Andrologie

L'INFERTILITÉ MASCULINE

Publié le 02/12/2011
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Même si les techniques de procréation médicalement assistée ont révolutionné le pronostic de l'infertilité masculine, la démarche diagnostique se doit d'être rigoureuse afin de déterminer l'origine du trouble.

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L'infertilité se définit pour un couple sexuellement actif par l'absence de conception ou de grossesse après un an de rapports sexuels réguliers sans contraception. "La part respective des facteurs masculin et féminin dans la stérilité du couple varie selon les auteurs et le degré de spécialisation des équipes, précise le Dr Belaisch. On cite habituellement deux séries de chiffres : la première où le facteur masculin, le facteur féminin et l'association des deux interviennent chacun pour un tiers des cas, et la seconde dans laquelle le facteur masculin est à l'origine de la stérilité du couple dans 25 % des cas, le facteur féminin dans 50 % des cas, l'association des deux concernant les 25 % restants".

ÉVALUATION INITIALE DE L'HOMME INFERTILE

En 2007, l'Association française d'urologie (AFU) a publié des recommandations sur l'évaluation de l'homme infertile (1). La première étape de la prise en charge consiste à interroger et à examiner le patient, et à prescrire un spermogramme, examen de première intention. Parfois, en fonction du contexte clinique, un bilan endocrinien (testostérone totale et FSH) peut être prescrit d'emblée (voir infra). "Cette évaluation initiale peut tout à fait être réalisée par le médecin généraliste, sous réserve d'orienter ensuite le patient vers un urologue ou un spécialiste de la reproduction".

La clinique

-› L'interrogatoire retrace l'histoire reproductive de l'homme : antécédent de cryptorchidie et traitements reçus (chirurgie d'abaissement ou traitement hormonal), déroulement de la puberté, épisodes infectieux (orchite, épididymite) ou traumatiques, torsion du cordon spermatique… On s'enquiert également de la fréquence et de la régularité des rapports sexuels, de l'âge de la partenaire, de la durée d'infertilité du couple et des antécédents des deux partenaires en ce domaine, des antécédents familiaux et de l'existence de certaines pathologies chroniques telles que le diabète (potentiellement responsable d'une insuffisance érectile ou d'une éjaculation rétrograde) ou la mucoviscidose (absence fréquente des canaux déférents). Les antécédents de traitements par chimiothérapie anticancéreuse ou radiothérapie doivent être notés.

L'exposition à des facteurs toxiques doit être recherchée. Il peut s'agir d'agents chimiques : solvants, plomb, pesticides, perturbateurs endocriniens tels que le bisphénol A, les phtalates, les composés perfluorés, les retardateurs de flamme ou les parabènes (2), mais aussi de facteurs physiques comme la chaleur. Le travail dans certaines industries (plasturgie, industrie pharmaceutique, cosmétique, agro-alimentaire, textile) ou des métiers tels que soudeur, cuisinier, boulanger, plombier constituent donc des facteurs de risque d'infertilité masculine.

Enfin, l'anamnèse recherche la présence d'éventuelles addictions : alcool, tabac, drogues illicites, toutes ces substances étant délétères pour la qualité du sperme.

-› L'examen clinique recherche la présence d'anomalies urogénitales. Pour l'AFU (1), il doit préférentiellement être réalisé par un urologue ou un andrologue. "L'examen de l'homme, souvent négligé, est pourtant facile, très informatif, et accessible à tout médecin. On palpe d'abord les testicules (présence, taille, consistance), puis l'épididyme et les canaux déférents, dont la consistance est semblable à celle d'une corde à fouet". On évalue également le développement des caractères sexuels secondaires, la présence d'une varicocèle, et l'examen du pénis permet de repérer un éventuel hypospadias. L'AFU recommande fortement la réalisation d'un toucher rectal. "À noter que l'examen urologique doit être réalisé sur un patient en décubitus, en raison du risque de malaise vagal fréquemment associé à ce type d'examen".

Le spermogramme : en première intention

-› La réalisation d'un spermogramme, premier examen à demander pour explorer une infertilité masculine, est systématique (1). Les paramètres spermatiques ont été actualisés par l'OMS en 2010 (réf 3 ; tableau 1). L'examen doit être effectué au laboratoire après un délai d'abstinence de 2 à 7 jours. En cas d'anomalies, les conditions de recueil sont contrôlées et un second spermogramme est demandé après un intervalle d'au moins un mois (1). Ce délai passe à 3 mois en cas d'infection ou d'épisode fébrile.

