Gynécologie

L'IVG MÉDICAMENTEUSE EN MÉDECINE DE VILLE

Publié le 28/03/2022
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L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est de plus en plus pratiquée en dehors des centres de santé. L’IVG médicamenteuse en ville comporte peu de risques. Le praticien qui pratique l’orthogénie doit entrer dans un réseau ville-hôpital avant de pratiquer des IVG. L’originalité complémentaire de cette prise en charge est la dispensation des médicaments directement à la femme. Les protocoles actuels sont clairs et simples, et la gestion des rares complications éventuelles bien codifiée.

Crédit photo : GARO/PHANIE

INTRODUCTION

L’IVG médicamenteuse était possible en dehors des établissements de santé jusqu’à 7 semaines d’aménorrhée (SA) en France depuis la mise en application de la loi en 2004. Des mesures dérogatoires ont permis l’extension du délai à 9 SA en ville depuis le 5 novembre 2020. Ce délai étendu à 9 SA est définitivement établi depuis la parution d'un décret en février 2022 au Journal officiel.

Alors que les femmes concernées étaient moins de 3 % à bénéficier d’une prise en charge de leur IVG en dehors d’un établissement de santé en 2005, 31 % d’entre elles faisaient appel à la médecine de ville pour leur IVG quinze ans plus tard, selon le rapport de la Drees. Ce sont plus de 67 500 femmes qui sont ainsi prises en charge en dehors d’un établissement de santé en 2020 et ce nombre est en croissance constante. Le médecin généraliste a donc une place de plus en plus importante dans la prise en charge des femmes demandant une IVG.



INTÉGRER UN RÉSEAU VILLE-HÔPITAL

Pour pouvoir prescrire une IVG médicamenteuse en cabinet, il est nécessaire d’être dans un réseau entre ville et hôpital, c’est-à-dire d’avoir signé une convention avec un hôpital de référence. La convention peut être signée par un médecin généraliste, une sage-femme ou un gynécologue ayant une pratique régulière des IVG médicamenteuses attestée par le directeur de l’établissement hospitalier. En pratique, cela dépend donc de l’hôpital de référence. Le plus souvent, il est demandé une formation et éventuellement un stage dans le centre d’IVG.

Le centre hospitalier de référence assure la prise en charge des échecs et des complications liées aux IVG 24 heures/24. Il forme les médecins et répond à leurs demandes d’informations autour de l’IVG médicamenteuse. Une évaluation des IVG faites en ville est effectuée chaque année par le centre de référence.

Le professionnel ou la professionnelle de santé est tenu(e) d’informer les femmes sur les méthodes possibles d’IVG et leurs complications, sur la contraception et les IST. Pour la femme demandeuse d’une interruption de grossesse, une rencontre psychosociale généralement réalisée par une conseillère conjugale et familiale est proposée. Elle n’est obligatoire que pour les mineures. Le médecin ou la sage-femme répond à la demande de la patiente et aux appels téléphoniques dans la mesure du possible.

Il est nécessaire de signaler à son assurance professionnelle le fait de réaliser des IVG, mais il n’y a pas de surcoût à cette activité.

SE PROCURER LES MÉDICAMENTS

Selon le décret de juillet 2004, le médecin ou la sage-femme se procure les médicaments nécessaires à la réalisation de l’IVG chez un pharmacien d’officine sous réserve du conventionnement du praticien avec un établissement de santé. Sur l’ordonnance, il suffit de noter « Médicaments à usage professionnel », le nom du centre hospitalier de référence ainsi que la date de signature de la convention.

Les médicaments nécessaires à l’IVG sont la mifépristone et le misoprostol.

La mifépristone est commercialisée sous le nom de Mifégyne, qui existe sous deux formes : la mifépristone à 600 mg par comprimé par boîte d’un comprimé, et sous forme de mifépristone à 200 mg par comprimé par boîte de trois comprimés. Les deux formes sont au prix public de 70,61 euros.

Le misoprostol est présent sous deux formes : à 200 µg (Gymiso, boîte de deux comprimés) ou à 400 µg (MisoOne, boîte d'un comprimé), tous les deux au prix public de 12,96 euros.

Les médicaments sont payés par le médecin, qui se rembourse ensuite avec le forfait.

En cas de téléconsultation, c’est le pharmacien qui prend alors le relais.

FORFAIT ET COTATION

Le forfait d’une IVG en ville est de 183,57 euros. Aucun dépassement d’honoraires n’est autorisé. Il comprend les médicaments achetés et les consultations prévues par le décret. Il s’agit d’un forfait global découpé en trois phases : recueil de consentement, réalisation de l’IVG et consultation de contrôle. La facturation peut être faite en une seule fois ou par séquences de facturation si celles-ci ne sont pas réalisées par le même professionnel.

La prise en charge des actes est étendue aux investigations biologiques et échographiques avant et après l’IVG. L’ensemble de la cotation est résumé dans le tableau 1. Le remboursement par la Cpam est fait à hauteur de 100 % du forfait. L’anonymat et la prise en charge gratuite pour les mineures sont aussi possibles à l’aide d’un NIR anonyme spécifique (2 55 55 55 + code caisse + 030 + Clé).



