INTRODUCTION
La résistance bactérienne aux antibiotiques est l’effet indésirable principal de l’utilisation inappropriée des antibiotiques, qu’elle soit le fruit d’une prescription pour une pathologie non bactérienne, du choix d’une molécule inadaptée ou encore d’une durée trop prolongée. Régulièrement, des sociétés savantes, des agences de santé mettent en garde contre les risques d’impasses thérapeutiques liées à cette augmentation de la résistance bactérienne.
Optimiser le bon usage des antibiotiques est ainsi un enjeu de santé publique. Des guidelines encadrant de façon précise les indications, molécules, posologies et durées de traitements antibiotiques sont régulièrement mises à jour et publiées. Leur application en médecine générale est primordiale. En effet, la majorité des prescriptions d’antibiotiques sont réalisées en médecine de ville (72 % en 2020) (1). Les infections respiratoires hautes (IRH) et basses (IRB) représentent le principal motif de ces prescriptions (43,8 % et 22,7 % respectivement) (2).
Concernant les infections respiratoires hautes, les recommandations les plus récentes concernant le choix des molécules et les durées de traitements sont celles de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) de 2010 (3) et de 2021 (4). L’objectif principal de ces dernières recommandations était de faire disparaître les fourchettes de durée pour favoriser les durées de traitement les plus courtes possibles. Ainsi, la durée de traitement des IRB ne dépasse plus 7 jours, chez l’enfant comme chez l’adulte, avec les molécules de 1re intention.
Après avoir détaillé l’antibiothérapie des infections respiratoires hautes (IRH), nous proposons ici les éléments principaux de ces dernières recommandations pour la prise en charge des IRB chez l’enfant et chez l’adulte avec un focus sur les durées d’antibiothérapies.
BRONCHITE AIGUË DE L’ADULTE SAIN
La bronchite aiguë de l’adulte sain (hors bronchopneumopathie chronique obstructive – BPCO) correspond à une inflammation de l’arbre trachéo-bronchique secondaire à une infection le plus souvent virale survenant généralement à la suite d’une infection des voies aériennes supérieures. L’altération de l’épithélium respiratoire expose les terminaisons nerveuses et les récepteurs aux agents broncho-constricteurs et inflammatoires, entraînant une hyperactivité bronchique et une bronchoconstriction se manifestant par de la toux et une dyspnée. L’aspect purulent des expectorations n’est pas synonyme d’une surinfection bactérienne mais correspond à la nécrose épithéliale liée à l’infection virale et à l’évolution naturelle de la bronchite (5). L’évolution classique est la guérison spontanée en 2 à 3 semaines.
Les voies aériennes respiratoires sont naturellement colonisées par des streptocoques, dont les pneumocoques et d’autres bactéries comme Haemophilus influenzae. Cependant, cette colonisation n’est pas synonyme de surinfection bactérienne chez le sujet sain. L’origine bactérienne de la bronchite aiguë est rare. Les agents pathogènes sont alors Chlamydia pneumoniae, Mycoplasma pneumoniae ou Bordetella pertussis. Ce dernier doit être évoqué devant toute toux persistante au-delà d’un mois chez un individu n’ayant pas bénéficié des rappels vaccinaux recommandés. La recherche de l’agent pathogène responsable, Bordetella pertussis, fait appel à différentes méthodes : examen cytobactériologique des crachats, biologie moléculaire (PCR). La sérologie ne permet qu’un diagnostic rétrospectif.
Prise en charge
L’abstention de prescription d’antibiotiques doit être la règle, y compris chez le tabagique ou le patient bronchitique chronique sans trouble ventilatoire obstructif sévère (cf. paragraphe sur la BPCO).
Éviter les antitussifs, surtout en cas de toux avec expectorations, d’asthme ou d’insuffisance respiratoire (absence d’efficacité prouvée, et ralentissement de clairance mucociliaire qui favorise la guérison). Ceux à base d’antihistaminique sont contre-indiqués chez l’enfant de moins de 24 mois et ceux à base d’opiacés chez les moins de 30 mois. Les antitussifs à base de codéine sont contre-indiqués chez l’enfant de moins de 12 ans.
Les expectorants ou fluidifiants ne sont pas recommandés. Ils sont contre-indiqués chez l’enfant de moins de 2 ans.
