitements médicamenteux. Il n’est pas possible de conclure à la supériorité d’une de ces thérapies par rapport aux autres » (8).
Un traitement est considéré comme efficace si après 3 à 6 mois, il permet une diminution d’au moins 50 % des crises et de leur intensité, Cet effet est prolongé dans le temps. La difficulté restant est de trouver suffisamment de thérapeutes formés à ces techniques.
En cas d'échec, un changement de milieu de vie doit parfois être envisagé.
Le traitement de fond, à éviter le plus possible
Les traitements médicamenteux de fond ne sont pas préconisés. Ils sont à réserver seulement à ceux souffrant de plus de deux crises de migraine par semaine, mal soulagés par le traitement des crises, handicapés dans leur vie sociale ( absentéisme scolaire, incapacité de pratique de loisirs...) et en échec des traitements non médicamenteux, ce qui représente moins de 5 % des adolescents migraineux..
Ces traitements ne rentrent pas dans le cadre de l’AMM et relèvent du spécialiste. Malgré l’absence actuelle de preuve scientifiquement reconnue de leur efficacité, certaines molécules peuvent être utilisées : amitriptyline, propranolol…,
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