Gastro-entérologie

LA PANCRÉATITE AIGUË

Publié le 14/06/2021
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Pour établir le diagnostic de pancréatite aiguë, deux critères sur trois sont indispensables : une douleur abdominale typique, une élévation significative de la lipasémie, un aspect évocateur à l’imagerie (scanner ou IRM). Une fois le diagnostic établi, une prise en charge hospitalière spécialisée est indispensable. En France, les deux principales étiologies sont l’alcool et la lithiase biliaire.

Crédit photo : PASIEKA/SPL/PHANIE

INTRODUCTION
La pancréatite aiguë (PA) est caractérisée par une inflammation de la glande pancréatique. Il s’agit d’une pathologie fréquente (incidence d’environ 20/100 000 habitants/an) et potentiellement grave. Devant toute suspicion ou diagnostic de pancréatite aiguë, le patient doit être adressé dans un service d’urgences pour une évaluation de la sévérité de la pathologie et une hospitalisation. À la phase initiale, la gravité de la PA est évaluée par la présence ou non d’un syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIS), motivant son admission dans un service conventionnel ou en unité de soins intensifs.

DIAGNOSTIC ET BILAN
Le diagnostic de pancréatite aiguë requiert au moins deux des trois critères suivants (1) :
 • douleur abdominale évocatrice d’une origine pancréatique (transfixiante, de début brutal, de localisation épigastrique, avec irradiation dans le dos, position en « chien de fusil », etc.),
 • lipase sérique supérieure à trois fois la normale (> 3N),
 • imagerie abdominale (scanner ou IRM) évocatrice de pancréatite aiguë.
Il n’est plus indiqué de doser l’amylasémie.
Il n’y a pas d’intérêt à doser la lipasémie chez un malade n’ayant pas de symptôme évocateur de pancréatite, ni pour le monitorage, ni comme élément de sévérité d’une pancréatite aiguë. Ainsi, la lipase ne doit être dosée qu’une seule fois et seulement chez un patient présentant un syndrome abdominal aigu.
Il n’est pas non plus indiqué de doser le CA 19-9 (Carbohydrate Antigen 19-9), qui n’a aucune utilité pour le diagnostic ou le bilan étiologique d’une pancréatite aiguë.
Enfin, le scanner abdominal peut être utile devant une urgence abdominale non étiquetée mais n’est pas nécessaire pour poser le diagnostic de pancréatite aiguë en cas de douleur typique et de lipase supérieure à 3N.

Évaluer la gravité de la PA
La mortalité globale de la pancréatite aiguë est de 0,8 % (2).
La recherche d’un syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIS) est recommandée à l’admission et à 48 heures afin de prédire la sévérité d’une pancréatite aiguë. Le SRIS est défini par la présence d’au moins deux critères parmi : température < 36 °C ou > 38 °C, fréquence cardiaque > 90 bpm, fréquence respiratoire > 20/min et leucocytes > 12G/L ou < 4G/L. Des SRIS à l’admission et persistant à 48 heures sont associés à une mortalité de 8 % et 25 % respectivement (3). Tous les autres scores pronostiques (Ranson, Apache…) ont été abandonnés en pratique courante.
La classification d’Atlanta (4), révisée en 2012, permet de classer la pancréatite selon sa gravité : on note en moyenne 80 % de formes légères ou modérées et 20 % de formes sévères (tableau 1).


En imagerie, il est recommandé de réaliser un scanner abdomino-pelvien injecté et d’utiliser le score CTSI (CT Severity Index), qui évalue la nécrose pancréatique et extra-pancréatique. Il s’agit d’un score pronostique. Idéalement, le scanner doit être réalisé 72 à 96 heures après le début des douleurs.
 • À la phase initiale, le pronostic vital peut être engagé par une défaillance multiviscérale (hémodynamique, respiratoire et/ou rénale).
 • Après la deuxième ou la troisième semaine, le principal risque est l’infection de coulée de nécrose. Il s’agit d’une complication majeure, marquant un tournant évolutif de la maladie et triplant la mortalité. Elle survient dans presque 50 % des formes sévères (nécrosantes), et est caractérisée par une surinfection bactérienne (polymicrobienne) ou fongique de la nécrose pancréatique. Le diagnostic repose sur des arguments cliniques (fièvre persistante ou apparition d’une nouvelle défaillance d’organe) ou radiologiques (bulles d’air au sein de la nécrose au scanner).
 • Après la quatrième semaine, les risques sont liés à l’organisation des collections pancréatiques : nécrose pancréatique circonscrite et pseudo-kyste (qui peuvent se surinfecter, saigner ou comprimer les organes au contact) ainsi qu'aux complications vasculaires (faux anévrismes artériels, maladie thrombo-embolique veineuse).

