INTRODUCTION
La fibrillation atriale (FA) est l’arythmie cardiaque la plus fréquente. Elle touche environ 1 % de la population française et sa prévalence augmente considérablement chez les sujets âgés. Pour les patients de plus de 80 ans, la prévalence est d’environ 10 % (1), et 70 % des patients qui font de la FA ont un âge compris entre 65 et 85 ans (2).
Sa prise en charge repose sur deux aspects :
Le traitement anti-arythmique
Dans ce traitement, on distinguera les stratégies thérapeutiques visant à maintenir le rythme sinusal chez le patient (pour la FA paroxystique ou persistante) des stratégies visant à ralentir la fréquence cardiaque ventriculaire en laissant le patient en FA (FA permanente). Ces stratégies ont pour but de diminuer les symptômes des patients et d’éviter la survenue d’une insuffisance cardiaque, qui est favorisée par la perte de la systole atriale et une fréquence cardiaque (FC) élevée.
Le traitement anti-thrombotique
La survenue d’une FA favorise la survenue d’embolie artérielle systémique, notamment d’accident vasculaire cérébral (AVC), justifiant la mise sous anticoagulants au long cours. Cette indication est basée essentiellement sur le score de CHA2DS2-VASc, qui sera calculé pour chaque patient.
Cet article de Mise au point est consacré spécifiquement à la prise en charge anti-arythmique de la FA car le volet de la prévention thrombo-embolique a déjà été traité dans un numéro précédent (lire Le Généraliste n° 2972).
Par ailleurs, un chapitre particulier sera consacré à la réalisation du choc électrique externe (CEE) pour permettre le retour du patient en rythme sinusal (RS).
On distinguera la prise en charge anti-arythmique au cours de la FA paroxystique, persistante ou permanente.
Enfin, d’après les recommandations européennes (3) (cf. figure 1), la stratégie anti-arythmique choisie doit être dictée en fonction des symptômes. En effet, un traitement anti-arythmique est recommandé chez des patients symptomatiques, c’est-à-dire présentant des palpitations durant la FA ou une insuffisance cardiaque liée à la FA. Lorsque les patients sont complètement asymptomatiques, il est recommandé de ne pas les traiter. Cependant, les symptômes ressentis par le patient sont par définition subjectifs. Il est donc recommandé au début de la maladie FA de procéder à une cardioversion médicamenteuse et/ou électrique pour remettre le patient en RS et vérifier ainsi que le patient n’était pas un « faux asymptomatique » (qui a minimisé ses symptômes). Au moment du retour en RS, certains patients peuvent se sentir améliorés, ce qui justifie donc l’introduction d’un traitement anti-arythmique.
LA FA PAROXYSTIQUE
Les options possibles sont l’utilisation de médicaments anti-arythmiques ou l’ablation de la FA.
Les anti-arythmiques
Il existe plusieurs traitements anti-arythmiques pour le maintien en RS. En France, les traitements les plus couramment utilisés sont : le flécaïnide, le sotalol et l’amiodarone. D’une manière générale, l’amiodarone est plus efficace que le flécaïnide ou le sotalol mais avec des effets secondaires plus importants. Par ailleurs, l’utilisation de l’amiodarone peut entraîner de nombreux effets secondaires possiblement responsables d’un arrêt du traitement : bradycardie, dysthyroïdie, toxicité pulmonaire, dépôt oculaire, perturbation hépatique ou atteinte neurologique (tremblements, paresthésies…). Ces effets secondaires sont le plus souvent cumulatifs dans le temps.
Le flécaïnide et le sotalol ont un index thérapeutique (fenêtre entre dose efficace et dose provoquant des effets indésirables) faible et peuvent entraîner des effets secondaires, notamment pro-arythmogènes.
Le flécaïnide est principalement contre-indiqué en cas d’insuffisance cardiaque, de cardiopathie ischémique ou de troubles conductifs sévères. Ce traitement peut élargir les QRS, avec un élargissement qui doit rester inférieur à 150 % de la largeur du QRS initial.
