INTRODUCTION
Fin 2020, les Académies nationales de médecine de pharmacie ont publié conjointement un rapport intitulé « Les prescriptions médicamenteuses dans le rhume de l’adulte d’origine virale », qui présente l’état de l’art actuel sur le traitement du rhume (1). Plus de 1 700 articles ont été publiés et une demi-douzaine de méta-analyses font des synthèses sur les principaux aspects thérapeutiques dans le rhume. Le sujet est particulièrement débattu, compte tenu des enjeux socio-économiques. Après avoir défini ce que l’on appelle réellement un rhume et exposé les questions nosologiques que cela soulève (voir Le Généraliste n° 2932, 8 janvier 2021), le but de cette mise au point est d’en présenter les principaux aspects thérapeutiques. Rappelons que nous dénommons « rhume » toute infection virale aiguë des voies aériennes supérieures, dont les dénominations ont beaucoup varié depuis deux siècles : rhinite aiguë, sinusite aiguë, rhino-sinusite aiguë, rhino-pharyngite aiguë virale sont des synonymes des termes « rhume » et « coryza ».
EN RÉSUMÉ
• Plus de 90 % des rhumes – dont la dénomination comprend aussi toutes les formes virales aiguës sous les vocables rhinite, sinusite, rhino-sinusite,
rhino-pharyngite – guérissent sans aucun traitement en moins de 15 jours.
• La place de la prescription d’un traitement s’avère limitée au vu de la très importante littérature publiée sur ce sujet, en particulier pour les antibiotiques
et les corticoïdes.
• Nombre de nos patients sont des patients pressés ne tolérant pas une gêne persistante plus de quelques journées : il est peut-être temps de reconsidérer
la prise en charge des rhumes en termes de santé publique, et non de confort individuel.
PLACE DE L’ANTIBIOTHÉRAPIE
En l’absence d’un observatoire du rhume, la prescription d’une antibiothérapie dans cette affection est mal évaluée en France. Le rapport des Académies nationales de médecine et de pharmacie a permis d’estimer en France la prescription d’amoxicilline, d’amoxicilline-acide clavulanique et de pristinamycine, chaque année, lors des pics d’infections virales, à plus de 11 millions de boîtes d’antibiotiques, ce qui représente environ 1/3 de la prescription d’amoxicilline, 25 % de la prescription d’amoxicilline-acide clavulanique et 15 % de la prescription de pristinamycine. Aux États-Unis, un observatoire des prescriptions a été développé entre 1997 et 1999 : près de 20 millions de prescriptions d’antibiotiques par an ont été effectuées en médecine de ville pour une indication « rhume », ce qui représente près de 8 % de l’ensemble des prescriptions d’antibiotiques (2).
La base de données Embase propose 392 articles comprenant à la fois les mots clés « common cold » et « antibiotic agent ». Les antibiotiques les plus souvent cités dans ces publications étaient : amoxicilline (n = 49 articles), amoxicilline-acide clavulanique (n = 30), macrolide (n = 26), érythromycine (n = 24), tétracycline (n = 21), cotrimoxazole (n = 21), céphalosporine (n = 18). En outre, cinq méta-analyses étudiant la place de l'antibiothérapie dans le rhume ont été publiées (Cochrane, Lancet, Lancet Infect Dis, Otolaryngol Head Neck Surg).
On peut résumer les résultats de cette abondante littérature en huit points :
• La prescription d’une antibiothérapie n’améliore pas les symptômes du rhume de J0 à J7. Une amélioration des symptômes est notée dans certaines publications entre J7 et J15, mais l'amplitude de cette amélioration est limitée.
• Les patients sous antibiotique ne reprennent pas leurs activités quotidiennes plus tôt que les patients sous placebo.
• Les patients sous antibiotique ne prennent pas moins d'antalgiques ou de décongestionnants nasaux que les patients sous placebo.
• Il n’existe aucune différence en termes de complication dans le groupe avec antibiothérapie par rapport au groupe placebo.
• Il n’existe aucune différence en termes de récidive dans le groupe avec antibiothérapie par rapport au groupe placebo.
• Aucun symptôme clinique ne peut être associé au diagnostic d’infection bactérienne et orienter la prescription vers une antibiothérapie. La présence d'une rhinorrhée colorée, dite « purulente », n'a aucune valeur pronostique et ne justifie pas la prescription d'une antibiothérapie.