PAR TÉLÉCONSULTATION

La période d’urgence sanitaire a permis d’instaurer la possibilité de réaliser une IVG médicamenteuse sous forme de téléconsultation si la femme le souhaite et si le praticien l’estime possible. Les modalités restent inchangées en matière de confidentialité et de gratuité, y compris pour les jeunes filles mineures. La tarification en ville est de 100 euros (IC + FHV + IC). La délivrance des médicaments est directement faite par les pharmaciens de ville.

La femme désigne une officine de son choix. Le médecin ou la sage-femme envoie l’ordonnance au pharmacien par voie dématérialisée avec le nom de l’officine, le nom des médicaments, le dosage, la posologie et la voie d’administration. Le pharmacien fait ensuite figurer sur l’ordonnance le timbre de l’officine, la date, les numéros d’enregistrement des médicaments délivrés et la mention « délivrance exceptionnelle ». Puis la pharmacie informe le médecin ou la sage-femme de la délivrance des médicaments. Elle se fait rembourser le forfait médicaments de ville (FMV) directement par l’Assurance maladie.

LA DEMANDE D’IVG EN PRATIQUE

Qu’il s’agisse d’une demande en présence ou en téléconsultation, le praticien confirme et date la grossesse, idéalement à l’aide d’une échographie. La réalisation d’une échographie est recommandée mais elle ne doit pas retarder la prise en charge (1). Le médecin ou la sage-femme donne les informations nécessaires pour le choix de la méthode et remet la notice d’information, intitulé « dossier guide » (2). Après l’entretien, la femme aura une prescription d’antalgiques et de sa contraception si celle-ci est médicalisée. Si la femme présente un rhésus négatif, il sera nécessaire de prescrire des anti-D (immunoglobulines anti-D 200 mg administrées par voie intramusculaire ou intraveineuse si les RAI de moins de 3 jours sont négatifs). L’attestation de demande d’IVG devra être signée tant par la femme que par le praticien. La patiente pourra prendre les médicaments chez elle. Une fiche de liaison est ensuite remise. Un rendez-vous de suivi est prévu 15 jours plus tard et l’ordonnance de surveillance des hCG est remise à la femme.

AIDER À CHOISIR LA MÉTHODE D’IVG

Le « dossier guide » remis à la femme peut être une source de réflexion intéressante en consultation et une aide à la décision en consultation (2). En pratique, si le choix se porte sur une IVG médicamenteuse en ville, il faudra vérifier que les conditions pour que l’IVG se passe le mieux possible soient réunies.

Si la femme exprime une ambivalence ou des doutes, un temps de réflexion supplémentaire peut être proposé. Généralement, les craintes concernent la douleur, les saignements ou les vomissements.

Il n’est pas recommandé de travailler le jour de la prise des prostaglandines (misoprostol) et de voyager dans les trois jours qui suivent la prise des médicaments. La femme ne doit pas rester seule ou avec de jeunes enfants. Elle doit par ailleurs être avec une personne de confiance présente lors de la prise du misoprostol. Le « dossier guide » permet de donner les consignes en cas d’urgence et d’insister sur la possibilité de consulter 24 heures/24 si besoin dans l’établissement de santé de référence ou tout autre établissement de santé proche.

L’IVG médicamenteuse en dehors d’un établissement de santé n’est pas recommandée chez une patiente isolée, sans hébergement ou si celle-ci a besoin d’une prise en charge sociale.

Les contre-indications à la méthode médicamenteuse en ville sont résumées dans le tableau 2.



PROTOCOLES DE PRISE EN CHARGE

La HAS a révisé ses recommandations en 2021(3).

Jusqu’à 7 SA, il est possible de donner les comprimés selon deux protocoles différents :
Mifépristone 600 mg puis, 24 à 48 heures plus tard, misoprostol 400 µg par voie orale
Mifépristone 200 mg puis, 24 à 48 heures plus tard, misoprostol 400 µg par voie transmuqueuse orale ou sublinguale.

La voie transmuqueuse orale consiste à placer les comprimés entre la joue et la gencive. Les femmes doivent avaler les fragments résiduels au bout de 30 minutes.
De 7 SA + 1 jour à 9 SA, le protocole recommandé est différent. Il consiste à la prise de mifépristone 200 mg puis, 24 à 48 heures plus tard, de misoprostol 800 µg en une prise, par voie transmuqueuse orale ou sublinguale.

La prescription d’antalgiques est systématique. L’ibuprofène 400 mg est le traitement le plus efficace dans la prise en charge (1). Le premier comprimé peut être pris soit 20 minutes avant le misoprostol ou quand la douleur survient, et la prise peut être répétée toutes les 4 heures sans dépasser 3 comprimés par jour. Si les douleurs ne sont pas suffisamment calmées par l’ibuprofène, on pourra proposer un traitement par paracétamol, caféine et opium (Lamaline) ou tout autre antalgique de palier 2.