-› L'azoospermie se définit par l'absence de spermatozoïdes dans l'éjaculat, et l'oligospermie par un nombre de spermatozoïdes inférieur aux valeurs limites. L'asthénospermie correspond à un pourcentage de mobilité progressive (spermatozoïdes se déplaçant activement soit linéairement soit en décrivant de larges cercles) inférieur à 32 %. En cas de tératospermie, le pourcentage de formes normales de spermatozoïdes est inférieur à 4 % (le laboratoire doit préciser la classification utilisée). L'anomalie la plus fréquemment rencontrée est l'oligo-asthéno-tératospermie (OATS). "Le pourcentage de mobilité progressive est un critère important, et une erreur fréquente consiste à considérer que le spermogramme est normal alors même que ce paramètre est inférieur à la valeur seuil. On accorde moins d'importance en revanche à un faible taux de formes normales, et même une faible concentration spermatique, inférieure à 5 millions / ml (4), n'est pas incompatible avec l'obtention d'une grossesse, le délai d'attente étant alors plus long". Par ailleurs, le spermogramme montre parfois la présence d'agglutinats de spermatozoïdes qui laissent place à un nombre plus ou moins important de spermatozoïdes libres.

-› L'examen du sperme permet aussi de dépister une hémo ou une leucospermie, de doser certains marqueurs biochimiques : alpha-glucosidase, carnitine, fructose, zinc, et de procéder si besoin à une spermoculture.

SI LE SPERMOGRAMME EST ANORMAL

En cas d'OATS

-›Les causes d'oligo-asthéno-tératospermie sont nombreuses. Parmi elles, citons la varicocèle, l'altération du sperme par des toxiques ou des solvants, l'insuffisance en testostérone (hypogonadisme), les anomalies géniques (pas toujours mises en évidence), l'obstruction unilatérale des voies excrétrices, les infections du sperme (attention à l'infection conjointe de la glaire de la partenaire), voire le cancer testiculaire. Les examens nécessaires – évaluation endocrinienne, étude morphologique par échographie transrectale et/ou scrotale, spermoculture - varient donc selon chaque situation individuelle et sont du ressort de la consultation spécialisée. Parfois, aucune cause n'est individualisée.

En cas d'azoospermie

-› L'azoospermie peut être sécrétoire, consécutive à une altération de la spermatogenèse, ou excrétoire, liée à une obstruction sur les voies excrétrices. L'AFU recommande de réaliser dans ce cas un bilan endocrinien, comportant au minimum le dosage de la testostérone totale et de la FSH (1). Ce bilan doit aussi être demandé en présence de signes cliniques évoquant un hypogonadisme (peu de barbe, testicules petits, épididyme diminué de volume ou non palpable, antécédent de puberté tardive, dysfonction sexuelle) ou une endocrinopathie. Egalement en cas d'oligospermie sévère (< 10 millions de spermatozoïdes / ml).

-› Une FSH basse et une testostérone basse orientent vers une azoospermie sécrétoire d'origine hypothalamo-hypophysaire. L'hypogonadisme peut ainsi être en rapport avec différentes pathologies hypophysaires, ou encore avec un syndrome de Kallmann de Morsier. Celui-ci, dû à une atteinte hypothalamique avec déficit de sécrétion de GnRH (ou LH-RH) d'origine génétique, se caractérise par l'association de troubles de l'odorat avec un hypogonadisme. Selon le contexte clinique, le bilan peut être complété par un dosage de la LH, de la SHBG (sex hormone binding globulin), par une exploration des axes lactotrope, thyréotrope, corticotrope, somatotrope, et/ou par une IRM hypophysaire.

-› Une FSH élevée et une testostérone normale ou basse évoquent une azoospermie sécrétoire d'origine testiculaire. C'est dans ce cas notamment que l'on effectue un caryotype (voir aussi encadré 1) et des analyses de biologie moléculaire, à la recherche d'un syndrome de Klinefelter, de microdélétions du chromosome Y ou d'autres anomalies chromosomiques.

