Les engelures sont une des manifestations de l’hypersensibilité au froid, au même titre que le phénomène de Raynaud et l’acrocyanose essentielle auxquels elles sont d’ailleurs volontiers associées. Elles toucheraient environ 2 % des femmes et seraient cinq fois plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. C’est une pathologie bénigne, de diagnostic clinique complété par quelques examens biologiques simples. Le traitement est essentiellement préventif.
LES ASPECTS CLINIQUES
-› Les engelures sont des lésions inflammatoires cutanées localisées aux extrémités : orteils, talon, doigts, nez, oreilles, déclenchées par l’exposition au froid et/ou à l’humidité. Il s’agit de papules érythémateuses et/ou violines, accompagnées d’un œdème qui donne volontiers un aspect luisant à la peau. Aux orteils, l’ensemble de l’orteil peut être boursouflé et violacé. Aux doigts, la localisation élective est la face dorsale en regard des articulations métacarpo-phalangiennes.
-› Le prurit est intense, lié à l’œdème, et s’aggrave lors des passages du froid au chaud. L’œdème s’il est important, peut provoquer l’apparition de bulles qui laisseront place à des érosions superficielles. Les pieds sont plus fréquemment atteints en raison du frottement dans les chaussures. Il n’est pas rare que l’engelure ne touche qu’un orteil exposé de par son anatomie, aux frottements.
-› L’engelure, une fois les facteurs aggravants contrôlés, guérit en deux à trois semaines, en passant parfois par une phase ecchymotique laissant des petites taches brunes qui permettent à l’occasion de faire le diagnostic a posteriori. L’engelure peut se compliquer de surinfection, favorisée par le grattage. L’engelure ne donne jamais de nécrose cutanée.
PROFIL TYPE ET CIRCONSTANCES DE SURVENUE
Deux grandes enquêtes françaises portant sur un grand collectif de patients (257 pour l’étude lilloise et 111 pour l’étude parisienne) ont bien mis en évidence le profil type des patients consultant pour des engelures. Il s’agit dans près de 90 % des cas de femmes jeunes (âge moyen 33 ans), ayant dans plus de 70 % des cas une hypersensibilité au froid associée, soit phénomène de Raynaud, soit acrocyanose essentielle. Ces jeunes femmes sont minces et l’on retrouve dans la moitié des cas une perte de poids dans les deux ans précédant les engelures.
Dans la série parisienne, un quart des patients avait pris des médicaments vasoconstricteurs avant l’apparition des engelures (bêtabloquants par voie orale ou collyre, dérivés de l’ergot de seigle ou triplans chez des migraineux) .
L’examen clinique, à part la minceur et l’acrocyanose si elle est associée, est normal.
Les engelures surviennent en saison froide, automne ou hiver. La survenue en été, doit faire a priori écarter ce diagnostic.
PHYSIOPATHOLOGIE
Il n’y a pas de littérature sur le sujet. La cause des engelures serait une vasoconstriction prolongée déclenchée par le froid et qui provoquerait une hypoxie cutanée conduisant aux lésions observées .
-› Lorsqu’une biopsie est réalisée, l’examen histologique montre un œdème dermique et épidermique conduisant à une spongiose (dissociation des cellules épidermiques) associé à un infiltrat lymphocytaire périvasculaire et périsudoral. Il n’y pas de vascularite nécrosante. Des thrombus sont rarement retrouvés dans les capillaires.
LE DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Chez la femme jeune
-› Le diagnostic différentiel à évoquer est le lupus engelures (« chilblain lupus »).
