HAS : des recos sans consensus sur la maladie de Lyme

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Publié le 20/06/2018
Très attendues, les nouvelles recos de la HAS sur la maladie de Lyme devaient permettre de mieux baliser la prise en charge et le parcours médical des patients. Mais le texte présenté mercredi n’a pas obtenu l’aval des infectiologues et suscite déjà la controverse en entérinant la notion de SPPT.
Tiques

Tiques
Crédit photo : LAB. SANTÉ ANIMALE-ANSES/PHANIE

Pour la première fois, des recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) sont officiellement contestées dès leur sortie par une société savante qui a participé à leur élaboration.

« La HAS ne fait pas de la science mais de la politique ! » Pour le Pr Eric Caumes, infectiologue au CHU Pitié-Salpétrière, la chose est entendue : les recommandations sur la maladie de la Lyme présentées ce mercredi par la HAS répondent davantage à une pression sociétale qu’à une réalité infectieuse.

Prévues par le plan Lyme porté par Marisol Touraine en 2016, ces recos visaient à proposer un "Programme National de Diagnostic et de Soins" (PNDS) qui permettent de recadrer dans un champ médical la problématique du Lyme. 

Mais la mission s’est vite transformée en un exercice d’équilibriste entre attentes des patients et incertitudes scientifiques. La présidente de la HAS elle-même, le Pr Dominique Le Guludec, atteste du « faible niveau de connaissances scientifiques » sur cette pathologie. Tout en plaidant fermement la nécessité de publier leurs recommandations dès à présent, quitte à les réactualiser tous les 6 mois.

Le SPPT de la discorde

Par rapport au consensus de 2006 de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf), la nouvelle feuille de route propose peu d’évolutions marquantes pour la prise en charge des borrélioses de Lyme proprement dite. Elle crée en revanche un précédant en entérinant la notion de « Symptomatologie/syndrome persistante polymorphe après possible piqûre de tique » ou « SPPT ». Sans parler de Lyme chronique, la HAS reconnaît ainsi l’existence de « personnes ayant été potentiellement exposées aux tiques présentant des signes cliniques polymorphes (douleurs musculaires, maux de tête, fatigue, troubles cognitifs), persistants, généralement diffus, non expliqués, pouvant être invalidants » qu’elle regroupe sous l’acronyme « SPPT » lorsque ces signes cliniques surviennent plusieurs fois par semaine, depuis plus de 6 mois.

Une prise de position loin de faire l’unanimité parmi les infectiologues. « Ces malades existent et il faut les prendre en charge mais fallait-il pour autant créer une maladie nouvelle ? » s’interroge, critique, le Pr France Roblot, présidente sortante de la SPILF. Fortement impliquée dans l’élaboration de ces nouvelles recommandations, la société savante vient d’annoncer dans un communiqué qu’elle ne validait pas pour le moment le texte de la HAS.

Seuls 10 % d'authentiques Lyme parmi les SPPT

Avec ce SPPT, « on crée de toutes pièces un syndrome mal défini par un ensemble de signes polymorphes qui n’existe pas », appuie le Pr Caumes, membre de la Spilf. Avec à la clé, « le risque de rattacher à une piqûre de tique quelque chose qui n’a rien à voir avec une piqûre de tique ».

Dans une étude réalisée dans son service, moins de 10 % des patients ayant consulté pour une Borréliose de Lyme entre janvier 2014 et décembre 2017, étaient d’authentiques Lyme. A contrario, un autre diagnostic a pu être posé dans 87 % des cas, qu’il s’agisse de troubles psychologiques (28,8 %), musculo-squelettiques (18,2 %), neurologiques (14,4 %), de polypathologies (6 %), de troubles somatoformes indifferenciés (7,6 %) voire même des syndromes d’apnée du sommeil (5,7 %). Malheureusement, dans une fois sur deux les patients avaient reçu une antibiothérapie préalable. Antibiotiques, mais aussi antiviraux, antifungiques, etc… Une des ordonnances cumulait même « jusqu'à 23 médicaments », s’insurge l’infectiologue.  

Une réalité que la HAS reconnaît à mots couverts : « En l’état actuel des connaissances, nous ne savons pas si ces signes [de SPPT ] sont dus à l’existence d’une borréliose de Lyme persistante (après traitement ou non) ou à d’autres agents pathogènes qui seraient transmis par les tiques. Il peut aussi s’agir d’autres maladies ou syndromes. »

Face à ces incertitudes, les recommandations tentent donc de baliser au maximum la prise en charge des patients SPPT en préconisant « d’éliminer la piste de maladies inflammatoires, infectieuses ou non infectieuses » et un parcours de soin dédié avec la création de 5 centres spécialisés MVT (Maladies vectorielles à tiques).

Sur le plan thérapeutique, la HAS préconise pour ces patients SPPT, de « proposer un traitement pour soulager les symptômes, quel que soit le résultat de leur sérologie. » Par ailleurs, « si les différents diagnostics différentiels sont négatifs, un traitement antibiotique d’épreuve de 28 jours pourra être proposé, en parallèle du traitement symptomatique. »

Usine à gaz

« Avec ces centres experts, on est en train de créer des usines à gaz dans des endroits où il n’y a pas la compétence adaptée puisque la plupart des cas ne relèvent pas de l’infectiologie », regrette le Pr Caumes. Pour la HAS, l’orientation des patients SPPT vers ces centres les protège de trois risques : « l’errance diagnostique, le charlatanisme et les antibiothérapies erratiques au long cours. »

Selon les données du BEH "spécial Lyme" publié ce mardi, l’incidence de la maladie à l’échelon national est stable depuis 2009 (55 cas /100 000) avec toutefois, selon le réseau sentinelle, une augmentation en 2016 de l’incidence annuelle des cas de borrélioses de Lyme vus en consultation de médecine générale. 


Source : lequotidiendumedecin.fr