Endocrinologie

LE PRÉ-DIABÈTE

Publié le 09/05/2014
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Face à la progression du diabète le dépistage précoce du pré-diabète chez des sujets à risque constitue une opportunité pour initier une démarche permettant d’éviter le passage au diabète avéré en s’appuyant sur des mesures actives et structurées de modification de l’hygiène de vie, mesures dont l’efficacité a été démontrée dans des études contrôlées.

INTRODUCTION

Le nombre de diabétiques augmente fortement dans le monde entier, en particulier dans les pays émergents. Cette progression qui concerne avant tout le diabète de type 2 (DT2) est liée à des facteurs sociétaux, comportementaux et au vieillissement de la population, et affecte également la France.

Le DT2 est précédé par des anomalies glycémiques qu’on peut considérer comme un état pré-diabétique. Ainsi la proportion d’individus prédiabétiques devenant réellement diabétiques peut être estimée entre 5 et 10% par an. Le DT2 et le prédiabète sont souvent méconnus et leur détection est réalisée avec retard, réduisant les possibilités d’une part de prévenir les complications de la maladie et d’autre part d’éviter le passage du prédiabète au diabète avéré. Des efforts doivent donc être accomplis pour réaliser ce dépistage plus précocement.

Des mesures de modification de l’hygiène de vie ont démontré, dans des études contrôlées, leur efficacité pour éviter l’apparition du diabète. De telles mesures devraient être mises en œuvre en pratique.

MODALITÉS DE DÉPISTAGE PRÉCOCE DES ANOMALIES GLYCÉMIQUES

› Le dépistage repose habituellement sur la mesure de la glycémie à jeun qui permet de poser le diagnostic de diabète lorsque le taux est égal ou supérieur à 1,26 g/l à deux reprises. Le diabète peut être dépisté plus tôt en recourant à l’épreuve de charge orale en glucose qui consiste à mesurer la glycémie aussi deux heures après ingestion de 75 grammes de glucose en solution ; une glycémie après glucose supérieure ou égale à 2 g/l permet d’affirmer le diabète.

› Le prédiabète correspond à deux types d’anomalies glycémiques, l’hyperglycémie à jeun définie par une valeur à jeun entre 1,10 et 1,25 g/l et l’intolérance au glucose définie par une glycémie entre 1,40 et 1,99 g/l deux heures après glucose. Le test au glucose permet donc de mieux caractériser le statut glycémique que la seule glycémie à jeun.

Il s’ajoute maintenant une autre possibilité de dépister le diabète ou le pré-diabète qui s’appuie sur le dosage de l’hémoglobine glyquée ou HbA1c. En effet en 2009, un Comité International d’Experts de l’American Diabetes Association (ADA), de la Fédération Internationale du Diabète (IDF) et de l’Association Européenne pour l’Etude du Diabète (EASD) a recommandé d’utiliser le dosage de l’HbA1c pour le diagnostic du diabète avec un seuil ≥ 6,5 % (1). En outre un taux d’HbA1c de 5,7% a été trouvé associé à un risque de devenir diabétique similaire à celui de l’intolérance au glucose. Ainsi, selon l’ADA un taux d’HbA1c entre 5,7% et 6,4% identifie des sujets prédiabétiques avec un très fort risque de diabète incident si le taux est entre 6 et 6,4% (2).

Le dosage de l’HbA1c présente sur les dosages glycémiques les avantages d’une plus grande commodité puisqu’il n’impose pas d’être à jeun, d’une meilleure stabilité et d’être moins exposé aux perturbations liées à une maladie intercurrente ou au stress. Toutefois il faut noter que la concordance diagnostique entre les mesures glycémiques et le taux d’HbA1c est loin d’être parfaite comme nous avons pu l’observer dans une série de plus de 1200 patients obèses (3). Mais les patients cumulant une épreuve de charge en glucose anormale et un taux d’HbA1c ≥ 5,7% ont un plus fort risque de diabète et un plus haut niveau de risque cardio-vasculaire que ceux ayant seulement une de ces anomalies.