La suspicion d’une coqueluche chez un adulte ayant dans son entourage un enfant de moins de 9 mois non encore immunisé peut justifier la prescription à l’adulte d’un macrolide pour diminuer le risque de transmission de la maladie. Les molécules utilisables sont l’azithromycine 500 mg/j (adulte)/20 mg/kg/jour (enfant, max. 500 mg/j) en 1 prise journalière, pour une durée de 3 jours ; la clarithromycine 500-1 000 mg/j (adulte) 15 mg/kg/j (enfant, max. 500 mg 2 x/j) pour une durée de 7 jours, 14 jours si macrolide classique (rovamycine, josamycine – mais ces molécules ne sont pas à privilégier en raison, entre autres, de leur durée de traitement beaucoup plus longue) (6).
EXACERBATION AIGUË DE BRONCHOPNEUMOPATHIE OBSTRUCTIVE CHRONIQUE
Il existe une inflammation chronique de l’arbre trachéo-bronchique induisant une obstruction des bronches qui entraîne une diminution non complètement réversible des débits aériens, se manifestant par une toux avec expectorations pendant au moins trois mois/an et au moins deux années consécutives. Le degré de sévérité du trouble est objectivé par la réalisation d’explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) à distance de tout épisode d’exacerbation avec suivi du volume expiratoire maximal par seconde (VEMS). Ainsi, tout patient présentant ces symptômes doit être adressé à un pneumologue pour mesure du VEMS et l’organisation du suivi sur le plan respiratoire. Cette mesure du VEMS permet d’établir le degré de sévérité de l’atteinte respiratoire et conditionne la prise en charge des exacerbations aiguës de BPCO. L’inflammation chronique favorise la colonisation et la prolifération de la flore bactérienne locale. La kinésithérapie de désencombrement bronchique permet de limiter cette prolifération.
Le diagnostic d’exacerbation aiguë de BPCO se fait devant une acutisation des symptômes respiratoires associant une majoration de la toux, de la purulence des expectorations et de la dyspnée par freinage bronchique. Ces exacerbations peuvent être d’origine infectieuse virale ou bactérienne, le plus souvent dans les suites d’une infection respiratoire haute, mais dans 50 % des cas, il s’agit d’une autre cause, le plus souvent cardiaque, embolique ou médicamenteuse. En cas d’étiologie bactérienne, les principaux agents responsables sont Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae et Moraxella catarrhalis. Cette flore évolue avec le degré de sévérité de la BPCO et, dans les cas de syndrome ventilatoire obstructif sévère, les entérobactéries sécrétrices de bêta lactamases, du Staphylococcus aureus, du Pseudomonas aeruginosa ou encore de l’Acinetobacter peuvent être isolés (3, 5).
Prise en charge
La prévention des exacerbations de BPCO d’origine bactérienne repose sur la vaccination antigrippale annuelle et antipneumococcique tous les 5 ans.
Il n’y a pas lieu de prescrire des antibiotiques chez un patient présentant une BPCO de stade I ou II en exacerbation. Un traitement symptomatique et d’autres mesures associées comme l’arrêt du tabac, l’introduction ou la majoration des bronchodilatateurs en aérosols doseurs ou nébulisation et, parfois, une courte corticothérapie (< 7 jours) par voie générale (à discuter au cas par cas) doivent être proposés en première intention avec une réévaluation à 48-72 heures. Les antitussifs sont contre-indiqués. La kinésithérapie respiratoire est également bénéfique en cas d’encombrement bronchique mais aussi pour le travail des amplitudes respiratoires.
En cas de BPCO de stade III ou IV, une antibiothérapie est recommandée en association avec les mesures citées ci-dessus.
PNEUMOPATHIE AIGUË COMMUNAUTAIRE
La pneumopathie aiguë communautaire (PAC) correspond à une infection du parenchyme pulmonaire d’évolution aiguë d’origine virale ou bactérienne se développant chez un patient ambulatoire.
Les PAC représentent moins de 5 % des infections respiratoires basses aiguës mais restent la première cause de mortalité par maladie infectieuse dans les pays développés, notamment chez le sujet âgé. L’incidence est élevée avec environ 500 000 cas/an en France et augmente avec l’âge. Le terrain est l’élément essentiel du pronostic (7).
La physiopathologie imputable est variable. Elle peut résulter d’une transmission de l’agent pathogène bactérien ou viral par l’inhalation de gouttelettes ou d’aérosols suivie d’une colonisation du nasopharynx, puis de l’atteinte des alvéoles pulmonaires par micro-aspiration. Lorsque la taille de l’inoculum est suffisante et/ou que les défenses immunitaires de l’hôte sont altérées, il en résulte une infection. Le deuxième mécanisme imputable est une réplication incontrôlée de la flore résidente habituelle composant le microbiote pulmonaire à la faveur d’une infection virale ou d’un autre facteur provoquant une dysbiose du microbiote pulmonaire (4). Ce dernier est similaire à celui de la flore ORL avec bactéries anaérobies (Prevotella, Veillonella…) et des streptocoques. Dans tous les cas, la réponse immunitaire de l’hôte à la réplication microbienne dans les alvéoles joue un rôle important dans la détermination de la gravité de la maladie. Une réponse inflammatoire locale peut être suffisante pour contrôler l’infection mais peut également être excessive, conduisant à des lésions tissulaires, un syndrome de détresse respiratoire aiguë et un dysfonctionnement multiviscéral.
