Cardiologie

RESTRICTION SODÉE ET INSUFFISANCE CARDIAQUE : UN CONSENSUS SANS PREUVE

Publié le 08/03/2019
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La recommandation de restriction sodée en cas d’insuffisance cardiaque repose essentiellement sur des avis d’experts, de faible niveau de preuves.
Sel

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Crédit photo : GARO/PHANIE

Réduire le sel des patients insuffisants cardiaques : revue systématique
Mathani KR, Heneghan C, Onakpoya I, & al. Reduced Salt Intake for Heart Failure: A Systematic Review  JAMA Intern Med 2018;178:1693-700.

CONTEXTE

La plupart des recommandations sur la prise en charge des patients insuffisants cardiaques préconisent de conseiller aux patients de réduire fortement leur consommation de sel (1). Cependant, même si cette recommandation repose sur une certaine logique physiopathologique, l’efficacité clinique de cette restriction n’a jamais été formellement établie (2). Une précédente revue systématique avec méta-analyse de six petits essais randomisés avait même suggéré que la restriction sodée augmentait la morbimortalité (3). Cependant, ce travail a été retiré de la littérature pour cause de sérieux doutes sur l’intégrité des données (3). De ce fait, le bénéfice clinique de la restriction en sel pour ces patients reste incertain.

OBJECTIFS

Évaluer les bénéfices cliniques et les risques de la restriction sodée chez les patients insuffisants cardiaques.

MÉTHODE

Revue systématique de la littérature suivant la méthode Cochrane avec méta-analyse si la qualité des données le permettait. La recherche bibliographique a sélectionné les essais randomisés ayant évalué les effets de la restriction sodée chez les patients insuffisants cardiaques dans toutes les grandes bases de données internationales jusqu’en mars 2018 avec des équations de recherche sophistiquées et pertinentes. Deux auteurs ont indépendamment identifié et analysé les essais avec recherche de consensus externes en cas de désaccord. La qualité des essais retenus a été évaluée avec l’outil du risque de biais de la Cochrane Collaboration. Les principaux critères de jugement étaient la mortalité cardiovasculaire, la mortalité totale et les évènements CV : infarctus du myocarde (IdM) et accident vasculaire cérébral (AVC). Quand elle était possible, l’analyse statistique a utilisé un modèle de Cox à effet fixe ou aléatoire.

RÉSULTATS

La recherche bibliographique a identifié 2 655 références. Vingt-sept essais randomisés étaient potentiellement pertinents, mais seulement neuf répondant aux critères de sélection ont été conservés. Ils regroupaient un total de 497 patients et aucun d’eux n’avait inclus plus de 100 patients. Tous ont été considérés comme ayant un risque de bais difficile à déterminer. Leurs caractéristiques étaient trop hétérogènes pour en faire une méta-analyse quel que soit le critère.

Les données étaient insuffisantes pour évaluer l’effet de la restriction sodée sur la mortalité CV. Quatre essais avaient des données sur la mortalité totale, trop fragmentaires et chétives pour en faire une méta-analyse. Aucun de ces essais n’avait évalué l’incidence des IdM ni celle des AVC. Enfin, deux petits essais – un mexicain (n = 65, 6 mois) et un suédois (n = 97, 3 mois) ont montré que la restriction sodée améliorait les symptômes de l’insuffisance cardiaque selon la classification NYHA (critère secondaire). Les sept autres étaient négatifs sur ce même critère subjectif.

COMMENTAIRES

Cette revue systématique ayant répertorié toutes les données issues d’essais randomisés publiés sur le sujet jusqu’en avril 2018 est insolite car elle démontre que les recommandations préconisant de réduire la consommation de sel des patients insuffisants cardiaques ne reposent sur quasiment rien, en tout cas sur rien de bien solide. Sa conclusion rejoint celle de la “Haute autorité de santé” de l’Ontario au Canada (4) et de la Cochrane collaboration (5). Cette situation est typique des recommandations basées sur des avis subjectifs d’experts qui représentent le plus faible niveau de preuve scientifique (6). Elles sont néanmoins acceptées sans trop d’opposition par la communauté médicale sur argument “d’autorité”.
En pratique, l’absence de preuve ne doit pas conduire à conseiller aux patients insuffisants cardiaques de se nourrir de conserves, de charcuterie, de saumon fumé ou de cornichons à tous les repas. En revanche, il est pour le moment judicieux de ne pas trop les embêter avec une restriction sodée trop stricte, facteur de frustration et d’inappétence. Cinq essais randomisés sont en cours pour éclairer (enfin) les futurs conseils diététiques à fournir à ces patients.

Bibliographie

1- Gupta D, Georgiopoulou VV, Kalogeropoulos AP, & al. Dietary sodium intake in heart failure. Circulation 2012;126:479-85.

2- Yancy CW. The uncertainty of sodium restriction in heart failure: we can do better than this. JACC Heart Fail 2016;1:39-41.

3- Di Nicolantonio JJ, Di Pasquale P, Taylor RS, & al. Low sodium versus normal sodium diets in systolic heart failure: systematic review and meta-analysis. Heart 2012 https://doi.org/10.1136/heartjnl-2012-302337. Rétraction dans Heart 2013;99:820.

4- Health Quality Ontario. Sodium restriction in heart failure: a rapid review. www.hqontario.ca/Portals/0/Documents/evidence/rapid-reviews/qbp-chf-cli…

5- Adler AJ, Taylor F, Martin N, & al. Reduced dietary salt for the prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2014;(12):CD009217.

6- Austin JP, Halvorson SAC. Reducing the Expert Halo Effect on Pharmacy and Therapeutics Committees. JAMA 2018 http://doi.org/jama.2018.20789

Liens d'intérêts

Aucun


Dr Santa Félibre (généraliste enseignant, Paris)

Source : lequotidiendumedecin.fr