COMMENT INTERPRÉTER LES RÉSULTATS ?

Compte tenu du nombre d’outils diagnostiques maintenant disponibles l’interprétation des résultats diffère selon qu’un ou plusieurs tests différents sont utilisés.

– Si un seul test, par exemple la glycémie à jeun, est utilisé l’anomalie devra être confirmée par une autre glycémie à jeun. Si les deux résultats discordent, l’écart entre les deux valeurs est en règle modérée, le patient doit être suivi de façon rapprochée.

– Si deux tests différents sont utilisés, par exemple HbA1c et GAJ, et sont au dessus des seuils diagnostiques, le diagnostic de diabète est confirmé.

– Si au contraire, les résultats de deux tests différents, par exemple HbA1c et GAJ, discordent, le test au dessus du seuil diagnostique devrait être répété et le diagnostic (diabète ou prédiabète) alors posé seulement si l’anomalie est confirmée. Comme récemment préconisé par les recommandations communes de la Société Européenne de Cardiologie et l’Association Européenne pour l’Etude du Diabète (ESC/EASD) une autre possibilité dans cette situation consiste à pratiquer le test de charge orale en glucose qui constitue le test de référence (4).

DANS QUELLES CIRCONSTANCES DÉTECTER LES ÉTATS PRÉDIABÉTIQUES ?

Selon le Consortium européen IMAGE deux cadres différents doivent être distingués : dépistage en population générale et dépistage ciblé (5) (voir arbre décisionnel).

 

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Dépistage en population générale

Les anomalies glycémiques sont peu fréquentes et ne justifient pas un dépistage chez tous mais plutôt chez des individus à risque élevé. Le risque de devenir diabétique dans les 10 ans ou d’avoir déjà des anomalies glycémiques jusque là méconnues peut être estimé par différents scores. Le questionnaire Findrisk qui a été construit et validé en Finlande puis validé dans d’autres pays européens répond à ce double objectif. Ainsi en France il s’est révélé performant pour la prédiction du risque de devenir diabétique dans la cohorte de l’étude épidémiologique DESIR ainsi que pour la détection du diabète ou du pré-diabète existant au moment du calcul du score dans notre population de patients obèses ou en surpoids (6). Ce questionnaire simple comporte huit items et prend 10 à 15 minutes. Il peut être administré par un soignant ou rempli par la personne qui souhaite connaitre son propre risque de diabète. Ainsi en population générale la stratégie appropriée de dépistage devrait être en deux étapes. La première étape qui consiste à calculer le score Findrisk devrait être proposée largement et de façon opportuniste, par exemple lors d’une consultation médicale pour une affection aigue ou chronique ou lors d’un bilan de santé, chez le pharmacien ou lors d’une visite de médecine du travail. La seconde étape, réalisée si le score est élevé, consiste à effectuer les dosages diagnostiques (glycémie à jeun ou mieux épreuve au glucose ou encore HbA1c) ainsi que le bilan lipidique en général (cholestérol total, HDL-cholestérol, triglycérides et calcul du LDL cholestérol).

Dépistage dans des populations ciblées

Le dépistage peut être envisagé du fait d’une obésité ou d’une histoire familiale de diabète. L’encadré E3 indique les situations associées à un risque élevé de diabète. Dans toutes ces situations, la même stratégie de dépistage qu’en population générale, en deux étapes, peut être appliquée. Toutefois deux situations associées à un très haut risque de diabète justifient une stratégie en une seule étape c’est-à-dire un test biologique d’emblée :

Il s’agit d’une part des patients ayant une maladie coronaire. Un quart à un tiers d’entre eux ont un diabète connu. Chez les coronariens sans anomalie glycémique connue on peut détecter un diabète ou un prédiabète dans 20% des cas environ par la glycémie à jeun et même chez plus de 50% d’entre eux si une charge en glucose est effectuée (7). C’est ce test qui devrait être pratiqué, en particulier dans les 7 à 30 jours suivant un syndrome coronarien aigu selon la position commune de la Société Francophone du Diabète et de la Société Française de Cardiologie (8).

