Risque de récidive à long terme après un premier épisode de thrombose veineuse profonde non provoquée et arrêt des anticoagulants : revue systématique et méta-analyse
Khan F, Rahman A, Carrier M, et al. Long term risk of symptomatic recurrent venous thromboembolism after discontinuation of anticoagulant treatment for first unprovoked venous thromboembolism event : systematic review and meta-analysis BMJ 2019;366:l4363. http://dx.doi.org/10.1136/bmj.l4363
CONTEXTE
Les thromboses veineuses profondes (TVP) dites non provoquées ou “idiopathiques” regroupent celles survenant en l’absence de : cancer évolutif (en cours de traitement, ou réfractaire à ce dernier), chirurgie avec anesthésie générale > 30 minutes, césarienne, confinement au lit pendant au moins 3 jours lié à une pathologie aiguë, immobilisation complète d’un membre inférieur pendant au moins 3 jours, prise d’œstrogènes. Ces TVP ont la particularité de récidiver deux fois plus souvent que celles dites “provoquées” ou “secondaires” (1), ce qui pose la question de la durée du traitement anticoagulant à la suite d’un premier épisode. Les recommandations préconisent d’anticoaguler les “secondaires” pendant 3 à 6 mois, et les “idiopathiques” parfois indéfiniment (2) selon le niveau de risque hémorragique individuel du patient.
OBJECTIFS
Évaluer le risque de récidive d’une 1re TVP non provoquée après au moins 3 mois d’anticoagulant.
MÉTHODE
Revue systématique et méta-analyse ayant respecté le protocole Prisma (3). Les essais randomisés et les études prospectives de cohorte d’une durée minimum de 9 mois ayant évalué le risque de récidive d’une première TVP non provoquée après au moins 3 mois d’anticoagulation ont été recherchés dans les bases de données Medline, Embase et Cochrane, sans limite de langage ni exploration de la littérature grise.
Le critère de jugement principal était le taux de récidive de TVP après au moins 3 mois d’anticoagulant, y compris concernant celles conduisant au décès, avec une analyse en sous-groupe selon le sexe et le site anatomique de la TVP initiale (embolie pulmonaire, TVP proximale ou distale). Les résultats sont exprimés en nombre d’évènements pour 100 patients/année et en incidence cumulée avec leurs intervalles de confiance à 95 %.
RÉSULTATS
La recherche bibliographique a identifié 1 034 publications, dont 24 correspondaient aux stricts critères de sélection. Les chercheurs ont contacté les auteurs des 24 articles pour obtenir davantage de données sur le suivi à long terme. Ils ont reçu 18 réponses et ont exclu les résultats des 6 autres études pour absence d’information utile. Au total, 7 515 patients ont été inclus dans la méta-analyse, provenant de 4 cohortes prospectives et de 14 essais randomisés. Les 18 études ont suivi les patients pendant au moins un an, 13 pendant 2 ans, 4 pendant 5 ans et 3 pendant 10 ans.
La fréquence de récidive des TVP symptomatiques pour 100 patients/année était de 10,3 évènements (IC95 % = 8,6-12,1) la première année, 6,3 évènements (5,1-7,7) la deuxième, 3,8 (3,2-4,5) entre 3 et 5 ans et de 3,1 (1,7-4,9) entre les années 6 et 10. L’incidence cumulée était de 10 % à 1 an, 16 % à 2 ans, 25 % à 5 ans et 36 % à 10 ans. Sur l’ensemble des 10 ans, 4 % (IC 95 % = 2-6) des récidives de TVP ont conduit au décès. Les hommes ont davantage récidivé que les femmes et le taux de récurrence était significativement plus élevé quand la TVP initiale était proximale d’un membre inférieur qu’en cas d’embolie pulmonaire : RR = 1,4 ; IC95 % = 1,1-1,7.
COMMENTAIRES
Cette méta-analyse très originale et solidement conduite apporte une information inconnue à ce jour sur le risque de récidive de TVP à long terme après au moins 3 mois d’anticoagulation. Il est de 10 % à 1 an, ce qui était déjà connu (1), mais surtout l’incidence cumulée de récidive est de 25 % à 5 ans et 36 % à 10 ans, ce qui suggère que c’est une maladie au minimum fortement récurrente, et soulève une importante question : pendant combien de temps faut-il anticoaguler les patients victimes d’un premier épisode de TVP non provoquée, sachant que ces médicaments réduisent fortement le risque de récidive, mais augmentent aussi considérablement le risque d’hémorragie sévère ? Aujourd’hui, il n’y a pas d’essai randomisé ayant comparé directement 3-6 mois d’anticoagulation versus une anticoagulation continue. Dans cette population, si le risque moyen de récidive de TVP est de 36 % à 10 ans (avec un risque de décès attribuable d’environ 1,5 %), le risque d’hémorragie grave sous anticoagulant pendant la même période (4) est d’environ 12 % (avec un risque de décès attribuable d’environ 1,32 %), ce qui aboutit à un bénéfice net très légèrement en faveur de l’anticoagulation à long terme si elle est possible et bien tolérée.
En pratique, si la balance bénéfice/risque de cette méta-analyse semble assez équilibrée, l’anticoagulation à long terme après un premier épisode dépend essentiellement du risque hémorragique individuel du patient. En cas de récidive de TVP, il faut reprendre les anticoagulants sans date définie d’arrêt.
Bibliographie
1- Boutitie F, Pinede L, Schulman S, & al. Influence of preceding length of anticoagulant treatment and initial presentation of venous thromboembolism on risk of recurrence after stopping treatment: analysis of individual participants’ data from seven trials. BMJ 2011;342:d3036.
2- Kearon C, Akl EA, Ornelas J, & al. Antithrombotic therapy for VTE disease: CHEST guideline and expert panel report. Chest 2016;149:315-52.
3- Shamseer L, Moher D, Clarke M, & al. PRISMA-P Group. Preferred reporting items for systematic review and meta-analysis protocols (PRISMA-P) 2015: elaboration and explanation. BMJ 2015;350:g7647.
4- Castellucci LA, Cameron C, Le Gal G, & al. Efficacy and safety outcomes of oral anticoagulants and antiplatelet drugs in the secondary prevention of venous thromboembolism: systematic review and network meta-analysis. BMJ 2013;347:f5133.
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