Infectiologie

L’ANTIBIOTHÉRAPIE DES INFECTIONS RESPIRATOIRES HAUTES

Publié le 10/10/2022
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Même si ces infections très courantes sont principalement d’origine virale, elles représentent le premier poste de prescription d’antibiotiques en France. Les dernières recommandations encadrent de façon précise les indications et les durées de ces traitements afin de limiter au maximum les effets indésirables et l’émergence de résistances bactériennes.

Crédit photo : GARO/PHANIE

INTRODUCTION
Toute situation clinique conduisant à la prescription d’antibiotique induit un risque d’émergence et de sélection de résistance bactérienne aux antibiotiques au sein des flores commensales, dès la première dose administrée (1). Il existe alors une possible colonisation du patient exposé puis une dissémination de ces bactéries résistantes au sein du foyer familial et de la communauté pouvant conduire à des impasses thérapeutiques futures. Préserver l’efficacité des antibiotiques en les utilisant de la façon la plus raisonnée possible est un enjeu de santé publique.

Diminuer l’exposition des patients aux antibiotiques implique, premièrement, de réduire le nombre de prescriptions en limitant l’utilisation de ces molécules aux situations cliniques dans lesquelles elles apportent un réel bénéfice sur l’évolution clinique, et, deuxièmement, de réduire la durée de prescription. Limiter les durées permet, de plus, de diminuer le risque d’effets indésirables (infections à Clostridium difficile, tendinopathies aux fluoroquinolones…) et d’améliorer l’observance du traitement (2). En revanche, réduire la dose prescrite pourrait conduire à une concentration infrathérapeutique au sein du site infecté, exposant au risque d’échec du traitement et au développement de résistances.

Les infections respiratoires hautes (IRH) et basses (IRB) représentent le principal motif de prescription d’antibiotiques en médecine générale (66,5 %) avec 43,8 % des prescriptions associées à un diagnostic d’IRH et 22,7 % à un diagnostic d’IRB, selon le rapport de 2016 de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) (3). Pourtant, la grande majorité de ces infections sont d’origine virale et ne requièrent pas de prescription d’antibiotique. Des difficultés diagnostiques ou la crainte de complications par surinfection bactérienne secondaire à l’infection virale peuvent expliquer cette surprescription.

Dans ce contexte, et dans le cadre du plan national pour la maîtrise de l’antibiorésistance, la Société de pathologie infectieuse en langue française (SPILF), le Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP) et la Haute Autorité de santé (HAS) ont publié en 2021 des recommandations sur les durées de traitement antibiotique des infections les plus fréquentes en ville (4), dont les IRH. Les deux principaux objectifs étaient de rappeler les situations cliniques dans lesquelles l’abstention de prescription d’antibiotique est recommandée et de faire disparaître les fourchettes de durée pour favoriser les durées de traitement les plus courtes possibles. Ainsi, les durées de traitement des IRH ne dépassent plus 6 jours chez l’adulte et 10 jours chez l’enfant.

Nous proposons ici les éléments principaux de ces dernières recommandations pour la prise en charge des IRH chez l’enfant et chez l’adulte, avec un focus sur les durées d’antibiothérapies. Un prochain article fera le point sur l’antibio­thérapie des infections respiratoires basses (lire Le Généraliste n° 2999).

RHINOPHARYNGITE

Infection des fosses nasales et du pharynx exclusivement d’origine virale. Plus de 200 virus sont susceptibles d’induire une rhinopharyngite.

Prise en charge Abstention de prescription d’antibiotique chez l’adulte comme chez l’enfant. La prescription n’a aucune efficacité, ni sur la durée des symptômes, ni pour la prévention des complications (sinusites et otite moyenne aiguë (OMA) purulentes), quel que soit le terrain.

ANGINE AIGUË

Infection des amygdales palatines, voire de l’ensemble du pharynx, principalement d’origine virale (60 à 90 % selon l’âge). Chez l’adulte, le VIH doit être évoqué.