Il s’agit de lésions papuleuses et violacées survenant aux extrémités, plus volontiers aux mains alors que l’engelure siège préférentiellement aux pieds, accompagnant un lupus soit systémique, soit discoïde, ou révélant ce lupus, voire précédant le lupus. Ces lésions représenteraient 20 % des lésions cutanées observées dans de grandes séries de lupus. Les lésions peuvent être trompeuses lorsqu’elles surviennent en saison froide. Le diagnostic est suspecté s’il existe d’autres signes de lupus tels une asthénie, une chute des cheveux, une photosensibilisation, des douleurs articulaires. Il doit être évoqué lorsque les engelures ne touchent que les mains, car le lupus engelures est beaucoup plus fréquent aux mains, ou lorsqu’il existe des atypies saisonnières telles une récidive ou une évolution traînante en saison chaude. La recherche de facteurs antinucléaires est intéressante lorsque des facteurs antinucléaires sont présents à titre élevé. Lorsque les facteurs antinucléaires sont négatifs, ou à titre faible, et que l’on suspecte un lupus engelures, la réalisation d’une biopsie cutanée pour étude histologique peut être nécessaire.
Chez l’homme jeune fumeur
Les engelures sont moins fréquentes chez l’homme que chez la femme ;
-› La thrombo-angéite de Buerger débute volontiers par des lésions ischémiques des orteils, favorisées par le froid, qui peuvent ressembler à des engelures. La maladie de Buerger est une artériopathie distale, atteignant les artères des pieds et des jambes, des avant-bras et des mains. Les manifestations cliniques sont un phénomène de Raynaud, une claudication intermittente distale qui va se manifester par des douleurs de la plante des pieds ou des orteils à la marche, et parfois des thromboses veineuses superficielles volontiers nodulaires. Elle survient exclusivement chez des patients jeunes (moins de 35 ans) fumeurs de tabac, et désormais également chez des consommateurs de cannabis. Il s’agit de thromboses segmentaires artérielles, qui en se recanalisant, laissent place à des artères filiformes. Le diagnostic est évoqué sur les symptômes cliniques, le terrain (âge jeune, tabac) et la topographie de l’atteinte artérielle (abolition d’un ou plusieurs pouls distaux).
Chez un patient fumeur consultant pour des lésions des orteils évoquant des engelures, la palpation des pouls distaux et la prise des pressions distales est impérative.
-› Chez un patient fumeur consultant pour des lésions des orteils évoquant des engelures, la palpation des pouls distaux et la prise des pressions distales est impérative.
-› Chez le patient de plus de 60 ans polyvasculaire
Un premier épisode d’engelures des orteils chez un patient de plus de 60 ans polyvasculaire est toujours possible, mais avant de retenir ce diagnostic, il faut éliminer des embolies de cristaux cholestérol. Ces débris fibrino-plaquettaires, de très petite taille, se détachent de plaques athéroscléreuses aortiques ou iliofémorales et vont se bloquer dans les capillaires cutanés des orteils. L’aspect clinique d’orteil bleu ou de plaque livedoïde sur la pulpe d’un ou plusieurs orteils peut être trompeur, mais habituellement la douleur est plus intense dans les embolies de cholestérol que dans les engelures. Il est alors nécessaire de réaliser un examen écho-Doppler de l’aorte et des membres inférieurs complété éventuellement par un scanner de l’aorte abdominale
À tout âge
Les syndromes myéloprolifératifs sont révélés dans 40 % des cas par des manifestations thrombotiques veineuses ou artérielles ou microcirculatoires. Les thromboses microcirculatoires se traduisent par des ischémies des doigts ou des orteils d’aspect trompeur, d’autant plus qu’un phénomène de Raynaud ou une acrocyanose peuvent être associés. Il s’agit de thrombocytémies essentielles et moins souvent de polyglobulies de Vaquez. Ce type de complication microcirculatoire se voit dès 400 000 plaquettes par mm3. Des lésions ressemblant à des engelures ont été également rapportées chez des patients souffrant de leucémie aigue ou chronique myélomonocytaire.
La numération formule sanguine est donc justifiée chez ces patients.