Le sotalol allonge l’intervalle QT et le QTc doit être suivi régulièrement et rester < 520 ms. Ce traitement par sotalol est aussi contre-indiqué en cas d’insuffisance cardiaque.
L’ablation de FA
L’ablation de FA est une technique invasive consistant à aller traiter directement, par brûlure ou cryothérapie, dans les oreillettes, les foyers d’arythmie responsables de la FA. En pratique, la procédure se fait souvent sous anesthésie générale, avec ponction veineuse fémorale et ponction transseptale pour accéder à l’oreillette gauche. L’ablation standard consiste à isoler électriquement les veines pulmonaires qui sont à l’origine de la majorité des FA, surtout quand elles sont paroxystiques. En cas de FA persistantes, il est souvent nécessaire d’effectuer une ablation complémentaire dans l’oreillette gauche, voire droite.
D’une manière générale, les différentes options thérapeutiques doivent en premier lieu être discutées avec le patient. Le rapport bénéfices-risques de chacune de ces stratégies doit être expliqué et la décision thérapeutique doit être éclairée et acceptée par le patient et ce, tout particulièrement pour l’ablation de FA. Même si cette technique d’ablation de FA s’est considérablement améliorée ces dernières années (amélioration du taux de succès et diminution des complications), cette intervention reste invasive avec des complications potentiellement graves comme l’AVC, la tamponnade ou la fistule atrio-œsophagienne.
Un autre paramètre important est l’état physiologique du patient. Plus le patient sera jeune avec peu de comorbidités, plus les stratégies essaieront de « guérir » le patient de cette pathologie en proposant une ablation de FA précocement : soit après l’échec d’un traitement médicamenteux (souvent le flécaïnide), soit d’emblée. Par ailleurs, les patients jeunes sont souvent peu enclins à prendre des traitements anti-arythmiques de manière quotidienne et potentiellement à vie, ce qui les oriente rapidement vers une stratégie invasive. Par ailleurs, l’ablation de FA a un taux de succès élevé dans ce type de population (environ 80 %) avec des procédures bien standardisées : isolation électrique des veines pulmonaires. À l’inverse, plus les personnes seront âgées, avec des comorbidités, moins on proposera la réalisation de gestes invasifs comme l’ablation de FA.
LA FA PERSISTANTE
Pour la FA persistante, une cardioversion médicamenteuse et/ou électrique sera nécessaire pour remettre le patient en RS.
La cardioversion
Pour remettre un patient en RS, on débute en général par une tentative de cardioversion médicamenteuse consistant en l’administration d’une dose de charge d’amiodarone, soit per os soit IV. Mais, avant tout, un traitement anticoagulant efficace doit avoir été pris par le patient au moins trois semaines avant la cardioversion. Si ce n’est pas le cas – INR trop bas ou doute sur la prise d’AOD –, une échographie trans-œsophagienne (ETO) sera réalisée avant la cardioversion pour éliminer la présence d’un thrombus intra-auriculaire gauche qui contre-indique la réalisation de la cardioversion.
Si ce traitement ne permet pas le retour en RS, on pratiquera un choc électrique externe (CEE). Il faudra alors maintenir le traitement anti-arythmique pour augmenter le taux de succès immédiat du CEE qui est d’environ 95 %.
Le CEE se réalise sous anesthésie générale. Il faut auparavant vérifier l’absence de dyskaliémie ou d’hyperthyroïdie (ce qui contre-indique le CEE).
D’une manière générale, les études randomisées comparant le contrôle de la FC en FA au contrôle du rythme avec retour en RS ne montrent pas de différence significative entre ces deux stratégies sur le critère de mortalité (4, 5). Cependant, une sous-étude d’AFFIRM (6) a bien montré que le retour en RS était associé à une diminution de la mortalité de 50 % mais que ce bénéfice était contre-balancé par l’augmentation de la mortalité liée aux effets secondaires des anti-arythmiques utilisés pour maintenir le RS.
Une fois le patient revenu en RS, il faudra se poser la question du maintien en RS. La stratégie thérapeutique à adopter est basée sur les mêmes principes que le traitement de la FA paroxystique.
