Hépatologie

LE DÉPISTAGE DES MALADIES CHRONIQUES DU FOIE

Publié le 26/06/2023
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Le dépistage des maladies chroniques du foie est essentiel en médecine générale. En effet, la plupart de ces pathologies sont asymptomatiques et environ 20 % d’entre elles peuvent progresser insidieusement vers la cirrhose et ses complications, dont le cancer primitif du foie. C’est pourquoi repérer les principales causes de maladie du foie et dépister la fibrose hépatique est important en soins primaires.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

INTRODUCTION

Les maladies chroniques du foie sont définies par une atteinte hépatique évoluant depuis au moins six mois. En France, on estime que près de 20 millions de personnes sont à risque de maladie chronique du foie (1). Nombreuses sont celles qui ont une maladie chronique du foie et l’ignorent. En effet, la plupart des hépatopathies chroniques sont asymptomatiques, même au stade de cirrhose. L’histoire naturelle des hépatopathies chroniques débute par une inflammation intra-hépatique qui induit la fibrose hépatique, dont le stade le plus sévère est la cirrhose. Cette dernière expose à des risques de complications qui grèvent le pronostic : le cancer primitif du foie (le carcinome hépatocellulaire (CHC) et, plus rarement, le cholangiocarcinome intrahépatique) et la décompensation, qui peut prendre plusieurs formes (ascite, encéphalopathie hépatique, ictère, hémorragie digestive). Dans 80 % des cas, le CHC survient sur un foie cirrhotique. Plus rarement, les tumeurs malignes primitives du foie se développent sur foie non cirrhotique (15-20 %), exceptionnellement sur un foie sain.

Les principales causes de maladies chroniques du foie sont la consommation excessive d’alcool, le syndrome métabolique (pouvant induire une stéatose puis une NASH - Non Alcoolic Steato-­Hepatitis), les infections par les virus des hépatites virales (B, C, Delta), l’hémochromatose et les maladies rares du foie (2). Excepté les maladies rares, dépister ces pathologies très largement asymptomatiques est le seul moyen pour intervenir avant le stade de cirrhose ou de ses complications et ainsi mettre en place un traitement spécifique. Pour autant, chez une personne a priori dénuée de facteurs de risque, un bilan hépatique régulier après 45 ans, ou réalisé au cours d’un bilan sanguin pour une autre pathologie, pourrait être utile. L’intérêt d’une telle démarche reste toutefois à démontrer.

LE DÉPISTAGE DE LA FIBROSE HÉPATIQUE

Pourquoi dépister la fibrose hépatique ?

Il faut la dépister car la prévalence des maladies hépatiques chroniques sévères est élevée. En France, environ 200 000 personnes auraient une cirrhose (dans 70 % des cas, compensée et asymptomatique). L’incidence annuelle est estimée entre 150 et 200 cirrhoses par million d’habitants. Le diagnostic survient en moyenne à l’âge de 50 ans (2). Globalement, environ 15 000 personnes décèdent d’une cirrhose chaque année en France, dont 9 000 de CHC.

Il faut dépister la fibrose hépatique avancée car elle constitue un facteur de risque de cancer primitif du foie, l’incidence du CHC étant en augmentation. Or, un dépistage semestriel du cancer primitif du foie chez les patients atteints de fibrose hépatique avancée, notamment de cirrhose, permet d’augmenter la proportion de petites tumeurs accessibles à un traitement curatif ainsi que la survie des patients.

Le dépistage de la fibrose hépatique est également nécessaire car il existe une prise en charge spécifique pour chaque cause de maladie du foie, permettant une régression de la fibrose hépatique et donc une diminution du risque de cirrhose et de ses complications. Enfin, le dépistage est justifié par le caractère asymptomatique de la fibrose hépatique.

À qui proposer un dépistage de la fibrose hépatique ?

Le dépistage de la fibrose hépatique doit être proposé à toute personne ayant au moins un facteur de risque de fibrose hépatique : la consommation excessive d’alcool, le syndrome métabolique et notamment le diabète et le surpoids (et l’obésité), les hépatites virales C (contamination parentérale) et B (contamination parentérale ou sexuelle). C’est donc principalement au médecin traitant que revient ce rôle, en fonction des facteurs de risque de son patient.

Comment dépister la fibrose hépatique ?

Le bilan hépatique habituel comprend le dosage des ASAT (aspartate aminotransférase), ALAT (alanine aminotransférase), de la GGT (gamma-glutamyl transpeptidase), des phosphatases alcalines et de la bilirubine totale, conjuguée et non conjuguée.

