LE TRAITEMENT DE LA CARENCE ŒSTROGENIQUE

Publié le 11/10/2013
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Le traitement substitutif de la ménopause (THS ou THM) est très efficace sur les troubles fonctionnels mais il a été sévèrement critiqué par les épidémiologistes de la WHI (Women Health Initiative), ce qui a conduit à un déclin profond de leur prescription. Ceux-ci sont partiellement revenus sur leurs affirmations et, de plus, de nouvelles études ont été publiées depuis.

Il faut rappeler que les études randomisées et en double aveugle sont considérées par les épidémiologistes comme les moins critiquables. Pour qu'il y ait double aveugle, il est nécessaire que personne ne puisse distinguer entre patients sous placebo et ceux sous versus. Or la disparition des symptômes sous hormonothérapie (et beaucoup moins sous placebo) révélerait le type de traitement. Piège majeur dans la WHI, on a donc proposé plus volontiers le traitement hormonal à des femmes qui n’en avaient pas besoin, mais en espérant qu'il aurait un effet protecteur vasculaire. Et on a enrôlé beaucoup de femmes âgées car elles ont moins de troubles. La « bonne » épidémiologie, a conduit aux choix les plus inadaptés. C’est la leçon fondamentale à tirer de WHI : sans cliniciens de poids pour cadrer les épidémiologistes, les conclusions que l'on tirera des études seront toujours entachées d'erreurs ! En outre dans cette étude le seul progestatif utilisé était la Medroxy Progestérone Acétate (MPA), très peu prescrite en France, qui, en agissant à la fois sur les récepteurs de la Progestérone et sur ceux des glucocorticoïdes, a des effets nocifs spécifiques.

Les avantages

Ils sont dominés par l'amélioration des troubles puisque, désormais, il n'est plus question de traiter des femmes ménopausées asymptomatiques. Aucun médicament n'est plus actif que le traitement hormonal et les troubles s'amendent plus ou moins rapidement selon la dose reçue aussi bien qu'en fonction de leur niveau de base. En outre les œstrogènes ont un effet bénéfique sur la masse osseuse et diminuent le risque fracturaire. Ils pourraient aussi diminuer le nombre des cancers de l'intestin (pour 10 000 personnes-années, 6 cancers colorectaux et 5 fractures de hanche de moins). Salpeter a montré qu'un traitement entre 50 et 60 ans nous diminue la mortalité de 40% environ y compris par cancer (3) !

Les inconvénients

Ils se résument à leurs effets indésirables. Les premières publications des responsables de WHI étaient catastrophiques et ont frappé les milieux médicaux : l’excès absolu de risques pour 10 000 personnes-années, attribuable aux œstrogènes+progestatifs était de 7 maladies coronariennes, 8 AVC, 8 embolies pulmonaires et 8 cancers invasifs du sein de plus. Ces données ont subi des modifications y compris dans les ré-analyses de la WHI.

Néanmoins, la dernière publication du 1er octobre 2013 vient jeter à nouveau le trouble car elle analyse les résultats à la fin des périodes actives de traitement (5, 6 ans pour le traitement œstroprogestatif, femmes normales, et 7,2 œstrogènes seuls (femmes hystérectomisées) et de la période d'observation qui a suivi (13 ans). Certes les conclusions sont moins abruptes : « le THM a un profil complexe de risques et bénéfices. Les résultats pour ces deux périodes ne sont pas en faveur de sa mise en œuvre pour la prévention de la maladie chronique bien qu'approprié pour soulager les symptômes de certaines femmes ». Et en ce qui concerne le cancer du sein la différence reste la même en défaveur du traitement (3) .

Mais est-ce un désir des responsables de la WHI d'avoir eu raison en s'attaquant si brutalement au THS ? Les tableaux de ce dernier article montrent la fréquence des maladies coronariennes en fonction de l'âge alors que les chiffres qui comptent sont les fréquences en fonction de la date du début du traitement par rapport à la ménopause. Ainsi dans les 10 ans qui suivent la ménopause le risque de maladie coronarienne est de 31 contre 34 pour le placebo alors que dans le groupe 50/59 ans le risque est plus grand avec le traitement : 38 contre 27 (et dans les chiffres cumulatifs incluant la période d'observation, de 93 contre 69). Ceci pour montrer la subtilité de la lecture des statistiques orientées selon ce que veulent montrer les responsables de l'essai ! Néanmoins, un autre point à prendre en compte est le vocabulaire : le traitement proposé qui est la combinaison œstrogènes equins + MPA est le plus souvent appelé « menopausal hormone therapy » ou « hormonal therapy » alors qu'il s'agit seulement d'une modalité de traitement substitutif ou hormonal. Et qui ne correspond pas aux prescriptions dans le reste du monde.

› Les accidents coronariens. En 2002, les responsables de WHI avaient écrit : « L’association œstrogène + progestatif peut accroître le risque de maladie coronarienne parmi les femmes postménopausiques généralement bien portantes (il y avait en fait 1/3 de diabétiques, 1/3 d'hypertendues et des femmes allant jusqu’à 70 ans), spécialement pendant la première année après l’initiation de l’hormonothérapie. Ce traitement ne devrait pas être prescrit pour la prévention de la maladie cardiovasculaire » (4). En 2007, la même équipe (5) écrit que si le traitement est commencé durant les 10 ans qui suivent la ménopause l'«excès» de risque est de moins 6 accidents par 10 000 personnes-années . Ce qui signifie qu'il y a un tendance à la cardio-protection. En revanche, Shufelt écrit en 2011 que pour les femmes qui initient le traitement à 55 ans ou plus, on n'observe statistiquement pas de différence avec les femmes qui n'ont jamais été traitées (si ménopause naturelle)( 6). Enfin, une étude danoise portant sur les effets du Trisequens observe une diminution des accidents (RR : 0,92) et de la mortalité (RR : 0,46) et pas d’augmentation des cancers. Lorsque les femmes étaient hystérectomisées, ne recevant que des œstrogènes, la diminution du risque coronaire était de 40 % (7). La notion fondamentale à retenir est donc : si on ne traite que les femmes dont les vaisseaux sont indemnes d’athérosclérose, le THM est bénéfique protégeant les coronaires et l'arbre artériel en général. Les études de Clarkson sur les guenons et celles de Arnal sur les souris le confirment.

