Le cancer de la prostate est le cancer masculin le plus fréquent en France et dans les pays occidentaux. Avec environ 71 000 nouveaux cas estimés en 2011 en France métropolitaine, il se situe au premier rang des cancers incidents chez l’homme, nettement devant les cancers du poumon (27 500 cas) et du côlon-rectum (21 500 cas) (1).
L'incidence est plus élevée aux Antilles qu'en métropole, notamment en Martinique et en Guadeloupe. En ce qui concerne la mortalité, on estime à 8 700 le nombre de décès par cancer de la prostate, toujours en 2011, ce qui place cette pathologie au 3e rang des décès par cancer chez l’homme (2e rang les années précédentes), derrière le cancer colorectal (9 200 décès) et le cancer du poumon (21 000 décès).
Le dépistage systématique de ce cancer n'étant actuellement pas recommandé, que ce soit en population générale ou chez les hommes présentant des facteurs de risque (2), la question est de savoir comment procéder pour repérer à temps les formes agressives sans risquer de mettre au jour, et donc de traiter inutilement des formes qui auraient eu de bonnes chances de rester latentes.
DÉPISTAGE : OU EN EST-ON ?
HAS : pas de dépistage à grande échelle
En ce qui concerne la population générale, la HAS indique en 2010, renouvelant en cela sa position de 2004 que le dépistage systématique du cancer de la prostate par dosage du PSA (Prostate Specific Antigen) n'est pas justifié (3). Elle souligne notamment le risque de sur-diagnostic (sous-entendu le risque de diagnostiquer une tumeur qui serait restée cliniquement non significative durant la vie du patient) et de surtraitement qui en découle, incluant les effets délétères potentiels des différents actes pratiqués dans ce contexte.
S'agissant des hommes présentant des facteurs de risque, la HAS précise en 2012 qu’il n’a pas été retrouvé d’éléments scientifiques justifiant le dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA dans des populations masculines asymptomatiques considérées comme plus à risque de développer ce cancer (2 ; 4). Elle souligne également l'existence de difficultés pour définir et repérer les hommes à plus haut risque.
Cependant, tant dans la population générale que chez les hommes à risque, le dosage sanguin du PSA est un marqueur utile pour le diagnostic et le suivi du traitement d’un cancer de la prostate. Mais, souligne la HAS, il n'a pas toutes les qualités nécessaires à un test de dépistage (4). En substance, l'Agence rappelle que les hommes intéressés par un dépistage individuel du cancer de la prostate doivent recevoir une information "objective sur les incertitudes concernant le bénéfice de la démarche, et sur les inconvénients et les risques auxquels le dépistage [les] expose à chacune de ses étapes (dosage du PSA, biopsie et traitements). [Ceci afin] de permettre aux hommes qui s’interrogent sur l’intérêt de ce dépistage de prendre autant que faire se peut une décision éclairée (4)".
Le dépistage individuel ou diagnostic précoce
La mortalité par cancer de la prostate est en baisse depuis 1990 et cette baisse s'accentue depuis 2000 (-2,5 % entre 2000 et 2005), et ce dans toutes les tranches d'âge (2). L'amélioration des conditions de prise en charge semble être à l'origine de cette amélioration, mais la part que prend le dépistage dans cette amélioration est difficile à distinguer de celle revenant aux progrès thérapeutiques. Deux grands essais randomisés, l'un américain, l'autre européen, ont été menés ces dernières années afin d’évaluer l’effet du dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA sur la mortalité spécifique.
Dans l'essai américain PLCO (Prostate, Lung, Colorectal And Ovarian Cancer Screening Trial ; 2009 ; réf 5), mené auprès de 76 693 patients, aucune différence significative de mortalité n'a été mise en évidence après 7 à 10 ans de suivi entre le groupe soumis au dépistage par PSA annuel et le groupe ayant bénéficié d'une prise en charge usuelle. "L'interprétation des conclusions de cette étude doit toutefois tenir compte des pratiques en vigueur aux États-Unis, explique le Pr Rischmann. Le dépistage individuel y est très largement implanté, pratiqué par plus de 75 % des patients, ce qui peut expliquer l'absence de différence entre les deux groupes".