• Les anomalies des chromosomes sexuels, dont fait partie le syndrome de Klinefelter, représentent deux tiers des anomalies chromosomiques observées chez l'homme infertile (1). Le syndrome de Klinefelter se caractérise par la présence d'un chromosome X surnuméraire, le caryotype étant alors 47(XXY). Cliniquement, on observe une macroskélie, une gynécomastie et une diminution du volume testiculaire.

• Les microdélétions du chromosome Y, diagnostiquées par des techniques de biologie moléculaire, sont des mutations localisées sur le bras long du chromosome Y au niveau de la zone AZF (AZoospermia Factor). Ce locus comporte 3 zones : AZFa, AZFb et AZFc, chacune déterminant la sévérité de l'atteinte de la spermatogenèse. La délétion complète de la zone AZFa est associée à une absence complète de cellules germinales, induisant une azoospermie. La délétion complète de la zone AZFb est associée à un blocage de la spermatogénèse, donc également à une azoospermie. En revanche, la délétion complète de la zone AZFc induit de multiples phénotypes, pouvant aller de l’azoospermie à l’oligospermie (5). Cette dernière anomalie est donc compatible avec la découverte de spermatozoïdes dans l’éjaculat ou dans la biopsie testiculaire. Lorsque les délétions sont partielles ou en cas de délétions affectant plusieurs régions, tous les phénotypes peuvent être retrouvés.

• Indépendamment des anomalies génétiques, d'autres pathologies testiculaires peuvent être à l'origine d'une azoospermie ou d'une oligospermie sévère : orchite ourlienne ou bactérienne, hypoxie consécutive à une torsion testiculaire, aplasie de la lignée germinale.

-› La normalité du bilan endocrinien – FSH et testostérone normales – oriente vers une azoospermie excrétoire. Dans ce cas, le volume et la consistance testiculaire sont normaux, de même que les caractères sexuels secondaires. L'obstruction, congénitale ou acquise (infection génitale, cure de hernie inguinale), peut siéger au niveau de l'épididyme, des canaux déférents ou des canaux éjaculateurs (à la sortie des vésicules séminales). À l'examen clinique, on observe parfois une agénésie ou une absence de l'épididyme ou encore l'absence de canaux déférents. Toute agénésie unilatérale ou bilatérale des canaux déférents ou des épididymes doit faire rechercher une mucoviscidose, en raison de la forte association entre agénésie vésiculodéférentielle et mutation du gène de la mucoviscidose (1) (encadré 1).

L'exploration des azoospermies excrétoires est complétée par un bilan morphologique des voies spermatiques par échographie transrectale, et parfois par une étude des marqueurs biochimiques du sperme. Celle-ci aide à localiser l'obstacle, l'alpha-glucosidase et la carnitine provenant de l'épididyme, le fructose des vésicules séminales et le zinc de la prostate.

À noter que l'absence d'éjaculat ou un faible volume de sperme peut suggérer, outre une anomalie des voies excrétrices, une éjaculation rétrograde. Ce diagnostic doit être évoqué devant tout volume inférieur à 1 ml chez des hommes n’ayant ni hypogonadisme, ni agénésie déférentielle bilatérale. C'est alors l'indication d'une analyse post-éjaculatoire des urines, afin de rechercher la présence de spermatozoïdes dans les urines (1).

Les infertilités d'origine immunologique

L'existence d'agglutinats de spermatozoïdes sur le spermogramme doit faire rechercher la présence d'anticorps antispermatozoïdes dans le sperme, notamment en cas d'antécédents traumatiques, de torsion spermatique ou de chirurgie scrotale.

Même chose lorsque le test postcoïtal de Hühner (voir ci-dessous) est anormal, les anticorps pouvant alors provenir de la partenaire.

SI LE SPERMOGRAMME EST NORMAL

-› Un spermogramme considéré comme normal ne garantit pas l'absence totale d'anomalies. En effet, les valeurs des différents paramètres chez les hommes fertiles et infertiles se recouvrent en partie, la variabilité inter et intra-individuelle est importante, et certaines anomalies subtiles sont difficiles à mettre en évidence. Par ailleurs, le fonctionnement des glandes annexes n'est qu'imparfaitement analysé (6). Pour autant, l'AFU considère en pratique qu'un seul spermogramme suffit si les valeurs obtenues sont normales sur ce premier prélèvement (1).