Établir le bilan étiologique
→ Les différentes étiologies
En France, la lithiase biliaire et l’alcool représentent 80 % des étiologies de pancréatite aiguë. Les autres causes de pancréatite sont listées dans le tableau 2.
 • La lithiase biliaire est la cause la plus fréquente de pancréatite aiguë. Les facteurs de risque de lithiase cholestérolique sont l’âge, le sexe féminin, la multiparité, le surpoids, le jeûne prolongé et certains médicaments (fibrates, œstrogènes). Elle doit être fortement évoquée devant une élévation de l’ALAT à l’admission et en présence de lithiase vésiculaire à l’échographie abdominale.
 • L’alcool est la deuxième cause la plus fréquente de pancréatite aiguë. Elle survient en cas de consommation excessive et prolongée d’alcool (> 35 verres standards d’alcool par semaine pendant au moins 5 ans).
 • Les causes métaboliques ne sont pas rares. L’hypertriglycéridémie est imputable lorsque le taux de triglycérides dépasse le seuil pancréatotoxique de 10 mmol/L ; elle est le plus souvent favorisée par une consommation importante d’alcool ; les hypertriglycéridémies d’origine familiale sont beaucoup plus rares. L’hypercalcémie est imputable lorsque le seuil dépasse 3 mmol/L.
 • Enfin, après 50 ans, il est indispensable de rechercher une sténose canalaire secondaire à une tumeur pancréatique.
→ Le bilan étiologique en pratique
 • Outre l’anamnèse orientée, le bilan initial doit comporter un dosage des enzymes hépatiques, des triglycérides et de la calcémie corrigée. Une échographie abdominale est impérative et urgente (< 24 heures) afin d’objectiver une lithiase vésiculaire avant qu’elle ne soit éventuellement induite par le jeûne.
 • En cas de bilan de première intention négatif, il faudra réaliser une écho-endoscopie et une pancréato­-IRM, à distance de l’épisode de pancréatite, afin de rechercher des calculs vésiculaires, une anomalie ampullaire ou du canal pancréatique principal ainsi que des signes de pancréatite chronique calcifiante débutante.
 • Chez un patient de plus de 50 ans, un scanner abdomino-pelvien injecté (3 temps) ou une pancréato-IRM est indispensable afin d’éliminer un cancer du pancréas.
 • Chez un patient jeune, particulièrement s’il ne s’agit pas du 1er épisode, une cause génétique doit être recherchée. Il n’existe cependant pas de consensus dans la littérature sur l’âge ni sur le nombre requis de poussées. En pratique, dans notre service, cette recherche est réalisée chez tous les patients de moins de 35 ans après une deuxième poussée inexpliquée.