• Une stratégie de surveillance clinique durant les 7 à 10 premiers jours avant l'instauration d'un éventuel traitement antibiotique est une option thérapeutique valide.
• Les auteurs concluent qu'il n'y a pas de place pour les antibiotiques chez les patients ayant un rhume non compliqué.
Les effets indésirables de l’antibiothérapie dans le traitement du rhume sont de deux types.
• Le premier effet indésirable est individuel : la fréquence des effets indésirables (diarrhées, vomissements, douleurs abdominales, mycose vaginale, éruption cutanée, etc.) liés à une antibiothérapie est significativement plus élevée par rapport à un groupe placebo. Un traitement antibiotique augmente le risque relatif d’avoir un effet indésirable de 83 %.
• Le deuxième effet indésirable est collectif : même s’il est difficile à évaluer, la grande fréquence de prescriptions d’une antibiothérapie dans une pathologie aussi courante que le rhume soulève la question de l’émergence de résistances aux antibiotiques, dont la fréquence augmente considérablement actuellement dans de très nombreux pays industrialisés.
→ Deux recommandations internationales ont été publiées sur la place de l’antibiothérapie dans le rhume :
■ L’« Infectious Diseases Society of America » (3) préconise l’emploi d’une antibiothérapie dans les seules rhinosinusites « bactériennes ». Leur diagnostic doit être porté sur des critères cliniques, sans la nécessité d’avoir recours à des examens complémentaires. Trois circonstances cliniques sont décrites :
• la présence de symptômes évoluant depuis plus de 10 jours et sans amélioration clinique,
• la présence de symptômes sévères : une fièvre élevée (>39 °C) ou des douleurs faciales durant plus de trois à quatre jours consécutifs,
• la présence de symptômes s’aggravant après une amélioration initiale, donnant une courbe d’évolution en « M ».
L’antibiothérapie recommandée repose sur l'association amoxicilline-acide clavulanique, et non sur l'amoxicilline seule : deux grammes deux fois par jour durant 5 à 7 jours chez l’adulte, associée à des lavages des fosses nasales. En cas d’allergie à cette antibiothérapie, la doxycycline ou une fluoroquinolone peuvent être prescrites. Les céphalosporines de 2e et 3e générations, l'association triméthoprime/sulfaméthoxazole, les macrolides ne sont pas recommandés.
■ L’« American Academy of Otolaryngology-Head and Neck Surgery » a aussi édicté une recommandation en 2015 (4). Aucune prescription d’antibiotique n'est nécessaire dans une rhinosinusite virale (i.e., un rhume). En présence d’une « rhinosinusite bactérienne » non compliquée, plusieurs options sont proposées : soit la prescription immédiate d'une antibiothérapie (amoxicilline ou association amoxicilline-acide clavulanique pendant 5 à 10 jours), soit une surveillance attentive en évitant la prescription initiale d’une antibiothérapie lorsque le praticien peut surveiller l’évolution. Dès lors, une antibiothérapie pourra être prescrite en cas d'absence d'amélioration durant la première semaine de surveillance ou en cas d’aggravation. Toute la difficulté consiste à porter le diagnostic de rhinosinusite « bactérienne », sortant du cadre viral usuel. Le diagnostic repose sur des éléments cliniques : l’aggravation des symptômes durant les 10 premiers jours après une amélioration initiale, ou la persistance de symptômes sans amélioration plus de 10 jours après le début des symptômes.
PLACE DE LA CORTICOTHÉRAPIE
→ Corticothérapie par voie générale Dans la littérature, aucune étude clinique n’a été publiée concernant l’efficacité d’une corticothérapie par voie générale dans le rhume. Seule une étude expérimentale basée sur une infection de la cavité nasale chez des volontaires sains par un rhinovirus a permis de montrer que la prescription de prednisone (20 mg) versus placebo n’avait aucun effet sur l’évolution des symptômes par rapport à un groupe témoin. Pourtant, en pratique quotidienne, une corticothérapie orale est souvent associée à une antibiothérapie lors d’un rhume. Le rapport des Académies nationales de médecine et de pharmacie a permis d’estimer en France que plus de quatre millions de prescriptions de la seule prednisolone sont effectuées chaque année lors des pics d’infections virales (sans tenir compte de la prescription de prednisone ou de méthyl-prednisone). Il convient donc d’alerter sur une surconsommation de corticoïdes oraux dans cette non-indication, dont les risques d’effets indésirables sont connus, notamment quand ces cures courtes sont répétées ; il est établi que le risque de voir apparaître des effets indésirables d’une corticothérapie (os, surrénale) apparaissent lorsqu’on dépasse trois cures courtes annuelles. Les données de la littérature ne permettent pas de justifier la prescription d’une corticothérapie générale, trop souvent associée de principe à une antibiothérapie dans le rhume.
