Dermatologie

PLUSIEURS GALES, PLUSIEURS TRAITEMENTS

Publié le 16/02/2017
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L’incidence de la gale semble augmenter en France depuis 10 ans. L’arsenal thérapeutique en 2017 permet de gérer toutes les situations. Un traitement en deux prises se révèle toujours nécessaire.

Crédit photo : DR P. MARAZZI/SPL/PHANIE

CONNAÎTRE LE CYCLE POUR MIEUX TRAITER

La gale est l’infection à Sarcoptes scabiei, variant hominis. La femelle fécondée (0,4 mm, donc à la limite de la visibilité à l’œil nu) creuse un sillon dans la couche cornée de la peau où elle pond 2-3 œufs par jour, laissant derrière elle ses déjections riches en protéines, impliquées dans la réaction immunitaire. Les œufs éclosent 4-7 jours après la ponte, donnant naissance à des larves. Les larves deviennent nymphes puis adultes au bout de 2 semaines, mais 90 % des formes immatures n’atteignent jamais le stade adulte. Les adultes vivent environ 1 mois.
Il existe également une gale animale liée à d'autres types de Sarcoptes scabiei : gale du chien, du mouton… Elles peuvent être transmises à l'homme, mais pas d’homme à homme.

LA CLINIQUE AVANT TOUT

Le diagnostic est essentiellement clinique et repose sur un trépied :
- notion de contagiosité : prurit ou gale avérée dans l’environnement proche (famille, partenaire sexuel, institution…). La contagiosité débute avant le début des symptômes [OC1] ;
- prurit à recrudescence vespérale et nocturne ; - lésions spécifiques (mais inconstantes), dans les mêmes régions : sillons, vésicules perlées, nodules scabieux.
1.Sillons : lésions érythémateuses, sinueuses de quelques millimètres de long, correspondant à la galerie creusée par la femelle dans la couche cornée. On les retrouve habituellement entre les doigts et sur la face antérieure des poignets.
2.Vésicules perlées : il s’agit d’élevures translucides dyshidrosiformes à l’extrémité des sillons ; y siège l’acarien qui a pondu ses œufs. On peut les apercevoir avec une grosse loupe ou, mieux, un dermoscope (grossissement x 10 ou x 20). Le sarcopte a alors l’aspect d’un très petit triangle noir : c’est le « signe du deltaplane » correspondant à la tête et aux deux paires de pattes avant. La sensibilité de la dermoscopie est de 91 % et sa spécificité de 86 %.
3.Nodules scabieux : tuméfactions oblongues infiltrées, rouge-brun ou violacées, siégeant sur les organes génitaux masculins et dans les plis axillaires, voire aux plis inguinaux et sur les flancs. Des chancres scabieux sont également possibles. Ils sont d'origine immuno-allergique et peuvent persister plusieurs semaines, malgré un traitement efficace.
Les indications du prélèvement pour preuve parasitologique. Le traitement d’épreuve à visée diagnostique doit être évité : en cas de doute diagnostique sur une gale commune, un avis spécialisé ou un prélèvement parasitologique est recommandé.
Les autres indications systématiques du prélèvement parasitologique sont [9] :
- gale profuse ;
- gale hyperkératosique
- épidémie en collectivité
L’examen parasitologique est très spécifique mais moyennement sensible ; autrement dit, un prélèvement négatif n’élimine pas le diagnostic de gale commune.

 

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PLUSIEURS TABLEAUX CLINIQUES

La gale typique
C'est la forme la plus fréquemment rencontrée.
Le prurit survient en général dès la 3e semaine après la contamination et plus tôt en cas de réinfestation car il est lié à une réaction d’hypersensibilité aux protéines de la salive et aux déjections de la femelle sarcopte. Cela explique qu’une réaction urticarienne soit également possible. Rapidement, les lésions initiales évoluent et les lésions de grattage apparaissent, pouvant s'eczématiser et se surinfecter.
Ce type de gale est faiblement contagieuse car il n’y a que peu de parasites dans la peau, de l’ordre d’une dizaine [19].

La « gale des gens propres »
Il s’agit d’une gale où les lésions sont rares. C’est un diagnostic difficile, à évoquer devant un prurit diffus persistant inexpliqué.