PRISE EN CHARGE
→ Prise en charge à la phase initiale (< 72 heures)
Une hydratation « agressive » par Ringer lactate est recommandée à la phase initiale (5-10 ml/kg). Celle-ci, quand elle est précoce (24 premières heures), est associée à une diminution de la persistance du SRIS et des défaillances d’organes.
La reprise de l’alimentation orale peut être envisagée en cas de pancréatite aiguë modérée, dès que les douleurs abdominales s’amendent.
En cas de pancréatite aiguë sévère, une nutrition entérale (sonde nasogastrique ou nasojéjunale, en cas d’intolérance) est recommandée. Elle permet notamment de diminuer le risque d’infection des coulées de nécrose.
En revanche, une antibiothérapie prophylactique n’est absolument pas recommandée en prévention des complications infectieuses.
La pancréatite aiguë étant associée à un risque augmenté de thromboses veineuses du réseau splanchnique (veines porte, mésentérique ou splénique), une anticoagulation préventive au cours de l’hospitalisation est justifiée (5).
→ Prise en charge à moyen terme (entre 2 et 4 semaines)
Les coulées de nécrose peuvent s’infecter chez environ 30 % des patients, principalement par translocation de germes d’origine digestive (6). Cette complication peut être diagnostiquée par la présence de bulles d’air au sein des coulées de nécrose vues au scanner ou, plus fréquemment, en cas de dégradation de l’état clinique du patient (fièvre, augmentation du syndrome inflammatoire biologique, persistance ou apparition d’une nouvelle défaillance d’organe). Dans ce cas, une antibiothérapie est indiquée. Un drainage des coulées de nécrose doit être retardé au maximum, si possible 4 semaines après le début de la pancréatite, afin de permettre à la nécrose de se « collecter ». Ce drainage peut se faire par voie percutanée et/ou écho-endoscopique. Après ce drainage, plusieurs séances de nécrosectomie endoscopique pourront être réalisées.
→ Prise en charge des complications à long terme (après 8 semaines)
En cas de nécrose organisée ou pseudokyste, un drainage écho-endoscopique est indiqué en cas de compression digestive ou biliaire, en cas de symptômes persistants (douleur abdominale) ou en cas de rupture du canal de Wirsung avec des symptômes persistants (douleur ou obstruction) (1).
En cas de faux anévrisme artériel, une prise en charge radio-interventionnelle (pose de coils) est recommandée, surtout en cas d’hémorragie.
En cas de pancréatite aiguë biliaire, une cholécystectomie est recommandée pour prévenir la récidive. Celle-ci doit se faire rapidement (au cours de l’hospitalisation) en cas de pancréatite aiguë non sévère mais devra être retardée (d’au moins 6 semaines) en cas de pancréatite aiguë sévère.
Chez les patients ayant eu une sphinctérotomie biliaire, la cholécystectomie est recommandée car la sphinctérotomie ne prévient que la récidive de pancréatite aiguë mais pas le risque de cholécystite aiguë ou d’angiocholite (1).
→ Prise en charge après le retour à domicile
En cas de PA alcoolique, un sevrage encadré de l’alcool est indispensable car la poursuite de la consommation éthylique augmente le risque de récidive de pancréatite et d’évolution vers une pancréatite chronique (6). Une prise en charge multidisciplinaire, associant médecin généraliste, gastro-entérologue et addictologue, est capitale pour l’avenir du patient. Le sevrage de l’alcool peut être réalisé en ambulatoire ou lors d’une hospitalisation. Il doit être planifié, et s’inscrire dans le cadre d’un projet addictologique global. Le sevrage ambulatoire doit être encouragé, il est réalisé le plus souvent sous la surveillance médicale du médecin généraliste ou d’une équipe d’addictologie. Ces équipes sont regroupées au sein des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), présents sur l’ensemble du territoire français.
En cas de PA biliaire, après cholécystectomie, aucun régime alimentaire et aucune surveillance ne sont recommandés. Il faut également savoir que le risque de récidive à long terme n’est pas nul (formation d’une lithiase biliaire de novo).
En cas de PA métabolique, le traitement de l’hypercalcémie ou de l’hypertriglycéridémie doit se faire conjointement avec un médecin endocrinologue.



CONCLUSION
Le médecin généraliste tient une place primordiale dans la prise en charge pré et post-hospitalière de la pancréatite aiguë. Le diagnostic est le plus souvent suspecté ou posé avant l’arrivée du malade à l’hôpital devant une douleur typique et une lipasémie > 3N. La lipase ne doit donc être dosée qu’une seule fois (pour le diagnostic) et n’a aucune valeur pronostique ou de sévérité. La gravité d’une pancréatite aiguë est évaluée par la présence d’un SRIS ou de nécrose de la glande pancréatique au scanner. La prise en charge varie en fonction de la sévérité et de l’étiologie de la pancréatite, mais repose de façon générale sur une mise au repos du pancréas (jeûne ou nutrition entérale), un traitement antalgique, une hyperhydratation et une anticoagulation préventive.

Dr Antoine Chupin, Dr Alix Riescher Tuczkiewicz, Dr Guillaume Perrod, Pr Gabriel Rahmi et Pr Christophe Cellier (service de gastro-entérologie et d’endoscopies digestives – hôpital européen Georges-Pompidou – AP-HP Centre – université de Paris, 20, rue Leblanc 75015 Paris)

BIBLIOGRAPHIE
1. IAP/APA evidence-based guidelines for the management of acute pancreatitis. Pancreatology. 2013 Jul;13(4):e1–15.
2. Krishna SG, Kamboj AK, Hart PA, Hinton A, Conwell DL. The Changing Epidemiology of Acute Pancreatitis Hospitalizations: A Decade of Trends and the Impact of Chronic Pancreatitis. Pancreas. 2017 Apr;46(4):482–8.
3. Mofidi R, Duff MD, Wigmore SJ, Madhavan KK, Garden OJ, Parks RW. Association between early systemic inflammatory response, severity of multiorgan dysfunction and death in acute pancreatitis. Br J Surg. 2006 Jun;93(6):738–44.
4. Sarr MG. 2012 revision of the Atlanta Classification of acute pancreatitis. Polish Archives of Internal Medicine. 2013 Jan 25;123(3):118–24.
5. Maire F, Jaıs B. Pancreatites aiguës : tout ce qu’il faut faire et savoir. Hepato Gastro 2018 [Internet]. [cited 2021 Feb 27]. Available from: https://www.jle.com/download/hpg-312640-39859-pancreatites_aigues_tout_…
6. van Dijk SM, Hallensleben NDL, van Santvoort HC, Fockens P, van Goor H, Bruno MJ, et al. Acute pancreatitis: recent advances through randomised trials. Gut. 2017 Nov;66(11):2024–32.


Source : lequotidiendumedecin.fr