Le cas particulier des gelures
-› La gelure n’a rien à voir avec l’engelure si ce n’est qu’elle est provoquée par le froid. Il s’agit du gel de la peau, dans 85 % des cas au niveau des extrémités, doigts ou orteils, provoqué par l’exposition plus ou moins longue à une température inférieure à 0°c. Il existe une vasoconstriction intense initiale, suivie d’une cristallisation du milieu extracellulaire, puis d’une déshydratation et d’une mort cellulaire. Cliniquement, la vasoconstriction se traduit par une sensation de froid intense, suivie ensuite d’une anesthésie, puis quelques heures plus tard de douleurs vives avec un œdème local, et en fonction de la gravité de la gelure, la formation de bulles hémorragiques et de nécroses.
-› Les deux circonstances de survenue actuelles sont la pratique des sports de montagne (ski, alpinisme) et la survenue chez des patients sans domicile fixe, surtout s’il existe une neuropathie alcoolique associée qui va masquer les douleurs.
QUEL BILAN PROPOSER ?
Il n’y a aucune recommandation dans la littérature sur le bilan à proposer quand on suspecte des engelures.
En médecine vasculaire dans le groupe hospitalier Paris Saint-Joseph, nous effectuons lors d’un premier épisode d’engelure :
- un interrogatoire recherchant la prise de médicaments vasoconstricteurs, le tabagisme ou la prise de cannabis, une perte de poids récente,
- un examen clinique complet recherchant des signes de lupus (photosensibilité, perte de cheveux, arthralgies, lésions de lupus discoïde) et recherchant une artériopathie distale : palpation des pouls, mesure de l’index des pressions distales, manœuvre d’Allen aux membres supérieurs,
- une capillaroscopie s’il existe un phénomène de Raynaud ou une acrocyanose associée,
- un bilan biologique comportant : numération formule sanguine et recherche de facteurs antinucléaires pour éliminer un lupus engelures ou un syndrome myéloprolifératif.
LE TRAITEMENT
Rassurer les patients
Les engelures sont une pathologie bénigne, même si elles peuvent être invalidantes. On ne dispose pas d’études de suivi dans le temps, mais on sait que pour le phénomène de Raynaud primitif, l’acrosyndrome disparait dans 30 à 50 % des cas au bout de dix ans de suivi. Notre impression est que les engelures évoluent de la même façon à condition de respecter les règles de prévention.
Le traitement doit être avant tout préventif
-› Dans la série réalisée à l’hôpital St Joseph sur 111 patients consécutifs, les engelures siégeaient dans 103 cas sur les orteils, et un traumatisme par des chaussures neuves ou trop étroites, était retrouvé à l’interrogatoire. Le port de chaussures larges, confortables et chaudes est une mesure simple qui peut permettre d’éviter les récidives d’engelures. La confection de semelles ou d’orthèses de protection des orteils est à envisager lorsque les engelures récidivent au même endroit, sur un orteil ou sur une plante déformée.
Cette même étude montrait que les engelures survenaient chez des patients ayant une hypersensibilité au froid, telle un phénomène de Raynaud et/ ou une acrocyanose dans 80 % des cas, et qu’une prise de médicaments vasoconstricteurs contemporaine des engelures était retrouvée dans 20 % des cas. Il est utile de conseiller aux patients, si cela est médicalement possible, d’arrêter les médicaments vasoconstricteurs, tels les bêtabloquants par voie orale ou locale (collyres prescrits pour le glaucome), les dérivés de l’ergot de seigle, et d’éviter de prendre l’hiver des vasoconstricteurs ORL par voie orale ou nasale.
. La minceur est également un facteur favorisant, notamment un amaigrissement récent (3). Cette donnée explique que les engelures étaient communes durant les périodes difficiles telles les guerres. Même si les femmes souhaitent rarement prendre du poids, il faut informer les patientes de cette particularité épidémiologique.