Pour l'étude européenne ERSPC (European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer), conduite sur un très large effectif de 182 160 hommes de 50 à 74 ans, on dispose de résultats très récents (2012 ; réf 6). Après 11 ans de suivi en moyenne, la mortalité par cancer de la prostate est réduite de 21 % dans le groupe dépistage, ce chiffre passant à 29 % pour les hommes ayant effectivement réalisé le dépistage, c'est-à-dire après prise en compte du phénomène de non-compliance. "Les résultats sont encore meilleurs si l'on sélectionne les patients les plus anciennement inclus, comme les 20 000 sujets du groupe suédois (inclus en 1993 : ndlr), la différence de mortalité dans ce cas étant proche de 40 %. Ce résultat plaide nettement en faveur du dépistage par PSA.
De nos jours, on voit d'ailleurs beaucoup moins de patients (10 à 20 % actuellement) se présentant initialement avec un cancer prostatique évolué ou au stade métastatique. L'abandon du dosage du PSA conduirait d'ici 10-15 ans à une multiplication par 3 ou 4 du nombre de cancers métastatiques, et par 2 ou 3 du nombre de décès par cancer de la prostate" souligne le Pr Rischmann. C'est ce que prévoit du reste une étude américaine (7), dans laquelle les auteurs estiment, grâce à une modélisation mathématique, qu'en l'absence de dépistage de la population générale par dosage du PSA, l'incidence annuelle des cancers métastatiques serait plus de trois fois supérieure à ce qu'elle est actuellement dans les 9 régions considérées".
Au vu des résultats de l'étude ERSPC, l'Association française d'urologie (AFU) souligne que l’absence actuelle de l’intérêt démontré du dépistage systématique à une échelle populationnelle, que ce soit pour la population générale ou pour une population d’hommes à risque, ne dispense pas d’une démarche de diagnostic précoce (8). L'objectif est de diagnostiquer précocement les formes agressives de cancer de la prostate afin de les traiter à temps, tout en évitant le sur diagnostic et le sur traitement des formes à évolution plus lente (voir aussi encadré 1).
"La démarche de détection précoce associe recherche de facteurs de risque, toucher rectal et dosage du PSA. Elle se justifie à partir de 50 ans en population générale, 45 ans chez les hommes à risque, ainsi que chez tout homme consultant pour des symptômes potentiellement en rapport avec une pathologie prostatique (troubles mictionnels), même bénigne a priori. Ceci afin de diagnostiquer un éventuel cancer prostatique à un âge "utile", c'est-à-dire avant 70 ans".
Qui sont les hommes à risque ?
Sont à risque les hommes ayant un antécédent familial de cancer de la prostate : au moins deux cas collatéraux ou de survenue précoce (avant 55 ans) (10). Le risque de cancer de la prostate est multiplié par 2 à 5 en cas d’antécédents familiaux de ce cancer chez des parents du 1er degré (père, fils), le risque étant plus élevé lorsque 2 parents ou plus sont atteints (4).
L'origine afro-antillaise constitue aussi un facteur de risque.
L’exposition à certains pesticides (chlordécone, utilisée dans la culture de la banane) a été incriminée mais son rôle reste incertain (4).
LES OUTILS DU DIAGNOSTIC PRÉCOCE
Le PSA total
Le dosage sérique du PSA total reflète la présence de certaines pathologies prostatiques : hypertrophie bénigne de la prostate, prostatite, cancer, sans qu'il soit spécifique de l'une ou de l'autre.
Son dosage ne devrait pas être pratiqué isolément et doit toujours être associé à un examen clinique et au toucher rectal, lequel ne modifie pas la valeur obtenue.
