L’ONCOCYTOME DE LA CARONCULE

Il y a 20 ans, nous avons fait la connaissance de Marie-Jeanne, aujourd’hui âgée de 87 ans.

Elle avait décidé à cette époque de quitter Lille (sa ville d’origine) et d’emménager dans le sud de la France pour pouvoir s’adonner à sa passion : la voile.

Marie-Jeanne fréquente très peu le cabinet, juste pour montrer des lésions dermatologiques (carcinomes basocellulaires essentiellement) secondaires à une exposition solaire prolongée chez cette patiente ayant un phototype clair.

Elle est venue consulter car elle est anxieuse en raison d'une gêne au niveau du coin de son œil droit. En regardant dans sa glace, elle a remarqué une formation nodulaire érythémateuse vascularisée au niveau de la caroncule de son œil droit (photo, flèche verte).

Du fait de ses antécédents dermatologiques, elle a peur qu’il s’agisse d’un carcinome qui pourrait compromettre sa vision.

Compte tenu des caractéristiques de cette lésion, nous avons confié cette patiente à un ophtalmologue interventionnel, qui a effectué une exérèse élargie de cette formation.

L’examen anatomopathologique a permis de poser le diagnostic d’oncocytome de la caroncule.

INTRODUCTION

La caroncule est un nodule de couleur chair ayant un caractère globuleux.

Elle est située au niveau du canthus interne (échancrure interne) de l’œil et est constituée de sept follicules distincts, recouverte par un épithélium pavimenteux non stratifié qui est similaire dans sa structure de la conjonctive de l’œil.

On y trouve différents éléments : follicules pileux, glandes sébacées et sudoripares, et glandes lacrymales accessoires.

La caroncule est en partie à l’origine de l’humidification de l’œil (sécrétion par les glandes sébacées et sudoripares d’une substance huileuse et blanchâtre), mais elle favorise aussi l’écoulement des larmes, qui sont dirigées vers le canal lacrymal. Par ailleurs, les corps étrangers et les saletés impactés au niveau des yeux sont amassés grâce aux mouvements des paupières au niveau de la caroncule.

Les différentes tumeurs observées au niveau de la caroncule

95 % des tumeurs observées au niveau de la caroncule sont bénignes. Parmi ces tumeurs, on distingue, par ordre de fréquence : les papillomes (32 % des cas), les nævi (24 %), et plus rarement un granulome pyogénique (9 %), un kyste d’inclusion et un oncocytome. Et parfois encore, une inflammation chronique.

Les tumeurs malignes sont bien plus rares. Parmi ces néoplasies : mélanome, carcinome épidermoïde, carcinome sébacé, lymphome.

Au niveau oculaire, l’oncocytome est une tumeur bénigne développée aux dépens des glandes lacrymales accessoires et apocrines. Il a une origine glandulaire et, de ce fait, il s’agit d’un adénome. On l’objective le plus souvent chez les patients âgés, et son incidence est plus importante chez les femmes que chez les hommes.

À noter qu’il peut exister des oncocytomes au niveau rénal, de la glande surrénale, ou de glandes exocrines…

CLINIQUE

L’oncocytome de la caroncule a l’aspect d’un nodule brun rougeâtre, et dans certains cas bleuté, avec des télangiectasies témoignant d’une vascularisation de cette entité (photo, flèche verte).

Il demeure le plus souvent totalement asymptomatique mais (comme dans notre cas) sa croissance peut induire une sensation de gêne ou de difficulté d’occlusion palpébrale. Par ailleurs, cette variété de tumeur de la caroncule se développe lentement.

DIAGNOSTIC

Le diagnostic repose avant tout sur une analyse histologique. On objective, du fait d’une accumulation de mitochondries, des cellules qui sont très éosinophiles.

Il existe par ailleurs une prolifération de cellules épithéliales (elles s’apparentent à celles retrouvées dans les glandes de Moll, c'est-à-dire constituées d’un épithélium apocrine), et une disposition en bandes, thèques ou cordages est observée.

L’examen anatomopathologique est indispensable car des confusions sont possibles avec des tumeurs malignes comme les mélanomes.

PRISE EN CHARGE

Le plus souvent, une exérèse complète de l’oncocytome est effectuée car compte tenu des doutes diagnostiques, il est licite de réaliser ce geste.

Dr Pierre Frances (médecin généraliste à Banyuls-sur-Mer), Widad Gallaf (interne en médecine générale à Montpellier), Soleiman Abokassem et Guilhem Mauret (externes à Montpellier)