→ Corticothérapie locale Quatorze essais cliniques ont été publiés sur l’emploi d’une corticothérapie locale dans le rhume. Une méta-analyse a été réalisée à partir de ces données (5). Parmi les critères d’évaluation de l’efficacité thérapeutique, les symptômes, la qualité de vie, les effets indésirables et les conséquences microbiologiques ont été étudiés. La méta-analyse n’a pas permis de conclure qu’il existait un effet bénéfique à la prescription d’une corticothérapie locale dans le rhume.
PLACE DES ANTIHISTAMINIQUES
Dix-huit essais cliniques ont été publiés sur l’emploi d’un antihistaminique H1, local ou général, dans le rhume. Une méta-analyse (6) a été réalisée à partir de ces données et les auteurs concluent que les antihistaminiques H1 n'apportent pas d'effet bénéfique vis-à-vis de l'amélioration des symptômes dans le rhume, tandis que leurs effets indésirables sont soulignés. Il n’y a donc actuellement pas d’argument permettant de conseiller la prescription d’un antihistaminique local ou général dans le rhume.
PLACE DES ANTI-INFLAMMATOIRES NON STÉROÏDIENS
Neuf essais cliniques ont été publiés sur l’emploi des anti-inflammatoires non stéroïdiens dans le rhume. Une méta-analyse a été réalisée à partir de ces données et les auteurs concluent que les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont efficaces sur les symptômes généraux (douleurs, fièvre) du rhume, mais qu’aucun effet évident n’a été noté sur les symptômes respiratoires (obstruction nasale, rhinorrhée).
PLACE DES ASSOCIATIONS ANTIHISTAMINIQUE H1, DÉCONGESTIONNANT ET ANTALGIQUE
Il existe de nombreuses spécialités pharmaceutiques associant, plus ou moins, un analgésique, un antihistaminique H1 et un décongestionnant (vasoconstricteur) (pseudoéphédrine, oxymétazoline, phénylpropanolamine, noréphédrine, xylométazoline). Une importante méta-analyse a permis de juger de l’efficacité de tels traitements :
• Les associations comprenant un antihistaminique H1 et un analgésique (3 essais) sont jugées globalement favorables par 70 % des patients dans le groupe « traitement », contre 43 % dans le groupe placebo. On n'observe aucun effet sur l'obstruction nasale ni sur la rhinorrhée.
• Les associations comprenant un antihistaminique H1 et un décongestionnant (12 essais) sont jugées positivement par 66 % des patients dans le groupe « traitement » versus 41 % dans le groupe placebo. L’effet est qualifié de « modeste » sur l'obstruction nasale et sur la rhinorrhée. Des effets indésirables (somnolence, insomnie, céphalées, bouche sèche, palpitations, nervosité) sont observés chez un tiers des patients du groupe « traitement ».
• Les associations comprenant un analgésique et un décongestionnant (6 essais) sont jugées positivement par 73 % des patients dans le groupe « traitement » versus 52 % dans le groupe placebo. Une amélioration de l'obstruction nasale, sans modification de la rhinorrhée, est observée dans le groupe « traitement ». Des effets indésirables sont observés (somnolence, trouble du sommeil, troubles digestifs, nervosité, bouche sèche, palpitations, céphalées, douleur abdominale, perte d'appétit, diarrhée, dépression) dans 18 % des patients du groupe « traitement ».