-› Le test postcoïtal de Hühner permet d'évaluer le nombre et la mobilité des spermatozoïdes dans la glaire cervicale en période pré ovulatoire, quelques heures après un rapport sexuel. Un score (score d'Insler) est établi en fonction de l'aspect de la glaire et de l'ouverture du col à l'examen clinique. Le nombre et la mobilité des spermatozoïdes par champ sont relevés. "Le test postcoïtal est l'examen de choix en cas de spermogramme normal. Il permet non seulement de détecter les cas de glaire hostile, mais aussi de mettre en évidence l'aspect incomplet d'un rapport ou les cas d'anéjaculation".

-› Dans certains cas, notamment lorsque le bilan de la partenaire est normal, on peut être amené à étudier la fécondance des spermatozoïdes grâce à des examens spermiologiques spécialisés, tels que l'étude de la condensation de la chromatine des spermatozoïdes ou la fragmentation de l'ADN.

LES SOLUTIONS DISPONIBLES

Certaines causes sont curables

Un traitement étiologique de l'infertilité est parfois possible, en cas d'adénome hypophysaire par exemple, d'hypopituitarisme lors de certaines pathologies infiltratives ou inflammatoires (histiocytose, sarcoïdose, hémochromatose) ou d'atteinte hypothalamique. Outre le traitement de la pathologie proprement dite, la spermatogenèse peut être stimulée grâce à une hormonothérapie par FSH, gonadotrophine chorionique ou GnRH native. Le plus souvent, plusieurs mois de traitement sont nécessaires.

La varicocèle est accessible à l'embolisation de la veine spermatique. La chirurgie réparatrice canalaire est parfois possible.

Une antibiothérapie est indiquée en cas d'infection du sperme (chlamydiae trachomatis), sans oublier de traiter la partenaire si nécessaire.

La procréation médicalement assistée

-› Les techniques de procréation médicalement assistée (PMA) ont changé du tout au tout le pronostic de l'infertilité masculine, autrefois catastrophique. Le choix de la technique dépend du type d'anomalie à l'origine de l'infertilité, mais aussi des résultats du test de migration survie : les spermatozoïdes sont d'abord lavés et débarrassés du plasma séminal, puis concentrés. Si le nombre de spermatozoïdes normaux et mobiles ainsi obtenus dépasse 1 million, on peut s'orienter vers une insémination intra-utérine ; s'il est compris entre 1 million et 500 000, on procède généralement à une fécondation in vitro (FIV) ; en dessous de 500 000, c'est l'indication à une FIV avec micromanipulation (Intracytoplasmic sperm injection [ICSI]).

-› En pratique, l'insémination intra-utérine avec sperme du conjoint est utilisée en 1ère intention (dans le contexte de l'infertilité masculine) en cas de troubles de l'éjaculation, d'OATS, d'insuffisance de sperme, ou encore en cas d'infertilité d'origine immunologique avec présence d'anticorps antispermatozoïdes. Le nombre d'inséminations réalisées avant de passer à la FIV dépend des altérations du sperme.

Selon la HAS (7), l'ICSI est indiquée en cas d'azoospermie non obstructive, d'azoospermies obstructives congénitales par absence bilatérale des canaux déférents, et lorsqu'il existe une OATS modérée ou sévère. Egalement en présence d'un taux d'anticorps antispermatozoïdes supérieur à 80 %, et en cas d'échec de la FIV. Le recueil des spermatozoïdes doit parfois faire appel à un prélèvement épididymaire ou déférentiel, à une ponction testiculaire, voire à une biopsie testiculaire. La transmission à la descendance d'anomalies chromosomiques ou la transmission d'un facteur génétique d'infertilité masculine sont possibles, cet aspect étant pris en compte par l'équipe en charge de la PMA.

Ces dernières années ont vu le développement de l'IMSI (Intracytoplasmic morphology selected sperm injection) ou ICSI améliorée, qui permet une meilleure sélection du spermatozoïde à injecter (grossissement de l'ordre de 6000 versus 400 en ICSI classique).

Dr Pascale Naudin-Rousselle (rédactrice, fmc@legeneraliste.fr) avec le Dr Jean Belaisch (ancien Président de la Société française de gynécologie, Président d'honneur de la société d'andrologie de langue française, 36 rue de Tocqueville, 75 017 Paris ; cou

Source : lequotidiendumedecin.fr