L'interprétation du résultat tient compte du contexte clinique : taille de la prostate, âge du sujet… Ainsi, la valeur initiale du PSA total dosé avant l’âge de 50 ans est prédictive du risque ultérieur de cancer de la prostate. Pour un PSA initial inférieur à 0,5 ng/ml, ce risque est inférieur à 7,5 % durant les 25 années à venir. Le risque est multiplié par 2,5 avec un PSA initial compris entre 0,5 et 1 ng/ml, et par 19 pour un PSA initial compris entre 2 et 3 ng/ml. Si à 60 ans, le taux de PSA est inférieur à 1 ng/ml, le risque de décéder d’un cancer de la prostate est inférieur à 2 % et devrait conduire à arrêter tout dosage de PSA ultérieur (10).
La valeur seuil de PSA la plus souvent utilisée pour le diagnostic de cancer de la prostate est de 4 ng/ml, valeur pour laquelle la sensibilité du test est d’environ 90 % et la spécificité d’environ 20 à 30 %, et qui est à moduler en fonction de l'âge et du volume prostatique. Entre 4 et 10 ng/ml, la valeur prédictive positive du PSA est de 25-35 % (sur 10 sujets ayant un PSA compris entre ces deux valeurs, environ 3 ont un cancer, 7 n'en ont pas), et de 50-80 % pour un PSA au-dessus de 10 ng/ml (10). Lorsque le PSA est entre 4 et 10 ng/ml, 70 % des cancers diagnostiqués sont localisés (ne franchissant pas la capsule). Dans 15 % des cas de cancers, le PSA reste normal (un TR normal se trompe une fois sur deux).
Lorsque le PSA est supérieur à 4 ng/ml, la réalisation de biopsies prostatiques échoguidées (12 prélèvements) peut être proposée, après avis de l'urologue (voir aussi encadré 2).
Toute élévation du PSA ne doit pas amener d’emblée à une biopsie, comme le souligne le guide ALD consacré au cancer de la prostate (11). Il peut être utile auparavant de connaître la cinétique du PSA, qui reflète le comportement des cellules prostatiques. Cependant, celle-ci n'est pas supérieure au PSA total seul dans le cadre du diagnostic (10). Elle est utilisée également comme facteur pronostique de survie après prostatectomie totale et après radiothérapie. La vélocité du PSA, exprimée en ng/ml/an, correspond à l’augmentation linéaire du PSA dans le temps. "On considère comme normale une augmentation de 0,7 ng/ml/an, et en cas d'augmentation significative, nous recommandons de confirmer le résultat en contrôlant le taux de PSA après 3 mois". Le temps de doublement correspond au temps que met le taux de PSA pour être multiplié par deux.
La densité du PSA correspond au rapport PSA total / volume prostatique total. Il améliore l'efficacité du PSA en situation de dépistage, l'interprétation du résultat biologique tenant compte du volume prostatique. Mais cette méthode n'est pas recommandée actuellement du fait de la nécessité d'associer une échographie au dosage de PSA (10).
Le PSA libre ne doit jamais être demandé en première intention et son dosage reste réservé à l’urologue en cas de première série de biopsie négative (10). De plus, l'intérêt du rapport PSA libre/PSA total est bien moindre depuis l'utilisation récente du PCA3 (voir infra).
En pratique, l’AFU (12) recommande en 2009 un toucher rectal annuel et un dosage annuel du PSA à partir de 55 ans et jusqu’à l’âge de 70 ans. Chez les hommes à risque, l'âge est avancé à 45 ans. Si après 50 ans, la valeur de PSA initiale est inférieure à 1 ng/ml, les tests pourraient être espacés tous les deux à trois ans. Chez les hommes dont l’espérance de vie est estimée inférieure à 10 ans en raison d’un âge avancé ou de comorbidités sévères, le dépistage n'est pas justifié.