. C’est l’occasion également de proposer un arrêt de l’intoxication tabagique. On ne dispose pas d’étude épidémiologique sur les bienfaits de l’arrêt du tabac dans ce type de pathologie, mais les effets vasoconstricteurs du tabac sur la microcirculation des doigts ont été démontrés.
. Si ces mesures hygiéniques ne suffisent pas, et si les engelures récidivent régulièrement, le seul traitement préventif étudié est l’utilisation d’inhibiteurs calciques.
-› Une étude randomisée en aveugle versus placebo en cross over a montré sur de petits effectifs (10 patients) une efficacité curative et préventive de la nifédipine. La nifédipine, aux doses recommandées par les auteurs (20 mg x3), provoquait des effets secondaires (flush, palpitations, céphalées) supportables d’après les auteurs. Dans notre expérience, les autres inhibiteurs calciques peuvent être utilisés : Diltiazem 60 mg, à la dose de 2 à 3 cp par jour, sous contraception efficace, ou verapamil LP 240 mg après électrocardiogramme. Ce dernier médicament a l’avantage de ne donner que peu d’effets secondaires (constipation).
Ces médicaments, en prévention, sont donnés dès le début de l’automne jusqu’au printemps.
Aucun traitement n’a l’autorisation de mise sur le marché pour le traitement préventif des engelures. Cet aspect médico-légal peut être contourné pour les patients qui ont un phénomène de Raynaud associé. Dans ce cas, la nifédipine 10 mg a la mention légale pour le traitement du phénomène de Raynaud, même si c’est la forme retard (nifedipine LP30) qui a été largement étudiée dans cette indication.
. Parmi les autres traitements, la vitamine D et la calcitonine sont parfois citées, mais n’ont jamais fait l’objet d’études contrôlées. Les ultraviolets étaient conseillés par certains, mais une étude contre placebo a clairement prouvé leur inefficacité en traitement préventif.
Le traitement curatif
Il comprend dans tous les cas, mais tout particulièrement en cas d’exulcérations, des soins locaux : application de compresses vaselinées et pansements protecteurs aident à la cicatrisation. Certains auteurs utilisent les dermocorticoïdes de classe II sous occlusion avec succès (6). Ce traitement n’a pas fait l’objet d’études contrôlées, mais il est utile pour calmer le prurit et l’inflammation.
-› Le traitement médicamenteux fait appel aux inhibiteurs calciques, essentiellement la nifédipine même si les études publiées sont de mauvaise qualité méthodologique car elles sont anciennes, de petits effectifs et ne comportent pas d’analyse statistique.
Parmi les autres médicaments classiquement proposés, les vasoactifs simples (buflomedil, pentoxyfilline, naftidrofluryl) n’ont fait l’objet d’aucun essai. Là aussi, il n’y a pas actuellement de médicament ayant l’autorisation de mise sur le marché pour cette indication.
EN CONCLUSION
Les engelures font partie de l’hypersensibilité au froid et concernent le plus souvent des femmes jeunes et minces ayant un phénomène de Raynaud ou une acrocyanose essentielle. Les diagnostics différentiels se discutent lorsqu’il y a une atypie dans la présentation clinique (atteinte exclusive des mains, survenue en dehors du froid, début tardif ou survenue chez l’homme fumeur ou absence de phénomène de Raynaud ou d’acrocyanose essentielle). Le bilan biologique raisonnable devant une première poussée d’engelures peut comprendre une numération formule sanguine et la recherche de facteurs antinucléaires.
-› Dans tous les cas, les conseils d’hygiène de vie sont indispensables et peuvent suffire à éviter les récidives.
-› Si malgré ces mesures, les engelures récidivent et si elles sont invalidantes, un traitement préventif par inhibiteurs calciques est raisonnable.
-› Si le patient consulte pour des engelures actives, une protection locale et des dermocorticoïdes de classe II est suffisante si les engelures sont peu sévères. Un traitement inhibiteur calcique est justifié si la gêne est importante et la qualité de vie touchée.
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