EFFETS ATTENDUS DU TRAITEMENT

Les effets inflammatoires du misoprostol peuvent engendrer des nausées pour environ la moitié des femmes, des vomissements ou parfois de la diarrhée. Ces effets sont d’autant plus fréquents et importants que la dose de misoprostol est importante. Généralement, les effets indésirables sont de courte durée et de faible intensité et ne nécessitent que rarement un traitement.

Il faudra faire attention, cependant, à une infection si la fièvre est supérieure à 38 °C et persiste plusieurs jours après la prise de misoprostol.

COMPLICATIONS

Après une IVG médicamenteuse, une infection est rare (moins de 2 %), tout comme une hémorragie, nécessitant une ré-aspiration (environ 3 %). La complication la plus fréquente reste l’avortement incomplet, nécessitant une ré-aspiration (4).

Les signes devant faire consulter en urgence sont l’imprégnation de plus d’une serviette de taille maxi toutes les heures pendant plus de 2 heures, l’apparition d’une fièvre persistante de plus de 38 °C ou apparaissant plus de 6 à 8 heures après la prise de misoprostol, ou l’absence de saignement dans les 48 heures suivant la prise de misoprostol.

SURVEILLANCE APRÈS UNE IVG MÉDICAMENTEUSE EN VILLE

Le succès d’une IVG en ville peut être validé par deux méthodes :

Une décroissance de plus de 80 % du taux initial des hCG au 14e jour de la prise de mifépristone.

À défaut, un dosage des hCG plasmatiques au 14e jour après l’IVG. Un dosage de moins de 1 000 UI permet de s’assurer du succès de la méthode.

Si la patiente est cliniquement stable, il n’est pas nécessaire de réaliser de contrôle supplémentaire.

L’échographie pelvienne n’est pas recommandée en systématique car elle n’est pas pertinente à elle seule pour déterminer la nécessité d’un geste complémentaire (5). En effet, il n’existe pas de lien entre l’épaisseur de l’endomètre et la nécessité d’une aspiration. Elle peut être demandée si la décroissance du taux d’hCG n’est pas parfaite ou en présence de symptômes cliniques.

En cas d’images de rétention, l’aspiration n’est justifiée que si l’état clinique n’est pas satisfaisant ou si la femme ne souhaite pas patienter. Il est donc possible d’attendre les menstruations et refaire une échographie après celles-ci s’il existe une persistance des saignements. Dans le cas spécifique d’un œuf toujours présent, il est possible de proposer une nouvelle dose de misoprostol selon le même protocole que celui de l’IVG initiale.

CAS DES GROSSESSES TRÈS PRÉCOCES

Il est possible de proposer l’IVG médicamenteuse de manière très précoce, avant la visualisation du sac gestationnel à l’échographie si c’est le choix de la femme. Les pertes sanguines seront moins importantes, mais il est alors impossible de savoir si la grossesse était intra-utérine ou non au moment de l’IVG. On doit donc considérer la grossesse comme de localisation indéterminée (GLI).

Une prise en charge est possible si les hCG sont inférieurs à 1 500 UI. La surveillance doit être différente des cas où une grossesse a été vue à l’échographie. Dans ce cas, le dosage des hCG plasmatiques est recommandé au 4e-5e jour ou au 7e jour après la prise de mifépristone (1). Le succès est probable s’il y a une chute de plus de 50 % à J4-J5 ou de plus de 80 % à J7. Dans ce cas, le contrôle habituel au 14e jour est demandé pour plus de sécurité. Dans le cas contraire, en fonction de l’avis du centre de référence et des signes cliniques de la femme, une surveillance des hCG et échographique peut être instaurée. u

Dr Thelma Linet (gynécologue-obstétricienne, centre hospitalier Loire-Vendée-Océan, Challans)

L’auteure remercie le Dr Danielle Hassoun pour la réalisation de cet article.

BIBLIOGRAPHIE
1. Bettahar K, Pinton A, Boisramé T, Cavillon V, Wylomanski S, Nisand I, et al. Interruption volontaire de grossesse par voie médicamenteuse. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris). 2016 Dec;45(10):1490–514.
2. Le guide IVG | IVG.GOUV.FR N°Vert 0800 08 11 11 [Internet]. [cited 2021 Nov 30]. Available from: https://ivg.gouv.fr/le-guide-ivg.html
3. Interruption volontaire de grossesse par méthode médicamenteuse - Mise à jour [Internet]. Haute Autorité de Santé. [cited 2021 Nov 30]. Available from: https://www.has-sante.fr/jcms/p_3223429/fr/interruption-volontaire-de-g…
4. Niinimäki M, Pouta A, Bloigu A, Gissler M, Hemminki E, Suhonen S, et al. Immediate complications after medical compared with surgical termination of pregnancy. Obstet Gynecol. 2009 Oct;114(4):795–804.
5. Wylomanski S, Winer N. Quelle place pour l’échographie dans la pratique de l’IVG. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris). 2016 Dec;45(10):1477–89.


Source : Le Généraliste