› Les AVC. Ceux-ci peuvent être de nature veineuse ou artérielle. Alors que ces accidents étaient annoncés comme fréquents sous THS dans WHI, le risque étant augmenté de 32 %, une étude canadienne (estradiol transcutané) n'observe aucune augmentation (x 0,95) (8). Mais, plus significatif, en 2013, Rossouw (étude WHI) écrit : « Chez les femmes récemment ménopausées, les risques absolus d’AVC et de thrombo-embolie veineuse à courts termes sont faibles » (9).

› Phlébites et accidents thrombo-emboliques. Dans les études américaines, avec œstrogènes conjugué équins (ECE) et MPA, ces événements étaient fréquents. Dans les étude françaises utilisant la progestérone ou la rétroprogestérone et la voie cutanée pour l'estradiol, il n'y a eu aucune augmentation d'incidence des phlébites ni des embolies (études françaises Esther et E3N ) (10, 11). Cette sorte de THM peut donc être prescrite sans crainte chez des femmes non à risque de phlébite.

La deuxième grande leçon à tirer des études récentes concerne donc à la fois le choix du progestatif (progestérone et rétroprogestérone) et la voie d'administration de l'œstrogène : transdermique (parce qu'elle évite le premier passage hépatique). Accessoirement, les Américains ont également observé une augmentation de fréquence des lithiases biliaires; ce risque existerait-il même sous œstrogènes transcutanés ?

› Cancers du sein. C’est la pathologie qui frappe le plus les esprits quand on parle de THM. Les résultats des études américaines, européennes ou françaises, radicalement contradictoires, méritent d'être tous pris en compte.

- L’administration d'œstrogènes seuls chez les femmes hystérectomisées, selon les données américaines, avec des œstrogènes combinés équins (ECE), permet une diminution du risque (RR : 0,60), même après 10 ans de traitement et pendant les 5 années de surveillance (12).

Selon les données européennes (Finlande), l’estradiol oral ou vaginal, ou l’estriol, administré pendant moins de 5 ans n’induit pas d'augmentation du risque. Mais au delà de 5 ans de traitement, on observe 2 à 3 cancers du sein supplémentaires /10 000 années femmes (13). Selon les données françaises utilisant les œstrogènes transdermiques (E3N, (16)), l’augmentation du RR est de 1,29.

- L’administration oestro-progestative, selon les Américains qui associent œstrogènes équins et medroxyprogestérone, serait responsable de 8 cancers du sein de plus pour 10 000 années femmes (cancers souvent N+), surtout si l'administration est continue (15). Les données européennes sont plus nuancées et retrouvent une augmentation du risque relatif de 1,77 si on administre de la norethisterone ; ce risque disparait avec la retroprogestérone (Lyytinen 2010). Et le RR passe à 0,58 dès lors qu’on associe norethisterone et estradiol (Schierbeck, Danemark) (7).

Des travaux français associant des œstrogènes transdermiques et de la progestérone (80 377 femmes; suivi entre 1990 et 2002; durée moyenne de suivi : 8,1 ans; durée moyenne de THM : 7 ans), montrent qu’il n’y a pas d’augmentation du risque (E3N (16)). En outre, dans l'étude Mission, il n'a pas été observé de différence significative entre THS et pas de traitement. En fait, la question se complexifie du fait que le risque paraît plus élevé si le traitement est initié très près de la ménopause (Royaume-Uni) (Beral (17)).

On réalise à la lecture indigeste de ces chiffres que les informations à donner sur ce sujet aux patientes seront indispensables et difficilement objectives.

› Les autres cancers

- Cancers de l’endomètre. Avec les œstrogènes percutanés et 12 jours ou plus de progestatif, aucune augmentation du risque n'a été observée (étude PEPI). Et il diminue si la prise est continue créant une aménorrhée chez › 90% des femmes (Stanczyk(18)). L'effet protecteur est encore meilleur avec la voie vaginale.

- Cancer de l’ovaire. L'augmentation du risque (HR : 1,63) par estrogènes seuls en cours de prise, incite à ne pas oublier cette possibilité et à surveiller le pelvis. Enfin, œstrogènes + progestatifs en cours : risque non-significatif (HR :1,20) (Tsilidis (19)).

- Cancers colorectaux. Le THM induit une diminution significative de son incidence (RR : 0,63).

› L'ostéoporose. Ce sujet à part intéresse avant tout les rhumatologues. Les femmes en carence œstrogénique perdent de l'os de façon éminemment variable. La surveillance de la masse osseuse se fait par densitométrie (indiquée par les antécédents familiaux et personnels de fracture et les épisodes prolongés d'hypoestrogénie). Le rythme des contrôles et l'importance à accorder aux marqueurs de la déperdition osseuse sont très diversement appréciés. Il faut retenir que même à des doses très faibles les œstrogènes maintiennent ou augmentent la densité osseuse et diminuent l'incidence des fractures en particulier du col du fémur (RR : 0, 66 dans WHI) et que le médecin doit vérifier la prise de calcium et de vitamine D.


Source : lequotidiendumedecin.fr