Les normes n’étant pas standardisées, elles sont variables selon des laboratoires d’analyses médicales.

Une anomalie du bilan sanguin hépatique n’est pas synonyme de fibrose hépatique : la cytolyse (élévation du taux de l’ASAT et de l’ALAT) reflète une agression des hépatocytes par un agent causal (alcool, virus des hépatites virales…). La cholestase (élévation du taux des phosphatases alcalines et des GGT) reflète une atteinte des voies biliaires.

Le score FIB-4 peut être utilisé pour exclure une fibrose hépatique sévère. Dans certains laboratoires d’analyses médicales, il est calculé automatiquement lorsque le médecin a prescrit conjointement un dosage de transaminases et de plaquettes. Ce test a de nombreux faux positifs qu’il faut prendre en compte. Il ne doit pas être utilisé chez les patients de plus de 65 ans ni chez les patients qui ont une cause connue de thrombopénie (patient traité par chimiothérapie par exemple) ou de cytolyse hépatique (toxicité hépatique d’un médicament, insuffisance cardiaque, pathologie musculaire…). En cas d’élévation, le score FIB-4 doit être contrôlé et, si l’élévation est confirmée, un test non invasif spécialisé doit être réalisé.

LE FIB-4

Le FIB-4 est un très bon test de débrouillage. Simple et pouvant être calculé automatiquement, il remplit tous les prérequis d’un test de repérage en soins primaires. Il est calculé à partir de quatre paramètres : âge, plaquettes,
ALAT et ASAT.

Il est bas dans 80 à 85 % des cas, permettant d’exclure une fibrose hépatique. Dans 15 à 20 % des cas, il suggère un risque de fibrose hépatique.

Un résultat du FIB-4 en deçà de 1,30 élimine à 93 % le risque de maladie hépatique sévère ; au-delà, cela fait suspecter une hépatopathie chronique avancée. Au-delà d’une valeur de 2,67, il existe un fort risque de maladie hépatique avec une valeur prédictive positive de 66 %. La « zone grise », située entre ces deux valeurs, doit inciter à renouveler le calcul du FIB-4.

Une mesure de l’élasticité hépatique (FibroScan ou échographe munis d’une sonde…) ou par un marqueur sanguin spécialisé (Fibromètre, Fibrotest, Enhanced Liver Fibrosis) doit être réalisée en seconde intention si le marqueur sanguin simple suggère la présence d’une hépatopathie chronique avancée. Ensuite, une consultation spécialisée doit être sollicitée si le marqueur de deuxième intention confirme la suspicion de fibrose hépatique avancée.

La fibrose hépatique doit être systématiquement évaluée, en première intention de manière non invasive. La mesure de l’élasticité hépatique peut être utilisée en prenant des seuils spécifiques. En effet, les seuils d’élasticité hépatique permettant de suspecter une fibrose hépatique avancée varient en fonction des causes de maladies chroniques du foie et de la valeur des transaminases.

Ainsi, les valeurs suggestives de fibrose hépatique exprimées en kPa diffèrent pour chaque cas, selon l’origine de l’atteinte hépatique (VHB, VHC, NASH…) et les taux de transaminases.

LES CAUSES DE FIBROSE HÉPATIQUE

Les troubles de l’usage de l’alcool

Ces troubles sont graves et potentiellement mortels. Une enquête menée en 2017 chez 25 319 adultes de 18-75 ans a identifié des consommateurs quotidiens (1 Français sur 10) et hebdomadaires (4 Français sur 10) (3). En 2019, 5 % des 15-64 ans buvaient plus de 20 g/j d’alcool (4). Le taux de mortalité par cirrhose liée à l’alcool pour 100 000 individus en France était estimé en 2015 à 14,9 pour les hommes et 5,2 pour les femmes, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives.

Une consommation quotidienne d’alcool est associée à des risques pour la santé qui sont proportionnels à la quantité ingérée. Bien que cette toxicité ne concerne pas uniformément tous les organes, le risque global existe dès 1 à 2 unités standard par jour (5).

À titre de repère, une consommation d’alcool hebdomadaire de 10 verres ne devrait pas être dépassée en population générale pour éviter les risques globaux pour la santé. Concernant spécifiquement le risque de cirrhose liée à l’alcool, il est recommandé de ne pas dépasser une consommation de 14 verres par semaine chez la femme et 21 verres par semaine chez l’homme. Malgré l’absence de données spécifiques au risque hépatique, une journée sans alcool au cours de chaque semaine devrait être observée.