PLACE DES DÉCONGESTIONNANTS (VASOCONSTRICTEURS) NASAUX EN MONOTHÉRAPIE (7)
Dans les études réalisées après une administration unique versus placebo (2 essais par voie locale et 4 essais par voie orale), aucun effet favorable n’a été clairement observé. Lorsque des doses multiples sont utilisées, on observe, trois heures après la dernière administration, une amélioration de l’obstruction nasale dans le groupe « décongestionnant » versus le groupe placebo, mais l’effet clinique a été jugé modéré.
Il est capital de souligner les effets indésirables de ces médicaments (8). Plus de 140 cas d’effets indésirables graves (accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde, tachycardie supraventriculaire, colite ischémique, poussée hypertensive sévère, hémorragie intracrânienne) conduisant parfois à des décès ont été publiés. Une étude française menée sur la base nationale de pharmacovigilance a relevé une quarantaine d’effets indésirables cardio-vasculaires ou neurologiques sévères, notamment des accidents vasculaires cérébraux ischémiques ou hémorragiques, des troubles convulsifs, des accidents ischémiques transitoires, des ischémies myocardiques, des troubles du rythme cardiaque. Ces effets indésirables étaient plus fréquents avec les formes orales (57 %) qu’avec les formes locales (43 %). Ces effets indésirables peuvent survenir à tout âge, principalement sur les sujets à risque. Ces données ont conduit l’Académie nationale de médecine à recommander que la prescription de ces traitements décongestionnants soit encadrée et limitée(9).
PLACE DES LAVAGES DES CAVITÉS NASALES ET AUTRES TRAITEMENTS
Cinq essais cliniques et une méta-analyse n’ont pas conclu à une réelle efficacité de ces lavages des cavités nasales dans le rhume. C’est néanmoins une technique à risque très limité. Plusieurs méta-analyses ont également été publiées sur le traitement du rhume par le paracétamol, les herbes médicinales chinoises, l'ail, les humidificateurs d’air : seul le paracétamol a un effet positif, bien que modeste, sur l'obstruction nasale et la rhinorrhée.
Liens d'intérêts
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article.
Bibliographie
1. Bonfils P, Bricaire F, Chays A, Queneau P, Giroud JP, Fraysse M, Astier A, Ourabah R, Biour M, Tran Ba Huy P. Les prescriptions médicamenteuses dans le rhume de l’adulte d’origine virale. Académie Nationale de Médecine, 2020.
2. Rutschmann O.T., Domino M.E. Antibiotics for upper respiratory tract infections in ambulatory practice in the United States, 1997-1999: Does physician specialty matter? Journal of the American Board of Family Practice 2004 17:3, 196-200.
3. Chow AW, Benninger MS, Brook I, Brozek JL, Goldstein EJ, Hicks LA, Pankey GA, Seleznick M, Volturo G, Wald ER, File TM Jr; Infectious Diseases Society of America. IDSA clinical practice guideline for acute bacterial rhinosinusitis in children and adults. Clin Infect Dis. 2012;54:e72-e112.
4. Rosenfeld RM, Piccirillo JF, Chandrasekhar SS, Brook I, Ashok Kumar K, Kramper M, Orlandi RR, Palmer JN, Patel ZM, Peters A, Walsh SA, Corrigan MD. Clinical practice guideline (update): adult sinusitis. Otolaryngol Head Neck Surg. 2015;152(2 Suppl):S1-S39.
5. Hayward G, Thompson MJ, Perera R, Del Mar CB, Glasziou PP, Heneghan CJ. Corticosteroids for the common cold. Cochrane Database Syst Rev. 2015;10:CD008116.
6. De Sutter AI, Saraswat A, van Driel ML. Antihistamines for the common cold. Cochrane Database Syst Rev. 2015;11:CD009345.
7. Deckx L, De Sutter AI, Guo L, Mir NA, van Driel ML. Nasal decongestants in monotherapy for the common cold. Cochrane Database Syst Rev. 2016;10:CD009612.
8. Laccourreye O, Werner A, Giroud JP, Couloigner V, Bonfils P, Bondon-Guitton E. Apport, dangers et limites de l’éphédrine et de la pseuoéphédrine en tant que décongestionnant nasal. Ann Fr ORL et de Pathologie cervico-faciale, 2015;132, 28-31.
9. Giroud JP, Montastruc JL. Les médicaments du rhume à base de vasoconstricteurs doivent être prescrits sur ordonnance. Bull Acad Natl Med 2015;947-8.
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