Parmi les bactéries en cause, le streptocoque bêta-hémolytique du groupe A (SGA) est le plus fréquent. Chez le nourrisson et l’enfant de moins de 3 ans, les angines sont généralement d’origine virale et le streptocoque A est rarement en cause. En revanche, le SGA représente 25 à 40 % des cas d’angine de l’enfant de 3 ans et plus, avec un pic d’incidence entre 5 et 15 ans, et 10 à 25 % des cas de l’adulte (5).

La majorité des angines, qu’elles soient dues à des virus ou à des bactéries, guérissent spontanément en 48-72 heures. L’indication à traiter l’angine à SGA est historiquement liée à la prévention du risque de rhumatisme articulaire aigu (RAA) et de complications locales comme le phlegmon péri-amygdalien secondaire à cette infection. Ces complications sont devenues exceptionnelles dans les pays développés et l’indication du traitement repose essentiellement sur la réduction de la durée des symptômes (modeste et uniquement en cas d’instauration précoce) et sur la réduction de la contagiosité (6). Si plusieurs pays d’Europe du Nord recommandent de ne plus prescrire d’antibiotique dans cette indication (7), la France la maintient pour l’instant.

Ainsi, selon les recommandations françaises, seule l’angine à SGA documentée de l’enfant de plus de 3 ans et de l’adulte justifie la prescription d’antibiotique. Certaines formes cliniques exceptionnelles doivent faire évoquer d’autres étiologies bactériennes (Corynebacterium diphteriae, gonocoque et bactéries anaérobies comme Fusobactérium necrophorum, responsable de l’angine ulcéro-nécrotique de Vincent…) qui relèvent d’une prise en charge spécifique avec recours à des spécialistes (infectiologues et ORL).

Diagnostic Il n’existe pas de signes cliniques suffisamment spécifiques pour distinguer une angine à SGA d’une angine virale. L’utilisation du score de Mac Isaac (cf. tableau 1) est recommandée chez l’adulte mais son taux de sensibilité est de 50 à 75 % en présence de tous les critères. La réalisation d’un test diagnostique rapide (TDR) détectant spécifiquement les antigènes de paroi (polysaccharide C) du SGA à partir d’un prélèvement oropharyngé doit être systématique devant toute angine érythémateuse ou érythémato-pultacée, chez l’enfant de plus de 3 ans ou devant un score de Mac Isaac ≥ 2 chez l’adulte avant la prescription d’antibiotique. La sensibilité et la spécificité élevée de ce test (90 % chacune) permettent de confirmer la cause bactérienne et justifient le traitement antibiotique.

Prise en charge de l’angine aiguë à SGA L’antibiothérapie n’est justifiée qu’en cas de TDR positif. Les molécules de 1re intention, ainsi que leurs alternatives, les posologies et les durées de traitement sont présentées dans le tableau 2. Il n’y a pas lieu de faire une escalade thérapeutique en cas de récidive.



OTITES MOYENNES AIGUËS  

L’otite moyenne aiguë (OMA) purulente est une infection de l’oreille moyenne avec épanchement rétro-tympanique (extériorisé ou non) secondaire à une infection virale du rhinopharynx. L’agression virale de l’épithélium altère la barrière muqueuse et entraîne la disparition du mouvement mucociliaire, ce qui favorise l’adhésion et la prolifération des bactéries commensales de la flore ORL, conduisant à une inflammation et à un œdème local obstruant la trompe d’Eustache, entraînant la constitution d’un épanchement rétro-tympanique qui entretient lui-même la prolifération bactérienne.

Les principales bactéries en cause sont Streptococcus pneumoniae (25 à 40 %), Haemophilus influenae (30 à 40 %), Moraxella catarrhalis et Streptococcus pyogenes (6). L’association à une conjonctivite purulente chez l’enfant est évocatrice d’une infection à Haemophilus influenzae.

Les complications des OMA purulentes sont l’extension locale (mastoïdites, labyrinthites…) et neuroméningée (abcès cérébraux, thrombophlébites septiques…), notamment chez les très jeunes enfants. Elles sont très rares chez l’enfant de plus de 2 ans et l’adulte. La gravité de ces complications potentielles chez le très jeune enfant impose de l’adresser dans un service spécialisé en urgence.