Conduite à tenir en cas d’insuffisance cardiaque
Il faut mentionner ici un cas particulier, qui est celui du patient avec FA persistante et insuffisance cardiaque. Plusieurs études (7, 8) ont démontré l’intérêt de maintenir le RS chez ces patients et l’ablation de FA est recommandée en première ligne dans cette indication. Cependant, cette procédure d’ablation de FA persistante est souvent plus complexe que la procédure d’ablation de FA paroxystique : les temps de procédure sont plus longs, le risque de complications plus élevé et le taux de succès plus faible. Les patients nécessitent souvent plusieurs procédures pour maintenir le patient en RS. Enfin, le seul médicament anti-arythmique utilisable chez ces patients insuffisants cardiaques pour maintenir le rythme sinusal est l’amiodarone. Compte tenu de ses effets secondaires, cela conduit à restreindre son utilisation au long cours aux personnes âgées (> 75 ans) ou sur de courtes périodes chez des patients plus jeunes (notamment en post-ablation de FA).
LA FA PERMANENTE
Dans ce cas, il est décidé de laisser le patient en FA. Il s’agit souvent de personnes âgées, pauci-symptomatiques avec de nombreuses comorbidités. L’autre situation correspond à des patients pour lesquels plusieurs tentatives de maintien en RS par médicaments (souvent amiodarone), ablations de FA et/ou CEE itératifs ont fini par un échec. Il s’agit donc d’une stratégie de contrôle de la FC.
Les traitements les plus fréquemment utilisés pour ralentir la FA sont les bêtabloquants, les inhibiteurs calciques bradycardisants (vérapamil et diltiazem) et la digoxine.
La FC cible est une fréquence inférieure à 80 au repos et 110 bpm à l’effort. En cas de persistance des symptômes, la cible de FC peut être plus stricte au cas par cas avec un monitoring ECG afin de limiter la survenue de toute bradycardie sévère chez des patients fragiles.
Les bêtabloquants sont les plus efficaces pour atteindre cet objectif. Les inhibiteurs calciques bradycardisants peuvent être utilisés en alternative en général lorsqu’il existe une contre-indication aux bêtabloquants (type asthme).
Enfin, la digoxine doit être utilisée avec précaution, surtout chez les patients avec insuffisance rénale, car la marge thérapeutique est faible et la toxicité potentielle du médicament importante. La seule indication à retenir est celle de l’insuffisance cardiaque aiguë associée à une FA rapide.
Lorsque les symptômes (type insuffisance cardiaque, palpitations, malaises) sont mal contrôlés avec la stratégie de contrôle de la FC médicamenteuse, il peut se discuter deux attitudes, à adapter au cas par cas en fonction de l’état général du patient : soit basculer vers une stratégie contrôle du rythme, soit implanter un pacemaker (PM) puis ablater le nœud auriculo-ventriculaire (NAV) pour obtenir un bloc auriculo-ventriculaire complet. Dans ce cas, il peut s’agir d’un PM standard si la fonction ventriculaire gauche est normale ou d’un PM biventriculaire avec resynchronisation cardiaque (cf. figure 2) si la fonction ventriculaire est altérée.
CONCLUSION
La FA nécessite une prise en charge anti-arythmique qui repose au début de la pathologie (FA paroxystique et persistante) sur les traitements médicamenteux anti-arythmiques, l’ablation de FA et le CEE.
Le patient est au centre de la décision thérapeutique, avec une explication sur le rapport bénéfices-risques pour chacun de ces traitements. Seuls les patients symptomatiques nécessiteront une prise en charge anti-arythmique.
Pour la FA permanente, une stratégie de ralentissement de la FC sera proposée chez les patients symptomatiques.
Enfin, le type de stratégie thérapeutique dépendra du terrain physiologique général du patient, à savoir son âge (physiologique) et ses comorbidités.
Pr Nicolas Lellouche, Dr Ségolène Rouffiac (unité de rythmologie, service de cardiologie, CHU Henri-Mondor de Créteil, AP-HP)
BIBLIOGRAPHIE
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