Parler de grossesse « à bas risque » ou de grossesse «normale » implique que l'on définisse les situations à risque, exercice auquel s'est consacrée la HAS dans ses recommandations sur le suivi et l'orientation des femmes enceintes (2007 ; réf 1). La plupart des grossesses sont exemptes de complications, mais les données françaises sont parcellaires sur le nombre de femmes enceintes dont la grossesse s’est déroulée sans complications.
QUI EST À RISQUE, QUI NE L'EST PAS ?
Les situations à risque
-› La HAS recommande d'apprécier le niveau de risque le plus tôt possible au cours de la grossesse, idéalement même au cours d'une consultation préconceptionnelle, l'identification des facteurs de risque et le suivi de leur évolution devant bien sûr se poursuivre tout au long de la grossesse (1).
-› Un interrogatoire minutieux doit répertorier tout d'abord les facteurs de risque généraux : âge inférieur à 18 ans ou supérieur à 35 ans, IMC (indice de masse corporelle) inférieur ou égal à 17,5 kg/m2 et supérieur ou égal à 40 kg/m2 (obésité morbide).
-› Viennent ensuite les antécédents familiaux : maladies génétiques ou anomalies chromosomiques, cas de malformations, de retard mental. "Les antécédents familiaux de phlébite ou d'embolie pulmonaire doivent aussi être recherchés afin d'identifier chez la patiente un éventuel déficit en un facteur de la coagulation et de prévenir les accidents thrombo-emboliques en cours de grossesse, explique le Dr Cordier. Notamment si plusieurs cas se sont présentés dans la famille. Même chose en ce qui concerne les antécédents familiaux de cancer du sein, l'examen des seins devant alors être particulièrement attentif lors de la première consultation prénatale".
-› Les antécédents personnels de la patiente doivent être passés au crible : hypertension artérielle, diabète, asthme, maladie thrombo-embolique veineuse, épilepsie, néphropathie, hépatites B ou C, séropositivité VIH, prise de toxiques ou de médicaments… "Une HTA même traitée et contrôlée fait classer de facto la patiente dans la catégorie des grossesses à risque. Le risque de mauvaise placentation et de décompensation sur le mode d'une pré-éclampsie est en effet plus élevé dans ce contexte. Le diabète, même bien contrôlé, constitue aussi une situation à risque. En outre, il faut prendre le temps de détailler avec la patiente le contenu de son carnet de santé, à la recherche d'antécédents qu'elle aurait pu oublier de mentionner, et pour préciser le statut vaccinal".
-› Parmi les antécédents chirurgicaux à retenir, citons les traumatismes du bassin ou du rachis, et sur le plan gynécologique et obstétrical, les antécédents de chirurgie utérine (conisation par exemple, qui élève le risque d'accouchement prématuré), les malformations utérines, les antécédents de pré-éclampsie, de diabète gestationnel, de mort fœtale, de retard de croissance intra-utérin, de complications lors de l'accouchement et en post-partum… "A noter qu'une grossesse multiple est considérée d'emblée comme étant à risque".
Les différents types de suivi
Au terme de cette évaluation, la HAS propose de distinguer deux types de suivi (1) :
- Le suivi A, lorsque la grossesse se déroule sans situations à risque ou lorsque le niveau de risque est faible, peut être assuré par une sage-femme ou un médecin (généraliste, gynécologue médical ou gynécologue-obstétricien) selon le choix de la patiente.
- Le suivi B correspond aux situations à risque élevé, la surveillance régulière devant alors être assurée par un gynécologue-obstétricien (par exemple en cas d'HTA, de diabète, d'anomalies de la coagulation, ou de certains antécédents obstétricaux).
Deux autres procédures sont décrites au sein du suivi A, selon que l’avis d’un gynécologue-obstétricien et/ou d’un autre spécialiste est conseillé (A1) ou nécessaire (A2). Le détail de l'orientation des femmes vers tel ou tel type de suivi en fonction de la présence des différents facteurs de risque figure dans le texte des recommandations.
LE CALENDRIER DE SUIVI DE LA GROSSESSE
-› La HAS recommande depuis 2007 d'effectuer la première consultation de suivi de grossesse avant 10 semaines d'aménorrhée (SA), afin d'évaluer au mieux le niveau de risque et prescrire précocement le premier bilan prénatal (1) (tableau 1). La règlementation en vigueur stipulant d'effectuer la déclaration de grossesse avant 15 SA (décret n° 92-143 du 14 février 1992) et prévoyant 7 consultations prénatales dont 6 à partir du 1er jour du 4ème mois de grossesse (article L. 154 du Code de la santé publique), l'ajout de cette consultation précoce porte à 8 le nombre total de consultations : la première avant 10 SA, la deuxième avant 15 SA, puis une par mois à partir du 4ème mois de grossesse. "L'information des femmes au premier trimestre de la grossesse est essentielle, en particulier en ce qui concerne les mesures hygiéno-diététiques : prévention de la listériose, de la toxoplasmose, du cytomégalovirus, consommation d'alcool et de tabac. On y aborde aussi la prévention de la rubéole en l'absence de protection vaccinale antérieure (sujets contact, vaccination après l'accouchement), la prise de médicaments tératogènes, le calendrier de suivi et le moment des différents examens".