Les gales profuses et hyperkératosiques
La gale hyperkératosique (anciennement « gale norvégienne »), se caractérise par une érythrodermie généralisée et une hyperkératose pouvant s'étendre sur toute la surface corporelle. L’infestation est massive et la contagiosité extrême. Les personnes immunodéprimées et les personnes âgées sont préférentiellement touchées par cette forme, expliquant que le prurit soit discret voire absent (50 % des cas) et, donc, le retard au diagnostic. Il existe des gales hyperkératosiques localisées (cuir chevelu, orteils…)
La gale profuse/disséminée inflammatoire est souvent la conséquence d'une gale commune diagnostiquée tardivement, voire – situation non rare – traitée  à tort par des dermocorticoïdes. Elle se caractérise par des signes atypiques : éruption rouge vif sans sillon, papuleuse et vésiculeuse, très prurigineuse. L'atteinte du dos est fréquente. Elle est préférentiellement observée chez les personnes âgées en collectivité, souvent grabataires.

La gale du nourrisson
La présentation peut être trompeuse [31] avec, en particulier, une atteinte du visage, des nodules scabieux péri-axillaires et des vésiculo-pustules palmo-plantaires. Les formes bulleuses sont fréquentes. Les diagnostics différentiels sont nombreux et peuvent retarder le diagnostic : dermatite atopique,  acropustulose notamment.
L’état général est altéré : sommeil agité, perte d’appétit, irritabilité marquée. Les surinfections sont fréquentes voire habituelles (et justifient la recherche d’une protéinurie à 3 semaines [13].

CONTAGIEUSE : À QUEL POINT ?

Dans l’imaginaire collectif, la gale a une connotation de misère et de manque d’hygiène. Pourtant, la gale touche absolument tous les milieux socio-économiques et toutes les tranches d’âge.
La gale se transmet avant tout par des contacts humains directs (95 % des cas), rapprochés et prolongés (par contact peau à peau). La gale peut logiquement être une IST.
La contagiosité par voie indirecte concerne literie, linge et vêtements. Dans les gales communes, elle est très faible et ne semble concerner que le partage des vêtements [20].
On estime qu’il y aura environ 1,4 à 1,9 cas secondaire par cas index [9] pour les gales communes, contre 3 en conditions de précarité compliquant l’accès aux soins et aux traitements [25]. Dans les EHPAD, le ratio peut probablement augmenter jusqu’à 10. Chez les soignants, un taux moyen d’attaque de 34,6 % a été rapporté [16], notamment chez les aide-soignants, kinés et infirmiers. Cependant, la durée minimale de contact pour être contaminé n’a pas pu être chiffrée.
La contagiosité est proportionnelle à la quantité de parasites présents. La charge en sarcopte des gales profuses/hyperkératosiques peut être 1 000 voire 10 000 fois supérieure à celle de la gale commune. Dans ces cas, la contagiosité indirecte n’est pas marginale : une étude [18] a ainsi retrouvé un taux d'attaque de 22,5 % en blanchisserie hospitalière, quelques semaines après l'admission d’un patient ayant une gale hyperkératosique.
À l’extérieur de l’hôte, les sarcoptes adultes survivent 24-72 h (10 jours pour les œufs). Les sarcoptes retrouvés dans l’environnement sont probablement affaiblis et donc moins infectants [15].

QUI TRAITER ?

Les sujets contacts sont répartis en 3 cercles [15] :
- 1er cercle : contact cutané direct et prolongé (entourage familial proche, relations sexuelles, nursing…) ;
- 2e cercle : personnes vivant ou travaillant dans la même collectivité ;
- 3e cercle : personnes visitant occasionnellement en collectivité et leur entourage familial.
En cas de gale commune, tous les sujets contacts du 1er cercle, même asymptomatiques, doivent être traités. Il n’y a pas d’indication à traiter les contacts indirects.
En cas de gale hyperkératosique ou de situation épidémique, on doit élargir aux 2e et 3e cercles [15].
En revanche, une récente méta-analyse Cochrane [22] portant sur 29 études n’a pas réussi à trancher sur la question de l’ancienneté du contact. Les recos européennes préconisent de traiter les contacts des 6 semaines précédentes contre 8 semaines pour les recos britanniques [17].

QUELS TRAITEMENTS TOPIQUES ?