L’évaluation de la consommation d’alcool doit être systématique en consultation médicale. En France, l’alcool est un des facteurs rencontrés dans près de trois quarts des cas de cirrhose (seul ou associé à un autre facteur de risque) (6).

Pour sa simplicité, le questionnaire Audit-C doit être privilégié en médecine générale et en consultation spécialisée pour le repérage d’une consommation excessive d’alcool. Le médecin peut en laisser des exemplaires dans sa salle d’attente. D’un coup d’œil, il peut réaliser l’existence chez son patient d’un problème avec l’alcool (lire Le Généraliste n° 3029). Cela peut ouvrir la discussion, sorte de « main tendue » peut-être attendue par le patient depuis des années.

Les marqueurs biologiques n’ont pas d’utilité dans le repérage systématique du mésusage d’alcool (GGT, volume globulaire moyen, transferrine désialylée) (5).

Dans le diagnostic non invasif de la fibrose au cours de la maladie du foie liée à l’alcool, en première intention, il est recommandé d’effectuer un FibroScan ou un test sanguin spécialisé (Fibrotest ou Fibromètre Alcool) (5).

La NAFLD

La stéatopathie métabolique (NAFLD pour non-alcoholic fatty liver disease) touche 25 % de la population et est devenue la première cause de maladie chronique du foie. La stéatohépatite non-alcoolique (NASH pour non-alcoholic steatohepatitis), définie par la présence d’une stéatose hépatique avec inflammation lobulaire et ballonnisation des hépatocytes, correspond à la forme agressive de la maladie qui favorise l’accumulation de fibrose dans le parenchyme hépatique, pouvant ainsi évoluer jusqu’au stade de cirrhose et ses complications. En pratique clinique, un challenge pour les médecins est d’identifier, parmi la très grande population de patients avec stéatopathie métabolique, le petit sous-groupe qui développe une hépatopathie chronique avancée et qui nécessitera une prise en charge hépatique spécialisée.

La stéatopathie métabolique est l’expression hépatique du syndrome métabolique et les accidents cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez ces patients. Les personnes diabétiques, en surpoids ou souffrant d’affections liées au syndrome métabolique (syndrome des apnées du sommeil, syndrome des ovaires polykystiques (SOPK)…) sont particulièrement à risque. En France, la prévalence de la NAFLD au stade de fibrose avancée/cirrhose dans la cohorte Constances (2020) était de 16,7 %, soit 220 000 personnes. Parmi l’ensemble des personnes ayant une NAFLD, 2 à 3 % auront une fibrose sévère et 1 % une cirrhose, exposant à un risque de carcinome hépatocellulaire (la NAFLD est la maladie sous-jacente aux cancers primitifs hépatiques dans environ 25 % des cas) ou à des complications (insuffisance hépatique, encéphalopathie, rupture de varice, ascite, syndrome hépatorénal).

La stéatopathie métabolique doit être évoquée devant la mise en évidence d’une stéatose hépatique, d’une anomalie des enzymes hépatiques, ou d’une hyperferritinémie dans un contexte de terrain métabolique.

L’Association française pour l’étude du foie (AFEF) a balisé en 2020 le repérage et le diagnostic de la stéatopathie non alcoolique à l’aide des méthodes non invasives (6). La fibrose hépatique doit être évaluée en première intention, au moyen d’un marqueur sanguin simple (score d’évaluation de la fibrose basé sur l’âge : le FIB-4 prenant en compte les taux des plaquettes, d’ALAT et d’ASAT). Un bémol : les tests sanguins spécialisés et l’élastométrie ne sont pas remboursés dans la NAFLD.

Les hépatites virales

L’hépatite B Le dépistage sérologique d’une infection par le virus de l’hépatite B repose sur la détection simultanée de l’antigène HBs, de l’anticorps anti-HBs et de l’anticorps anti-HBc. Le profil obtenu permet de classer le patient comme : « infecté par le virus » (antigène HBs positif), « vacciné contre le virus » (anticorps anti-HBs > 10 mUI/ml et anticorps anti-HBc négatif) ou « ayant été en contact avec le virus » (antigène HBs négatif et anticorps anti-HBc positif) (6). Des sérologies VIH, hépatites C et D doivent systématiquement être effectuées pour éliminer une co-infection virale. Si le dépistage de l’antigène HBs est positif, le patient doit être adressé à un spécialiste pour évaluation complète et éventuel traitement. Les marqueurs sanguins (Fibrotest, Fibromètre) peuvent être utilisés mais leurs résultats doivent être interprétés en tenant compte du risque accru de sous-estimation de la fibrose dans ce cas précis d’infection par le VHB.