La guérison spontanée en 48-72 heures est l’évolution la plus fréquente et elle augmente avec l’âge (7). L’indication de l’antibiothérapie est donc adaptée en fonction de l’âge du patient. Le bénéfice attendu de l’antibiothérapie au niveau individuel est une diminution plus rapide de la douleur à 48-72 heures mais au prix d’effets secondaires fréquents, et sans permettre d’obtenir une diminution du risque de récidive de l’OMA (8).

Diagnostic L’examen otoscopique est indispensable au diagnostic : seule la visualisation d’un tympan bombé avec disparition du triangle lumineux permet de retenir le diagnostic d’OMA purulente et de discuter l’introduction d’un traitement antibiotique. L’OMA congestive séro-muqueuse ne doit pas conduire à la prescription d’antibiotiques.

Prise en charge Otite moyenne aiguë purulente confirmée par la visualisation des tympans :

• Nourrisson < 3 mois : hospitalisation systématique.

• Enfant < 2 ans : antibiothérapie systématique.

• Enfant > 2 ans et adulte : antibiothérapie différée en fonction de l’évolution clinique après 48-72 heures de traitement symptomatique bien conduit.

En cas de non-visualisation des tympans :

• Enfant < 2 ans avec une forte suspicion clinique : avis spécialisé dans un service hospitalier de pédiatrie générale en urgence. Ne pas débuter d’antibiothérapie avant que l’enfant ait été examiné.

• Enfant > 2 ans et adulte : abstention thérapeutique et réévaluation à 48-72 heures ou consultation spécialisée.

Les molécules de 1re intention, ainsi que leurs alternatives, les posologies et les durées de traitement sont présentées dans le tableau 3.

Remarques Les céphalosporines de 3e génération (C3G) orales sont moins efficaces que l’amoxicilline sur les pneumocoques et ne doivent donc pas être utilisées sauf en cas d’allergie documentée.

Le taux de résistance de H. influenzae par modification des protéines liant les pénicillines est en hausse (26 % des souches en 2018) (9). L’association amoxicilline-acide clavulanique est inefficace sur ce type de résistance. En cas d’échec, il est donc nécessaire de modifier l’antibiothérapie au profit d’une céphalosporine orale. En cas d’allergie, l’association sulfaméthoxazole-triméthoprime peut être prescrite, mais le taux de résistance atteignait les 30 % en 2018.

SINUSITES AIGUËS

Infection des sinus débutant par une forme congestive secondaire à une infection virale du rhinopharynx. L’altération de la barrière muqueuse et du mouvement mucociliaire liée à l’infection virale favorise l’adhérence et la multiplication des bactéries de la flore ORL commensale (Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae, Moraxella catarrhalis, Staphylococcus aureus), ce qui entraîne une réaction inflammatoire et un œdème du sinus qui entretient cette prolifération bactérienne locale (5). La responsabilité des anaérobies est faible et toujours en lien avec la présence d’un foyer dentaire infectieux non pris en charge.

La localisation maxillaire est la plus fréquente chez l’enfant comme chez l’adulte, avec un risque de complication par extension locale (cellulite de la face, abcès sous-cutané, extension aux autres sinus). Les autres localisations (frontale, ethmoïdale, sphénoïdale) sont plus rares mais présentent un risque plus élevé de complications, notamment ophtalmologiques (exophtalmie, œdème palpébral, troubles oculomoteurs, baisse de l’acuité visuelle) ou cérébro-méningées (abcès cérébraux, méningite, thrombophlébite du sinus caverneux…).

Chez l’enfant, la pneumatisation des sinus de la face se fait de façon progressive au cours de la croissance. Les cellules ethmoïdales sont présentes dès la naissance. L’ethmoïdite (œdème palpébral débutant à l’angle interne de l’œil dans un contexte fébrile) peut ainsi se voir dès l’âge de 6 mois avec un pic entre 2 et 7 ans. Les sinus maxillaires sont présents également dès la naissance mais non pneumatisés et communiquent largement avec les fosses nasales ce qui prévient la rétention du mucus. La pneumatisation du sinus sphénoïdal se fait après l’âge de 2 ans et celle du sinus frontal après l’âge de 6 ans. Ainsi, la sinusite maxillaire n’apparaît le plus souvent qu’à partir de l’âge de 3 ans, les sinusites sphénoïdales dès 3–5 ans et la sinusite frontale à partir de 10 ans.