Avec le retour du benzoate de benzyle (BB à 10 %) en 2015, après deux années de rupture de stock et l'arrivée sur le marché de la perméthrine, la prise en charge de la gale peut désormais s'appuyer sur deux traitements topiques de référence, à efficacité égale (de l’ordre de 95 % pour deux applications), remboursés à 65 %.
L’esdépalléthrine est une pyréthrinoide de synthèse ayant un mode d’action similaire à celui de la perméthrine. L’expérience plaide pour une efficacité moins importante.
Aucun scabicide n’ayant d’action sur les œufs, il est fondamental d’effectuer deux applications (voir tableau T1).
 

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TRAITEMENTS ORAUX

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L'ivermectine par voie orale dispose de l’AMM dans le traitement de la gale à la dose de 200 microg/kg (voir tableau T2). Le RCP de l’ivermectine indique un traitement en 1 prise unique, avec une deuxième prise possible en cas d’échec. Les experts considèrent cependant que le traitement doit être administré systématiquement en 2 prises à 8 jours d'intervalle (comme pour les traitements locaux), cette stratégie apportant une efficacité de 90-95 %, contre 70-75 % avec 1 seule prise [9].
La prise au cours du repas, plutôt qu’à jeun – comme préconisé dans le RCP – améliore la biodisponibilité et l’imprégnation des tissus (1, 2)
L’ivermectine est remboursée à 65 %. La boîte de 4 comprimés coûte 18,44 €.
Il n’y a pas de contre-indication en dehors d’une allergie connue. L’ivermectine peut être utilisée chez l’enfant à partir de 15 kg. Chez la femme enceinte [7], le recul est grand et les données rassurantes. Idem chez la femme allaitante [8], sans nécessité d’interrompre l’allaitement.
Les effets secondaires sont rares : exacerbation transitoire du prurit surtout , rarement céphalées, diarrhées, sensations pseudo-vertigineuses.

STRATÉGIES THÉRAPEUTIQUES

Ivermectine orale, BB et perméthrine sont les trois options de  première intention dans la gale commune [10].
En cas d’épidémie en institution [10], la prise en charge est codifiée. Il s’agit d’administrer deux doses d’ivermectine à J0 et J8, simultanément chez tous les sujets d'un même service : patients et personnel, atteints et contacts.
Pour les gales profuses/hyperkératosiques, l’hospitalisation est en général nécessaire, avec un isolement « contact strict ». Le traitement associe des doses répétées d’ivermectine et de topiques (BB ou perméthrine) et des kératolytiques, jusqu'à la négativation des prélèvements.
Il est nécessaire d'éviter contacts « rapprochés et répétés » (dont les rapports sexuels jusqu’à la fin du traitement.
Pour l’avenir, la moxidectine est un traitement oral en cours d’étude. Issue de la médecine vétérinaire et actuellement utilisée dans l’onchocercose, une seule dose serait plus efficace que les deux doses d’ivermectine dans un modèle de gale porcine [26, 27].

TRAITER L'ENVIRONNEMENT

Il est impératif de laver le linge porté au cours des 4 derniers jours à 60°C après chaque prise du traitement. Le parasite est tué en 10 minutes à 50°C.
Les objets non lavables sont à mettre dans un sac plastique fermé  pendant 48-72 h : en dehors de l’hôte, les sarcoptes ne survivent pas au-delà.
Un nettoyage simple (aspirateur, lavage) des locaux et du mobilier doit être réalisé simultanément. Le traitement environnemental par la pulvérisation d’un acaricide (non remboursé) n’apparaît pas nécessaire pour la plupart des gales communes.
Le traitement de l’environnement par acaricide est, en revanche, indispensable en cas de gale profuse. Dans ce cas, on traite le linge utilisé dans les 10 jours précédents (et non 4). Les acaricides commercialisés en France sont efficaces [28, 29]. Attention à la combinaison tétramethrine+sumithrine (A-PAR®) qui ne tue 100 % des acariens en 24h [28].
Les solutions hydro-alcooliques et la povidone iodée (Bétadine®) sont inefficaces.