Deux progrès majeurs
Un marqueur biologique diagnostique performant est le PCA3. Il s'agit d'un gène non codant exprimé exclusivement par le cancer de la prostate. Après massage prostatique, on recueille l'ARN messager du PCA3 dans les urines. Le résultat du dosage est rapporté au PSA total urinaire, ce qui permet d'établir un score. "Le PCA3 permet avec une bonne fiabilité de cibler les patients chez qui une 2e série de biopsies est nécessaire, après une 1re série de prélèvements négatifs. En effet, lorsque les biopsies sont effectuées au vu d'anomalies repérées après TR + PSA, le taux de positivité n'est que de 50 %, c'est-à-dire que l'on se trompe une fois sur deux sur l'indication de la biopsie. Si l'on y adjoint le PCA3, ce pourcentage passe à plus de 70 %". Ce test, plus performant que le PSA total seul, n'est pour le moment pas utilisé en routine (9).
L'autre avancée majeure est l'utilisation de l'imagerie, notamment de l'IRM. Celle-ci est actuellement utilisée chez des patients dont le taux de PSA continue d'augmenter malgré une première série de biopsies négatives, afin de juger de l'opportunité d'une seconde série de biopsies. Selon l'AFU, la place de l’IRM prostatique dans le cadre du diagnostic pourrait à l'avenir se situer entre le PSA (› 4ng/ml) et la décision de réaliser ou non la première biopsie (9). "L'IRM est capable de détecter des petites tumeurs, et couplée à l'échographie, la fiabilité de la démarche diagnostique est encore améliorée. Attention, l'échographie prostatique seule n'a pas sa place pour détecter les cancers non palpables au TR (elle en ignore la moitié). Au total, l'utilisation de l'imagerie et du PCA3 va permettre de corriger les 15-20 % de faux négatifs qui entachent les performances de la biopsie. Par ailleurs, l'IRM a récemment été utilisée au plan thérapeutique pour guider la thérapie focale par HIFU (ultra-sons focalisés à haute intensité) chez des patients porteurs d'un cancer de la prostate localisé (13)".
PSA ET SURVEILLANCE ACTIVE
Un mot de cette option thérapeutique, réservée aux tumeurs prostatiques localisées (sans franchissement de la capsule) à faible risque évolutif selon la classification de d'Amico (PSA < 10 + score de Gleason ≤ 6 + stade TNM ≤ T2a [un seul lobe atteint]), avec seulement 1 ou 2 carottes biopsiques envahies sur une série d'au moins 10 prélèvements, chez des patients asymptomatiques avec une espérance de vie supérieure à 10 ans. Elle consiste à ne pas traiter immédiatement ces cancers mais à les suivre étroitement, sans traitement mais tout en restant dans la fenêtre de curabilité en cas d’évolution. La surveillance est basée sur le contrôle du PSA tous les 3 à 6 mois, du TR tous les 6 à 12 mois, et sur la répétition des biopsies tous les 6 à 18 mois (10). La surveillance est arrêtée et un traitement curatif est proposé lorsque le temps de doublement du PSA est inférieur à 3 ans ou bien lorsque le score de Gleason se modifie, ou encore lorsque le nombre de carottes biopsiques positives augmente.
Très récemment, l'étude PIVOT (Prostate cancer Intervention Versus Observation Trial) vient de montrer que la mortalité toutes causes et la mortalité par cancer de la prostate ne diffèrent pas significativement après 12 ans de suivi selon l'option choisie : surveillance active ou prostatectomie totale, chez des patients porteurs d'un cancer de la prostate localisé (14). Un résultat important lorsque l'on sait que la prostatectomie totale constitue à l'heure actuelle le traitement de référence des tumeurs localisées de la prostate chez l’homme de moins de 70 ans (10). C'est dire tout l'intérêt des thérapies focales conservatrices (13).
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