Cardiologie

LES ANTICOAGULANTS ORAUX DIRECTS DANS LA PRATIQUE QUOTIDIENNE

Publié le 06/12/2018
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Les anticoagulants oraux directs (AOD) sont de plus en plus prescrits en France et dans le monde entier. Leurs indications majeures sont la fibrillation atriale non valvulaire et la maladie veineuse thrombo-embolique. Il convient de bien connaître les critères d’adaptation de doses de ces médicaments qui sont différents pour chacun des trois AOD disponibles. Ces patients doivent être suivis régulièrement, notamment à la recherche de complications de type hémorragique.
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Crédit photo : SPL/PHANIE

INTRODUCTION

Les traitements anticoagulants sont extrêmement prescrits dans notre activité médicale quotidienne. On estime ainsi qu’au cours d’une année en France, environ trois millions de patients ont reçu un traitement anticoagulant et la moitié un anticoagulant oral.
Depuis un peu moins de 10 ans, de nouveaux anticoagulants oraux directs (AOD) sont disponibles en alternative à la prescription des classiques anti-vitamine K (AVK). Ces anticoagulants présentent un avantage majeur qui est celui de ne plus avoir besoin d’un suivi biologique régulier d’hémostase avec le dosage des INR.
Actuellement, ces produits ont dépassé, en termes de nombre de prescriptions, les AVK en cas d’instauration de traitement anticoagulant et cet écart va probablement continuer à augmenter dans les années à venir.
Cependant, même si ces produits semblent plus simples d’utilisation par rapport aux AVK, il convient de connaître au mieux ces molécules, leurs indications, contre-indications et posologies ainsi que la conduite à tenir en cas de situation clinique particulière. Cet article propose de faire un point sur la prescription et le suivi des patients traités par AOD. Il est basé sur les dernières recommandations de l’HAS publiées en mai 2018 (1) et européennes publiées en mars 2018 (2).

DESCRIPTION DES MOLÉCULES

Il existe pour l’instant quatre AOD sous forme orale seule :
– Trois inhibiteurs directs du facteur Xa (anti-Xa) : l’apixaban (Eliquis®), le rivaroxaban (Xarelto®) et l’edoxaban (Lixiana®). Cependant, ce dernier n’est pas commercialisé en France.
– Un inhibiteur direct de la thrombine (anti-IIa), le dabigatran (Pradaxa®).
Comparées aux AVK, toutes ces molécules présentent une efficacité démontrée identique voire meilleure, avec un risque d’hémorragie cérébrale diminuée de 50 % environ.
Elles n’ont pas d’interactions alimentaires, et très peu avec les médicaments. Il n’y a donc aucune surveillance particulière d’hémostase à effectuer de manière routinière. Par ailleurs, il faut noter que les tests courants d’hémostase réalisés chez des patients sous AOD sont ininterprétables. Les doses de ces molécules sont fixes, et les modifications posologiques doivent être effectuées en fonction des résumés des caractéristiques du produit (RCP) (cf. adaptation de doses). À noter qu’il existe un agent de neutralisation pour le dabigatran qui s’appelle l’idarucizumab (Praxbind®) et celui pour les anti-Xa n’est pas, pour l’instant, disponible.
La demi-vie de ces produits est comprise entre 8 et 15 heures.

POSOLOGIES

Dans la FA. Au cours du traitement de la fibrillation atriale (FA) non valvulaire, l’apixaban (Eliquis®) est utilisé en deux prises comme le dabigatran (Pradaxa®) alors que le rivaroxaban (Xarelto®) est utilisé en une prise.
 Dans la MTEV. Dans le cadre de la maladie veineuse thromboembolique (MTEV), les doses sont un peu différentes :
– Pour Eliquis®, la dose recommandée est de 10 mg deux fois par jour durant les sept premiers jours, suivis de 5 mg deux fois par jour pour le reste du traitement.
– Pour Xarelto®, le traitement initial est de 15 mg deux fois par jour pendant les trois premières semaines puis de 20 mg/j en une prise pour le reste du traitement.

CRITÈRES D'ADAPTATION DE DOSES

Les critères d’adaptation de doses pour chacun des trois AOD utilisés actuellement en France sont importants à connaître. En effet, il s’agit des doses étudiées et validées par les études de phase 3 qui ont permis l’utilisation de ces produits au cours de la FA ou de la MTEV.