ÉVOLUTION

Le prurit peut persister plusieurs jours après le traitement. Au-delà de 2 semaines, il faut évoquer une irritation cutanée (eczéma de contact), un échec thérapeutique (mauvaise observance, réinfestation ou rechute, résistance au scabicide utilisé) ou un prurit psychogène (délire d’infestation = syndrome d’Ekbom). Quant aux nodules scabieux, en lien avec une réaction immunitaire, ils peuvent persister plusieurs semaines après la guérison, voire être associées à un prurit persistant. On propose alors des topiques hydratants, des kératolytiques, des antiprurigineux type crotamiton (Eurax®) voire des dermocorticoïdes (uniquement après avis spécialisé).

Bibliographie

1- Chosidow O. Les nouveaux traitements des parasitoses externes, JDP 2016, 8 décembre 2016, Paris
2- Richeux V. Medscape. 11 janv 2017.
3- La Revue Prescrire. Benzoate de benzyle topique en ville et remboursable dans la gale, sans sulfiram. Rev Prescrire 2016 ; 36 (392) : 425.
4- La Revue Prescrire. Agir contre la gale. Fiches Infos-Patients Prescrire - février 2016.
5- La Revue Prescrire. Perméthrine crème
5 % - Topiscab®. Un autre traitement efficace contre la gale enfin disponible
en ville. Rev Prescrire
2015 ; 35 (384) : 726-727.
6- La Revue Prescrire. Prescrire en questions : gale : que faire sans perméthrine ? Rev Prescrire 2013; 33 (351) : 77.
7- Centre de Référence sur les Agents Tératogènes. Scabicides et grossesse. Mise à jour janvier 2017.
8- Centre de Référence sur les Agents Tératogènes. Scabicides et allaitement. Mise à jour janvier 2017.
9- HCSP. Avis relatif à l’actualisation des recommandations sur la conduite à tenir devant un ou plusieurs cas de gale. Novembre 2012.
10- Ly F, Caumes E et al. Bull World Health Organ 2009; 87: 424-30.
11- Institut national de recherche et de sécurité. Sarcoptes scabiei, agent de la gale. Novembre 2013.
12- Bouvresse S, Chosidow O. Rev Prat. 2011 ;
61 (6) : 867-73.
13- Monsel G. Rev. du Praticien Médecine Générale 2016 oct : 30 (968) ; 671-3;
14- Chosidow O, Sbidian E. Ann Dermatol Venereol 2012;139:425-7
15- CCLIN Sud-Ouest. Recos concernant la gestion de la gale dans les établissements de soins et médico-sociaux. 2004.
16- Vorou R, Remoudaki HD, Maltezou HC. J Hosp Infect. 2007; 65: 9- 14.
17- Gehanno JF. CAT devant un ou plusieurs cas de gale. Mai 2016.
18- Pasternak J,
Richtmann R et al. Scabies epidemic: price and prejudice. Infect Control Hosp Epidemiol. 1994; 15: 540-48.
19- Mellanby K. JB Lippincott Company, 1977.
20- Mellanby K. BMJ 1941;2(4211):405-406.
21- CCLIN Sud-Ouest.
La gale. Décembre 2015.
22- Fitzgerald D et al. Cochrane Database Syst Rev. 2014 Feb 24.
23- Chosidow O. NEJM 2006; 354 (16):1718-1727.
24- Arnaud A, Chosidow O et al. Br J Dermatol. 2016 Jan;174(1):104-12.
25- Bernigaud C, Chosidow O et al. PLoS Negl Trop Dis. 2016 Oct 12.
26- Mounsey KE et al. PLoS Negl Trop Dis. 2016;10: e0004389 doi: 10.1371/journal.pntd.0004389.
27- Fang, F. et al. Efficacy assessment of biocides or repellents for the control of S. scabiei in the environment. Parasites Vectors (2015)
28- Fang, F et al. In vitro activity of ten essential oils against S.scabiei. Parasites Vectors (2016).
29- Engelman D et al. PLoS Neglected Tropical Diseases. 2013;7(8):e2167.
30- Boralevi F et al. Groupe de Recherche Clinique en Dermatologie Pédiatrique. Pediatrics 2014 Apr;133(4):e910-6.

 

Dr Julie Van den Broucke (médecin généraliste, Paris) avec le Pr Olivier Chosidow (chef de service de Dermatologie, AP-HP, CHU Henri-Mondor, Créteil)

Source : lequotidiendumedecin.fr