La première échographie est à programmer entre 11 et 13 SA + 6 jours. Elle a pour buts de dater la grossesse, d'identifier les grossesses multiples et leur chorionicité, et de dépister certaines malformations, notamment dans le cadre du dépistage combiné de la trisomie 21 (voir ci-après).)
-› La 2ème consultation a lieu après la première échographie, mais avant 15 SA. Elle permet d'établir la déclaration de grossesse et de fixer la date présumée de l'accouchement (Le contenu du suivi et les examens à prescrire sont précisés dans le tableau 1). La HAS recommande par ailleurs de proposer lors de cette consultation un entretien individuel ou en couple (entretien prénatal du 4ème mois, à distinguer des consultations proprement dites), afin de rechercher d’éventuels facteurs de stress et toute forme d’insécurité. Selon la dernière enquête périnatale (2), cet entretien, introduit dans le plan périnatalité 2005-2007, n’a bénéficié qu’à 21,4 % des femmes ayant accouché en mars 2010.
-› Les consultations prénatales intermédiaires ont lieu du 4ème au 8ème mois de grossesse (tableau 2). Celle du 9ème mois permet d'établir le pronostic obstétrical et de donner des informations pratiques à propos de l'accouchement (tableau 3).
POINTS PARTICULIERS DE LA SURVEILLANCE
Le dépistage du diabète gestationnel
-› Selon les dernières recommandations du CNGOF (décembre 2010 ; réf 5), le dépistage du diabète gestationnel doit être réalisé en présence d’au moins un des critères suivants : âge maternel supérieur ou égal à 35 ans, IMC supérieur ou égal à 25 kg/m2, antécédents de diabète chez les apparentés au 1er degré, antécédents personnels de diabète gestationnel ou d’enfant macrosome. "À propos des antécédents familiaux de diabète, il est vrai que le risque de diabète gestationnel varie selon les cas, en fonction de l'âge d'apparition du diabète chez le parent concerné, des antécédents de diabète gestationnel chez les femmes de la famille, ou du poids de naissance de la patiente elle-même. Pour autant, ce dépistage doit être réalisé au moindre doute".
-› Sachant qu'environ 15 % des diabètes gestationnels sont des diabètes de type 2 méconnus, il est recommandé, en présence des facteurs de risque précédemment mentionnés, de réaliser une glycémie à jeun lors de la première consultation prénatale, "d'autant que l'hyperglycémie en périconceptionnel augmente les risques de malformations fœtales".
-› Chez les patientes non diagnostiquées préalablement, le dépistage du diabète gestationnel par une hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO avec 75 g de glucose et mesure des glycémies à 0, 1 et 2 h) est recommandé entre 24 et 28 SA, date à laquelle la tolérance au glucose se détériore au cours de la grossesse. "Chez les patientes qui ne présentent pas les facteurs de risque précités mais dont le médecin juge qu'elles peuvent être à risque, l'HGPO doit être proposée facilement. Par ailleurs, si l'HGPO se révèle positive, il convient de vérifier la disparition du diabète après l'accouchement". Le CNGOF propose de retenir les seuils suivants : glycémie à jeun ≥ 0,92 g/l (5,1 mmol/l) et/ou glycémie 1 heure après une charge orale de 75 g de glucose ≥ 1,80 g/l (10,0 mmol/l) et/ou glycémie 2 heures après la charge ≥ 1,53 g/l (8,5 mmol/l).
-› En cas de normalité du dépistage entre 24 et 28 SA, il n’y a pas d’arguments pour répéter ultérieurement le dépistage à titre systématique. "On considère en effet que si la tolérance au glucose est normale avec une telle charge en glucose, il est peu probable d'observer un diabète gestationnel au 3ème trimestre".
-› "Chez les femmes ayant des facteurs de risque qui n’ont pas eu de dépistage du diabète gestationnel, celui-ci peut être fait au 3ème trimestre par une HGPO".
-› Aucune autre méthode (HbA1c, fructosamine, glycosurie, glycémie au hasard, et/ou postprandiale) ne peut être actuellement recommandée. "La glycosurie est en effet un test peu performant pour dépister le diabète gestationnel, car très dépendant du moment et des conditions de réalisation (à jeun ou non…). Le dosage de la glycémie à jeun lors de la première consultation en présence de facteurs de risque de diabète et/ou la réalisation d'une HGPO au 6ème mois sont plus pertinents".