› Il s’agit, d’autre part, des femmes ayant eu un diabète gestationnel qui devraient avoir ce test au glucose dans les 6 mois suivant l’accouchement (9), ce qui est insuffisamment réalisé. En Seine Saint-Denis, nous avons mené la campagne « IMPACT » d’information auprès de femmes enceintes ayant un diabète gestationnel et de leurs soignants, une campagne d’incitation à faire pratiquer le dépistage après l’accouchement (10). Le taux de dépistage est passé d’un tiers avant la campagne à près de la moitié des femmes après la campagne.

 

IL EST POSSIBLE DE RÉDUIRE LE PASSAGE DU PRÉDIABÈTE AU DIABÈTE

Plusieurs études de prévention nutritionnelle du DT2 ont été menées chez des intolérants au glucose, en particulier en Finlande, aux Etats Unis, en Chine, en Inde et au Japon. Citons notamment le Diabetes Prevention Program et la Finnish Diabetes Prevention Study qui avaient inclus respectivement 3234 et 522 sujets qui avaient été répartis soit dans un groupe d’intervention active soit dans un groupe contrôle (qui ne recevait que quelques conseils généraux d’hygiène de vie). L’intervention active consistait en des modifications des habitudes alimentaires visant surtout à réduire l’apport calorique et de matières grasses et en l’augmentation de l’activité physique à 30 minutes par jour ou 150 minutes par semaine. Certaines de ces études visaient de plus une perte de poids corporel de 5 ou 7 %.

Des conseils personnalisés étaient donnés et des séances en groupes avec « coaching » proposées. Après un suivi de 3 à 6 années l’intervention active avait réduit de 29 à 67% la progression de l’intolérance au glucose vers le DT2 avéré comparativement au groupe contrôle, avec une réduction du risque corrélée au nombre d’objectifs nutritionnels atteints. Il a été calculé que le nombre de patients intolérants au glucose à traiter par des mesures hygiéno-diététiques renforcées pour éviter un cas de DT2 serait de 6,4 pendant 1,8 à 6,4 ans (11). En outre le suivi prolongé au-delà de la période d’intervention a montré la persistance d’une réduction du risque de diabète pendant plusieurs années, sans doute grâce à la conservation d’une meilleure hygiène de vie.

Des médicaments anti-diabétiques ou anti-obésité ont également été testés avec succès chez des intolérants au glucose. C’est le cas de la metformine, de l’acarbose, des glitazones et de l’orlistat. Certains d’entre eux pourraient être envisagés en cas d’échec des mesures hygiéno-diététiques. Mais rappelons qu’aucun médicament ne dispose de l’AMM dans le prédiabète. Des essais de médicaments de la voie des incrétines sont en cours.

COMMENT INTERVENIR DANS UNE DÉMARCHE DE PRÉVENTION ?

Les patients avec hyperglycémie à jeun et/ou intolérance au glucose comme ceux ayant un taux d’HbA1c élevé doivent être informés du risque élevé de diabète et devraient bénéficier d’une stratégie efficace de prévention. Les mesures d’hygiène de vie sont celles à établir en première intention. Leur réalisation concrète est encore limitée en France tandis que des programmes de prévention ont été mis en place dans certains pays européens.

Les actions de prévention

› Certaines sont réalisables par le médecin traitant qui peut prodiguer des conseils, éventuellement aidé par une diététicienne, et parallèlement assurer le suivi glycémique. Toutefois par le haut niveau de preuve d’efficacité qu’elles ont fourni, les grandes études de prévention du diabète constituent un modèle de référence. Des programmes structurés devraient être mis en place selon des modalités proches avec une priorité attribuée aux patients ayant une intolérance au glucose qui est l’état prédiabétique au plus haut risque d’évoluer vers le diabète et qui a constitué le critère d’inclusion dans ces études. Bâtir un tel programme implique des moyens, la formation des intervenants en particulier à l’éducation thérapeutique et une évaluation.