→ Spécifiquement au cours de la FA, on constate une tendance à prescrire trop souvent de faibles doses d’AOD, notamment avec l’apixaban (Eliquis®). Ce sous-dosage pourrait avoir pour conséquence une augmentation du risque d’AVC.
– Pour le dabigatran, il n’existe pas vraiment de “faible dose” puisque la dose de 110 mgx2/j a été testée dans l’étude Re-LY en comparaison avec les AVK et qu’elle protège autant de l’accident thrombo-embolique que les AVK. Cependant, il est recommandé d’utiliser cette dose chez les patients âgés de plus de 80 ans et conseillé chez les patients ≥ 75 ans ou avec une insuffisance rénale modérée avec une clairance de la créatinine mesurée par la formule de Cockroft, comprise entre 49 et 30 ml/min. En cas de clairance de la créatinine < 30 ml/min, l’utilisation du dabigatran est contre-indiquée.
 Pour le rivaroxaban, la dose normale utilisée est de 20 mg/j alors que la faible dose est de 15 mg/j. Il est recommandé d’utiliser cette faible dose chez les patients ayant une clairance de la créatinine comprise entre 15 et 49 ml/min. Ce produit est contre-indiqué si cette clairance est < 15 ml/min.
– Pour l’apixaban, la dose normale est de 5 mgx2/J. Cette dose doit être diminuée jusqu'à 2,5 mgx2/j si le patient présente deux critères sur les trois suivants : poids ≤ 60 kg, âge ≥ 80 kg et créatininémie ≥ 133 µmol/l ou si sa clairance de la créatinine est comprise entre 15 et 29 ml/min.

INDICATIONS ET CONTRE-INDICATIONS

Les indications des AOD

Dans les dernières recommandations de la HAS de mai 2018, les AVK et AOD peuvent être prescrits en première intention chez les patients au cours de la FA non valvulaire. Dans les recommandations européennes, une préférence pour les AOD est mentionnée, notamment du fait de leur facilité d’utilisation chez les patients et compte tenu des résultats des études de phase 3 qui montrent une diminution du risque d’hémorragie cérébrale de 50 % avec tous les AOD par rapport aux AVK.
→ Pour la FA non valvulaire, il faut que le patient présente un score de CHADS2 VA2SC ≥ 2 (3) pour initier un traitement anticoagulant au long cours. Il n’y a pas d’indication pour les patients avec un score à 0. Enfin, pour un homme avec un score de 1 ou une femme avec un score de 2, il est plutôt recommandé d’instaurer un traitement anticoagulant mais avec un niveau de preuves plus faible.
Par ailleurs, les patients présentant une FA valvulaire, définie par la présence d’un rétrécissement mitral significatif ou d’une prothèse mécanique cardiaque, ne peuvent pas être traités par AOD.
Pour la FA, le traitement est indiqué de manière continue et à vie.

→ L'autre indication des AOD est la MTEV : phlébite profonde ou embolie pulmonaire. La durée de traitement varie entre trois et six mois voire plus longtemps dans certains cas particuliers (patients à haut risque de récidive).

Les contre-indications des AOD

Elles comprennent : grossesse, allaitement, âge < 18 ans, FA valvulaire, hypersensibilité au principe actif ou à ses excipients, saignement actif, maladie hépatique avec coagulopathie et risque de saignement cliniquement significatif, association avec un autre anticoagulant.
Pour le Pradaxa®, il est contre-indiqué avec les médicaments contenant du kétoconazole (sauf forme destinée à être appliquée sur la peau), de l'itraconazole, de la ciclosporine, du tacrolimus ou de la dronédarone.

Gestion des AOD avant une chirurgie

Il convient de distinguer les actes chirurgicaux programmés de ceux qui doivent être effectués en urgence. Par ailleurs, il faudra aussi distinguer les actes chirurgicaux mineurs à faible risque hémorragique comme la petite chirurgie dermatologique, des actes lourds comme la neurochirurgie ou la chirurgie cardiaque qui sont à risque hémorragique élevé.

→ Pour les gestes à risque hémorragique faible ou moyen, il est recommandé que la dernière dose d’AOD soit prise 24 heures avant la chirurgie.

→ Pour les interventions à haut risque hémorragique, la dernière prise d’AOD doit dater d’au moins 48 heures avant la chirurgie. Il n’est pas nécessaire dans ces cas d’effectuer un relais avec de l’héparine.

→ En période post-opératoire, il est recommandé d’attendre 48-72 heures après la chirurgie pour reprendre l’AOD et d’administrer une héparinothérapie prophylactique en post-opératoire immédiat jusqu’à cette reprise.

→ Dans le cas d’une chirurgie en urgence, l’AOD doit être arrêté immédiatement et un délai de 12 heures est recommandé, si possible, pour débuter la chirurgie. Si cela ne peut pas attendre, on dose l’activité sanguine anticoagulante spécifique de l’AOD et s’il s’agit d’une chirurgie à risque hémorragique moyen ou élevé, une antagonisation de l’AOD peut être effectuée avec de l’idarucizumab pour le dabigatran ou des concentrés de complexes prothrombinique (CCP) ou du PPSB pour les autres AOD. Évidemment, une hémostase soigneuse doit être effectuée par le chirurgien tout au long de l’intervention pour éviter les complications hémorragiques post-opératoires.