Malgré les progrès des diagnostics moléculaires, 50 % des PAC n’ont pas d’étiologie documentée (5). Streptococcus pneumoniae est la bactérie la plus fréquemment en cause (30 à 47 % des cas) avec un taux de mortalité de 10 à 30 % , les formes les plus sévères concernant les jeunes enfants, les personnes âgées, les patients diabétiques, insuffisants cardiaques ou pulmonaires, les alcooliques chroniques, ou encore les patients sous traitement immunosuppresseur.
Les virus (20 à 25 % des cas documentés) sont la seconde étiologie des PAC, suivis par les bactéries intracellulaires et apparentés (principalement Mycoplasma pneumoniae, Chlamydia pneumoniae, Legionella pneumophila), responsables de pneumopathies atypiques, et les bacilles Gram négatif. Chez les personnes âgées de plus de 75 ans dépendantes, institutionnalisées ou non et/ou atteintes d’affections chroniques, Staphylococcus aureus et les entérobactéries représentent 10 à 20 % des cas. En cas de pneumonie d’inhalation, les germes anaérobies de la sphère ORL sont à prendre en compte quel que soit l’âge. La légionellose doit être évoquée dans un contexte épidémique ou devant une « situation à risque » (voyages, thermes, exposition à de l’eau en aérosol chez les patients travaillant dans les réseaux sanitaires…). Son incidence est extrêmement faible (1 500 cas en moyenne/an en France, données Santé publique France), mais sa sévérité (10 % de décès) oblige à savoir l’évoquer.
Chez l’enfant, l’épidémiologie est superposable à celle de l’adulte. Quel que soit l’âge, le risque infectieux le plus important est lié à Streptococcus pneumoniae et surtout avant l’âge de 3 ans. Les bactéries atypiques doivent être évoquées chez l’enfant > 3 ans.
Diagnostic
L’examen clinique (râles crépitants unilatéraux) est à compléter par la réalisation d’une radiographie thoracique.
Selon le contexte épidémique, il est recommandé de faire réaliser des tests de dépistage pour les virus endémiques : grippe, VRS ou Sars-CoV-2. Quand l’origine bactérienne est fortement suspectée, l’antibiothérapie probabiliste doit être instaurée si possible après la réalisation d’un examen cytobactériologique des crachats (ECBC).
Prise en charge
La mise sous antibiothérapie d’un patient présentant une pneumopathie virale n’aura pas d’efficacité sur la durée et l’intensité des symptômes et expose le patient à une altération du microbiote ORL et pulmonaire et au développement secondaire d’une pneumopathie à germes résistants.
Le choix de traiter en ambulatoire ou d’adresser le patient pour hospitalisation repose sur le « bon sens » clinique du praticien, prenant en compte le terrain et les signes de gravité clinique. Si l’âge supérieur à 65 ans est considéré comme un facteur de risque, il faut surtout tenir compte de l’âge physiologique du patient. Les recommandations de la SPILF de 2011 (6) préconisent l’hospitalisation des patients de plus de 65 ans ayant au moins une comorbidité parmi : insuffisance respiratoire, cardiaque, rénale ou hépatique, maladie cérébro-vasculaire, immunosuppression, cancer évolutif notamment broncho-pulmonaire, pneumopathies récidivantes.
En cas de suspicion de pneumopathie bactérienne, Streptococcus pneumoniae doit systématiquement et prioritairement être pris en compte du fait de la fréquence et de la gravité potentielle. Toute suspicion de légionellose doit conduire à une hospitalisation (maladie à déclaration obligatoire).
En l’absence de contexte grippal, la molécule de première intention est l’amoxicilline chez l’enfant et les adultes < 65 ans sans comorbidité, l’amoxicilline-acide clavulanique dans les autres cas. Le patient doit être systématiquement réévalué à 48-72 heures. En cas d’évolution rapidement favorable (T < 37,8 °C et amélioration de l’état général avec constantes vitales correctes, notamment PAS ≥ 90 mmHg, absence de tachycardie, de polypnée et saturation correcte pour l’âge et le terrain respiratoire) à 72 heures du début de l’antibiothérapie, les dernières recommandations de la SPILF proposent une durée de traitement de 5 jours sur la base de plusieurs études ayant montré une efficacité similaire de cette durée de traitement versus une durée plus prolongée (7-8). Si pas d’amélioration à 72 heures : prolonger le traitement jusqu’à 7 jours maximum.