Les résultats attendus doivent être présentés au patient à la fois en termes de réduction du risque de diabète et d’objectifs intermédiaires incluant la perte de poids attendue et les modifications de différents composants de son comportement alimentaire et de son activité physique. La démarche proposée doit lui être clairement expliquée avec les contraintes de rendez-vous, de contacts et de modifications de son mode de vie, ainsi que la durée nécessaire de son adhésion. La motivation du patient doit être appréciée et son engagement clair. La stratégie de prévention pourra cependant être ajustée selon la motivation et les composants qui devront être modifiés en agissant objectif après objectif.

Nous avons débuté il y a quatre ans une expérience de prévention du DT2 en Seine Saint-Denis avec le concours d’une équipe pluridisciplinaire et du réseau ville-hôpital DIANEFRA. Moins de la moitié des patients ayant compris l’intérêt de la démarche vont au premier rendez-vous au cours duquel l’ensemble du programme est exposé. Environ 40% de ceux qui ont accepté le programme l’abandonnent dans les trois premiers mois. Puis l’adhésion se maintient de façon assez stable au-delà de deux ans même si tous les rendez-vous ne sont pas honorés.

Les traitements associés

L’effet diabétogène bien connu des corticoides est certainement majoré chez un prédiabétique.

Quant au traitement anti-hypertenseur le choix chez un prédiabétique devrait se porter sur des familles thérapeutiques neutres ou bénéfiques sur le métabolisme glucidique. Tel est le cas des bloqueurs du système rénine angiotensine et des antagonistes calciques. Les diurétiques en dehors des anti-aldostérone ainsi que les bêta-bloquants devraient être évités tandis que les sympatholytiques centraux ont un effet favorable sur la sensibilité à l’insuline.

Des méta-analyses récentes de grandes études ont révélé une augmentation de 9% du risque de diabète sous statines et une augmentation plus forte sous statines à fortes doses. Ce phénomène pourrait être majoré en présence d’un pré-diabète. L’attribution d’une statine à un patient prédiabétique se décidera sur l’importance du bénéfice cardio-vasculaire attendu face au risque de diabète.

EN CONCLUSION

Il faut insister sur le rôle essentiel du médecin traitant dans le dépistage précoce et le suivi des anomalies glycémiques prédiabétiques. Son rôle dans la prévention du diabète reste à définir et dépend du temps qu’il souhaite/peut y consacrer en consultation. Il est nécessaire de former des intervenants compétents pour initier et réaliser des actions de prévention destinées à des groupes de patients prédiabétiques et de bâtir de véritables programmes avec les ressources nécessaires. A cet égard nous avons mis en place un DIU (Universités Paris Nord et Paris 5) de formation d’« acteurs relais en Prévention de l’obésité, du diabète et des maladies cardio-vasculaires », ouvert aux médecins et paramédicaux.

Quant à la prévention « primaire » du diabète elle devrait s’appuyer sur des mesures sociétales avec une réelle volonté politique et une attention particulière vis-à-vis des populations vulnérables et des migrants qui ont un risque plus élevé d’obésité et de diabète. L’implication des filières de l’agro-alimentaire dans l’amélioration de la qualité des aliments et l’implication des municipalités dans la réalisation d’espaces dédiés à l’activité physique devraient concourir à ralentir la progression du diabète. Enfin il conviendrait d’améliorer les connaissances de la population générale sur les facteurs favorisant le diabète et d’encourager l’utilisation large des scores de risque de diabète.
 

LE PRÉ-DIABÈTE
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Pr Paul Valensi (Endocrinologue-Diabétologue, Nutritionniste, Service d’Endocrinologie Diabétologie Nutrition,Hôpital Jean Verdier, APHP, Université Paris Nord, CRNH-IdF, CINFO. Avenue du 14 Juillet. 93140. Bondy. Courriel : paul.valensi@jvr.aphp.fr)

Source : lequotidiendumedecin.fr