Gestion des AOD en cas d’hémorragie

Dans ce cas, la conduite à tenir dépend de l’intensité de l’hémorragie.
Si elle est faible (petite plaie cutanée par exemple), le traitement par AOD peut être poursuivi et une hémostase locale peut suffire.
Dans le cas d’une hémorragie plus importante ou éventuellement menaçant le pronostic vital du patient, il convient d’arrêter immédiatement l’AOD, d’effectuer un test de l’activité anticoagulante sanguine de l’AOD, d’effectuer une compression mécanique, un geste hémostatique local sur la lésion, des mesures aspécifiques type transfusion de culots globulaires, plaquettaires ou un remplissage vasculaire. Enfin, pour le dabigatran, il est possible d’antagoniser la molécule avec son antidote spécifique l’idarucizumab ou pour les antiXa, dont l’antidote n’est pour l’instant pas disponible, d’injecter des complexes prothrombiniques (CCP) ou du PPSB.

CAS SPÉCIFIQUES À GÉRER DANS LE SUIVI QUOTIDIEN

– Demande de dosage sanguin d’activité anticoagulante : comme discuté ci-dessus, il n’y a aucune indication à effectuer un suivi biologique régulier d’hémostase chez les patients traités par AOD. Seuls les critères d’adaptation de doses doivent être suivis. Ainsi, il faut régulièrement vérifier leur fonction rénale, environ tous les six mois ou en période d’accident aigu type infection, déshydratation. Le TP et le TCA sont interprétables chez les patients traités par AOD. En cas de chirurgie urgente ou d’hémorragie aiguë et sévère, des tests spécifiques d’activité anticoagulante sont disponibles pour chacun des AOD.

– En cas d’oubli d’une dose d’AOD, il ne faut jamais prendre une double dose. Pour les AOD en deux prises (dabigatran et apixaban), le patient peut prendre son AOD jusqu’à six heures après l’heure de prise habituelle et jusqu’à 12 heures pour le rivaroxaban qui est en mono prise.

COMMENT PASSER D'UN AVK À UN AOD OU L'INVERSE

Pour les patients déjà traités par AVK que l’on souhaiterait mettre sous AOD (cas le plus fréquent), l’AVK est arrêté puis on débutera l’AOD quand l’INR passe en dessous de 2,5 – soit, en pratique clinique, environ trois jours après l’arrêt de l’AVK (pour la fluindione (Previscan®) ou la warfarine (Coumadine®).
Pour l’acénocoumarol (Sintrom®), dont la demi-vie est plus courte, il faut attendre 24 heures sans AVK avant de débuter l’AOD.
Dans le cas inverse, un patient sous AOD devant être mis sous AVK, ces deux traitements doivent être continués jusqu’à ce que l’INR soit > 2. À noter que pour que l’AOD perturbe le moins possible le dosage de l’INR, il est recommandé de l’effectuer immédiatement avant la prise quotidienne d’AOD. Il est à noter que depuis le 1er décembre 2018, l'ANSM interdit la prescription de fluindione (Previscan®) en initiation de traitement par AVK.

RÉSUMÉ

De plus en plus prescrits, les AOD sont en train de remplacer progressivement les AVK. Leur maniement doit être bien adapté en fonction de chaque patient et de son indication. Les critères d’adaptation de doses doivent être connus de tout prescripteur, pour attribuer la bonne dose à nos patients, sous peine d’augmenter le risque hémorragique ou thrombotique. Enfin, chaque patient sous AOD doit être porteur d’une carte de surveillance des anticoagulants dans le cadre du suivi de son traitement.

Bibliographie

1- HAS mai 2018 Fibrillation atriale non valvulaire. Quelle place pour les anticoagulants oraux ?

2- Steffel J, Verhamme P, Potpara TS, Albaladejo P, Antz M, Desteghe L, Georg Haeusler K, Oldgren J, Reinecke H, Roldan-Schilling V, Rowell N, Sinnaeve P, Collins R, Camm AJ, Heidbüchel H; ESC Scientific Document Group The 2018 European Heart Rhythm Association Practical Guide on the use of non-vitamin K antagonist oral anticoagulants in patients with atrial fibrillation: executive summary. Europace. 2018 Mar.

3- Lip GY, Nieuwlaat R, Pisters R, Lane DA, Crijns HJ. Refining clinical risk stratification for predicting stroke and thromboembolism in atrial fibrillation using a novel risk factor-based approach: the euro heart survey on atrial fibrillation. Chest. 2010;137:263-72.

Liens d'intérêts

L'auteur déclare avoir des liens d'intérêts avec Bayer, Boehringer Ingelheim et BMS-Pfizer.

Pr Nicolas Lellouche, service de cardiologie, hôpital Henri Mondor, AP-HP, Créteil, France

Source : lequotidiendumedecin.fr