En l’absence d’amélioration à 72 heures de traitement ou en cas de forme évocatrice d’emblée d’une bactérie atypique ou encore en cas d’allergie à la pénicilline, une modification de classe pour la pristinamycine élargissant le spectre aux germes atypiques est recommandée. Chez l’adulte, la durée totale de l’antibiothérapie est identique avec cette molécule. Chez l’enfant, la durée recommandée est encore de 10 jours (9) mais une durée plus courte de 7 jours peut d’ores et déjà être proposée en cas d’évolution favorable.
Les fluoroquinolones antipneumococciques doivent être épargnées au maximum, ne pas être prescrites si le malade en a reçu dans les trois derniers mois (quelle qu’en soit l’indication précédente). Leur impact écologique en termes de sélection de résistance est majeur et leurs effets indésirables importants (tendinopathies, anévrismes aortiques, troubles du rythme cardiaque…).
En 2019, le taux de souches invasives de pneumocoques présentant une sensibilité diminuée et/ou résistantes aux macrolides était de 29 % chez l’enfant et 18 % chez l’adulte. Ce taux élevé fait que ces antibiotiques ne peuvent plus être recommandés en alternative.
En cas de contexte grippal, chez les sujets sains sans signe de gravité, la molécule de première intention est l’amoxicilline/acide clavulanique en raison d’un risque plus élevé d’infection non pas à streptocoque mais à Staphylocoque aureus à la suite de cette infection virale. L’alternative repose sur la pristinamycine.
En cas de pleurésie para-pneumonique non compliquée, la durée de traitement est identique à celle de la PAC. En revanche, en cas de pleurésie purulente (dont la prise en charge devra être hospitalière), la durée est prolongée à 15 jours après la dernière évacuation pleurale (médicale ou chirurgicale).
La prévention des pneumonies à pneumocoque repose sur la vaccination antipneumococcique recommandée chez les sujets âgés de plus de 65 ans, en particulier ceux vivants en institution, les splénectomisés, les drépanocytaires homozygotes, en cas de syndrome néphrotique et chez les insuffisants respiratoires.
La vaccination antigrippale doit être systématiquement proposée chez les sujets de plus de 65 ans et quel que soit l’âge en présence de comorbidités de type insuffisance respiratoire, rénale, cardiaque, antécédent d’AVC, immunosuppression, obésité, grossesse, et entourage de patient à risque de pneumopathie grippale grave.
Dans le contexte pandémique actuel, les rappels vaccinaux pour l’infection à Sars-CoV-2 seront proposés selon l’évolution des recommandations.
Dr Pauline Arias (infectiologue – centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges)
BIBLIOGRAPHIE
1. Rapport Drees janvier 2022. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-01/ER1…
2. Rapport ANSM. La consommation d’antibiotiques en France en 2016 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_antibio_nov2017.pdf
3. Chidiac C. Antibiothérapie par voie générale dans les infections respiratoires basses de l’adulte. Pneumonie aiguë communautaire. Exacerbations de bronchopneumopathie chronique obstructive. Médecine et Maladies Infectieuses. Mai 2011;41(5):221‑8.
4. Gauzit R, Castan B, Bonnet E, Bru JP, Cohen R, Diamantis S, et al. Anti-infectious treatment duration: The SPILF and GPIP French guidelines and recommendations. Infectious Diseases Now. 1 mars 2021;51(2):114‑39.
5. Demoré B, Charmillon A. Traitement des infections respiratoires basses et hautes. Pharmacie Clinique et Thérapeutique. 2018;801-814.e1.
6. Info Antibio n°10, Nov 2010. Coqueluche : indications de l’antibiothérapie https://www.infectiologie.com/UserFiles/File/medias/_documents/ATB/info…
7. Dinh A, et al. Durée courte d’antibiothérapie. Rev Med Interne (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2015.12.003
8. Tansarli GS, Mylonakis E. Systematic Review and Meta-analysis of the Efficacy of Short-Course Antibiotic Treatments for Community-Acquired Pneumonia in Adults. Antimicrobial Agents and Chemotherapy. 27 août 2018;62(9):e00635-18.
9. Guide de prescription d’antibiotiques en pédiatrie - AFPA [Internet]. AFPA Association Française de Pédiatrie Ambulatoire. Disponible sur: https://afpa.org/outil/guide-de-prescription-dantibiotiques-pediatrie
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