L’hépatite C Alors même que l’hépatite C est la seule maladie hépatique virale chronique à pouvoir être fréquemment guérie (dans 95 % des cas), on estime à 70 000 à 75 000 le nombre de personnes encore porteuses du virus en France et jamais dépistées (7). Pour y parvenir, le dépistage systématique serait une solution, mais qui fait débat. Bien que la Haute Autorité de santé ait reconnu en décembre 2016 que « le dépistage ciblé en fonction des facteurs de risque présentait des limites et contribuait à la persistance d’une épidémie cachée de l’infection VHC », elle écarte l’élargissement du dépistage du VHC à la population générale. Or, si les populations à haut risque d’infection par le virus de l’hépatite C sont bien identifiées, en l’occurrence les hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes, les usagers de drogues IV, les transfusés avant 1992, etc., environ 20 % des patients infectés par le VHC ne font pas partie de ces groupes à risque. L’observatoire Angh Kidepist (2018) suggère qu’en médecine générale, un dépistage systématique des patients de plus de 40 ans permettrait de dépister 90 % des patients infectés par le VHC. En 2023, le dépistage ciblé du VHC chez les personnes qui ont un ou plusieurs facteurs de risque est donc recommandé en France depuis de nombreuses années. L’AFEF préconise pour sa part que le dépistage de l’infection par le VHC soit réalisé chez l’ensemble des adultes n’ayant jamais été dépistés (6).

Toutes les méthodes sérologiques et virologiques rapides (Trod, Xpert HCV viral load Fingerstick, Genedrive HCV ID Kit) peuvent être utilisées en fonction du contexte.

En cas de test de dépistage positif, il est recommandé d’effectuer une charge virale C à la recherche d’une réplication active du virus.

L’hémochromatose génétique

La prévalence de l’hémochromatose, qui n’est pas une maladie rare, se situe entre 0,2 et 0,3 %. Le diagnostic est possible avec des symptômes (fatigue, douleurs articulaires), un coefficient de saturation de la transferrine supérieur à 45 % et des antécédents familiaux de premier degré. Le diagnostic est posé après confirmation de l’augmentation du coefficient de la transferrine sur un second prélèvement, dosage réalisé à jeun.

Le résultat doit être interprété avec prudence en cas d’évènement clinique aigu ou d’insuffisance hépato­cellulaire en raison du risque d’hypotransferrinémie. Le coefficient de saturation de la transferrine est calculé à partir du dosage du fer sérique et du dosage de la transferrine. Tandis que la ferritine reflète le niveau du stock de fer, le coefficient de saturation de la transferrine indique l’activité de transport de fer aux cellules, et ainsi le niveau de fer disponible dans l’organisme, par exemple pour l’érythropoïèse. Si le coefficient de saturation de la transferrine est supérieur à 45 % sur deux prélèvements effectués à jeun, le diagnostic d’une hémochromatose génétique repose sur la mise en évidence d’une homozygotie pour la mutation majeure C282Y du gène HFE.

Hélène Joubert (rédaction) avec le Pr Nathalie Ganne-Carrié (cheffe du service d’hépatologie, hôpital Avicenne, Bobigny)

BIBLIOGRAPHIE

1. Présentation de Nathalie Ganne-Carrié. Bobigny, JFHOD, 2023. Conférence intitulée « Faut-il un dépistage des maladies du foie ? Chez qui ? », 18 mars 2023.
2. Inserm. Cirrhose. Une maladie du foie d’origine inflammatoire, 2017.
3. Richard JB, et al. La consommation d’alcool chez les adultes en France en 2017. BEH, 2019, n° 5-6, p. 89-97.
4. Andler R, et al. Nouveau repère de consommation d’alcool et usage : résultats du baromètre de Santé publique France 2017. BEH, 2019, n° 10-11, p. 180-187.
5. Alexandre Louvet A. et al. Prise en charge de la maladie du foie liée à l’alcool. Recommandations de l’Association française pour l’étude du foie et de la Société française, janvier 2021.
6. Association française pour l’étude du foie (AFEF). Recommandations pour le diagnostic et le suivi non-invasif des maladies. Chroniques du foie 2020. Coordonné par le Pr Victor de Lédinghen, service d’hépatologie et gastro-entérologie (CHU de Bordeaux, Haut-Lévêque).
7. Brouard C, Le Strat Y, Larsen C, Jauffret-Roustide M, Lot F, Pillonel J. The undiagnosed chronically-infected HCV population in France. Implications for expanded testing recommendations in 2014. PLoS One 2015;10:e0126920


Source : Le Généraliste