Toxoplasmose et rubéole
En 2009, la HAS réaffirme, compte tenu de la gravité potentielle des atteintes fœtales en cas de contamination, la nécessité de connaître le statut sérologique des femmes enceintes à l'égard de la toxoplasmose et de la rubéole dès la première consultation prénatale (5).
-› Dès la 1ère consultation prénatale et le plus tôt possible après la conception, une sérologie toxoplasmique, reposant sur la détection des IgG et des IgM spécifiques, doit être réalisée en l'absence de preuve écrite de l'immunité.
- En cas de séronégativité, la sérologie doit être répétée chaque mois, si possible dans le même laboratoire et avec la même technique, ainsi qu'au moment de l'accouchement sur le sang maternel.
Par ailleurs, les mesures de prévention primaire de la toxoplasmose doivent être expliquées et répétées tout au long de la grossesse : bien cuire la viande, bien laver les fruits et légumes, se laver les mains avant chaque repas et après avoir manipulé de la viande crue ou des légumes souillés par de la terre, porter des gants pour jardiner, demander à une personne de l'entourage de se charger du nettoyage de la litière du chat ou porter des gants pour le faire.
- Une sérologie rubéolique est recommandée lors de la 1ère consultation prénatale en l’absence de preuve écrite de l’immunité, et sauf si deux vaccinations contre la rubéole documentées ont été antérieurement réalisées. Cette sérologie, réalisée sur un seul prélèvement, ne porte que sur la détection des IgG spécifiques.
- Chez les femmes enceintes séronégatives, une nouvelle sérologie rubéolique est proposée à 20 semaines d'aménorrhée (uniquement), à la recherche d’une éventuelle séroconversion. "Après la 20ème semaine, les études ne retrouvent pas d'embryofœtopathies sévères, ce qui rend inutile la surveillance sérologique après cette date".
Le dépistage des anomalies chromosomiques
Le dépistage prénatal de la trisomie 21 repose aujourd'hui sur les recommandations de la HAS (2007 ; réf 6), confirmées par l'arrêté du 29 juin 2009 (7). Ce dépistage n'est pas obligatoire, mais il est recommandé de le proposer systématiquement.
-› Le dépistage combiné du premier trimestre est basé sur la réalisation, entre 11SA et 13 SA +6 jours, de la mesure échographique de la clarté nucale (en fonction de la longueur crâniocaudale) associée au dosage de deux marqueurs sériques : la PAPP-A (Pregnancy Associated Plasma Protein A) et la fraction libre de la bêta-hCG. Le calcul du risque est ensuite effectué par un logiciel d'évaluation du risque. "L'échographie doit être faite la première, afin de dater précisément le début de la grossesse. Les examens biologiques sont réalisés ensuite, le même jour ou dans un court délai (3-4 jours) après l'échographie, l'interprétation des résultats dépendant de l'âge gestationnel. L'échographiste doit disposer d'un numéro identifiant, qui garantit le suivi d'une démarche d'assurance qualité ".
-› Si le dépistage combiné n'a pu être réalisé au 1er trimestre, il est possible de proposer une stratégie séquentielle en deux temps, basée sur la mesure de la clarté nucale au 1er trimestre et sur le dosage des marqueurs sériques du 2ème trimestre, entre 14 SA et 17 SA + 6 jours. Ceux-ci sont la gonadotrophine chorionique humaine (hCG totale), la fraction libre de la bêta-hCG, l'alpha-fœtoproteine et l'œstriol non conjugué. Les marqueurs sériques du 2ème trimestre peuvent aussi être utilisés seuls dans les cas où les deux premières stratégies de dépistage (combiné et séquentiel) n'ont pu être réalisées.
Mais aussi
- "La surveillance mensuelle de la pression artérielle et de la protéinurie sont essentielles. Des signes banals tels que des céphalées ou des œdèmes des chevilles constituent des signes d'alerte, qui doivent absolument faire vérifier ces deux paramètres".
- "Par ailleurs, on considère comme normale une prise de poids durant la grossesse de 1 kg par mois jusqu'au 6ème mois, puis de 2 kg par mois les 3 derniers mois, soit environ 12 kg en tout. En cas d'obésité, la prise de poids doit être moindre, de 3-4 kg au plus, le fœtus puisant dans les réserves maternelles pour assurer son développement".
- En ce qui concerne la grippe, le Haut conseil de la santé publique, dans un avis du 13 juillet 2011, recommande pour la saison grippale 2011-2012 de vacciner les femmes enceintes à partir du 2ème trimestre de grossesse, celles ayant des facteurs de risque de grippe grave les rendant éligibles à la vaccination, pouvant être vaccinées dès le 1er trimestre (8).
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