L’évolution favorable sans antibiotiques survient dans plus de 50 % des cas de sinusites maxillaires grâce à la guérison de l’infection virale qui permet la récupération des capacités de drainage du sinus et le contrôle de la surinfection bactérienne par le système immunitaire. Le traitement antibiotique peut donc être temporisé selon l’évolution clinique. En revanche, il doit être systématique en cas d’infection dentaire associée et dans les autres localisations.

Le tableau 4 résume les indications de l’antibio­thérapie dans les sinusites aiguës.

Diagnostic Le caractère purulent lié à surinfection bactérienne secondaire doit être évoqué chez un patient présentant des symptômes de rhinopharyngite/rhinosinusite ET au moins deux des trois critères majeurs suivants :

• persistance ou augmentation des douleurs sinusiennes infra-orbitaires au-delà de 48-72 heures ;

• douleurs à caractère unilatéral pulsatile avec acmé en fin d’après-midi ou la nuit,

• augmentant avec le positionnement de la tête penchée en avant ;

• augmentation de la rhinorrhée et caractère continu de la purulence.

L’unilatéralité de ces symptômes renforce l’hypothèse diagnostique. La persistance de la fièvre au-delà de 3 jours d’évolution constitue un critère mineur.

Prise en charge En cas d’indication à une antibiothérapie (cf. tableau 4), le choix des molécules dépendra de la forme clinique. Les molécules de 1re intention, ainsi que leurs alternatives, les posologies et les durées de traitement sont présentées dans le tableau 5.

Dr Pauline Arias (infectiologue, centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges)

BIBLIOGRAPHIE

1. Ruppé E, Burdet C, Grall N, de Lastours V, Lescure FX, Andremont A, et al. Impact of antibiotics on the intestinal microbiota needs to be re-defined to optimize antibiotic usage. Clinical Microbiology and Infection. 1 janv 2018;24(1):3 5.

2. Dinh A, et al. Durée courte d’antibiothérapie. Rev Med Interne (2015),
http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2015.12.003.

3. Rapport ANSM La consommation d’antibiotiques en France en 2016 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_antibio_nov2017.pdf

4. Haute Autorité de Santé : Choix et durées d’antibiothérapie préconisées dans les infections bactériennes courantes RECOMMANDATION DE BONNE PRATIQUE - Mis en ligne le 27 août 2021. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3278764/fr/choix-et-durees-d-antibiothe…

5. Demoré B, Charmillon A. Traitement des infections respiratoires basses et hautes. Pharmacie Clinique et Thérapeutique. 2018;801-814.e1.

6. Guide de prescription d’antibiotiques en pédiatrie - AFPA [Internet]. AFPA Association Française de Pédiatrie Ambulatoire. Disponible sur : https://afpa.org/outil/guide-de-prescription-dantibiotiques-pediatrie/

7. Antibiothérapie par voie générale en pratique courante dans les infections respiratoires hautes de l’adulte et l’enfant. Argumentaire. Médecine et Maladies Infectieuses. 2011

8. Antibiotics for acute middle ear infection (acute otitis media) in children [Internet]. [cité 26 juill 2022]. Disponible sur : https://www.cochrane.org/CD000219/ARI_antibiotics-for-acute-middle-ear-…

9. Varon E. Rapport d’activité 2020 CNR Pneumocoque. https://cnr-pneumo.com/docman/rapports/46-2020-epidemiologie-2018-2019/…

10. Fiche Haemophilus influenzae. Santé publique France https://www.santepubliquefrance.fr/media/files/01-maladies-et-traumatis…

11. Couloigner PV, Jean P, Treluyer M. AINS et infections ORL pédiatriques. :49.


Source : lequotidiendumedecin.fr