Effets de la controverse médiatisée sur l’usage des statines : analyse séquentielle d’une base de données en soins primaires au Royaume-Uni
Matthews A, Herrett E, Gasparrini A, et al. Impact of statin related media coverage on use of statins: interrupted time series analysis with UK primary care data. BMJ http://dx.doi.org/10.1136/bmj.i3283
CONTEXTE
Entre octobre 2013 et mars 2014, une controverse sur le ratio bénéfice/risque clinique des statines a occupé la littérature médicale internationale (1,2), et a été reprise dans les médias grand public. En France, elle a été très relayée, voire renforcée, dans les médias grand public par un professeur de pneumologie retraité (3). La Société française de cardiologie y a consacré un communiqué de presse tonitruant (4).
OBJECTIFS
à la suite de cette controverse sur le ratio bénéfice/risque des statines, mesurer l’impact des médias grand public sur leur usage en médecine générale.
MÉTHODE
Analyse séquentielle mensuelle des initiations et des arrêts d’un traitement par une statine. Les données ont été extraites de janvier 2011 (24 mois avant la controverse) jusqu’à mars 2015 (12 mois après) de la base de données en soins primaires représentative Clinical Practice Research Datalink (CPRD) contenant les diagnostics et les prescriptions médicamenteuses de 6,9 % de la population du Royaume-Uni.
La sélection des patients était fondée sur leur éligibilité à une statine lorsqu’ils étaient à haut risque CV (≥ 20 %) en prévention primaire traités ou non, s’ils avaient été victimes d’un évènement cardiovasculaire pendant l’étude (déjà traités ou non) ou s’ils étaient en prévention CV secondaire et traités.
Les critères de jugement étaient l’initiation d’une statine chez les patients éligibles non traités en prévention primaire et secondaire, et l’arrêt de la statine chez ceux déjà traités en prévention primaire et secondaire avant, pendant et après la controverse. L’analyse statistique a été faite avec un modèle linéaire ajusté, mois par mois, sur le nombre de patients éligibles ou exposés à une statine (dénominateurs mensuels). Les résultats sont présentés en odds-ratio avec un intervalle de confiance à 95 %.
RÉSULTATS
L’analyse a porté sur 88 010 patients à haut risque en prévention primaire, 25 593 événements CV pendant l’étude, 9 286 148 prescriptions en prévention primaire et 5 130 148 en prévention secondaire. Il n’y a pas eu de différence avant/après la controverse en termes d’initiation d’une statine chez les patients en prévention primaire : OR = 0,99 ; IC 95 % = 0,87 – 1,13, tout comme en prévention secondaire : OR = 1,01 ; IC 95 % = 0,92 – 1,18. En revanche, il y a eu une augmentation significative des arrêts de traitement de 11 % en prévention primaire à haut risque :
OR = 1,11 ; IC 95 % = 1,05 – 1,18 et de 12 % en prévention secondaire : OR = 1,12 ; IC 95 % = 1,04 –1,21.
Ces différences disparaissaient 6 mois après la fin de la controverse. Dans leur discussion, les auteurs estimaient très prudemment que 200 000 patients avaient arrêté leur statine pendant et après la controverse, ce qui aboutirait à un excès de 2 173 événements cardiovasculaires en dix ans en cas de persistance de l’arrêt.
COMMENTAIRES
Cette étude sur base de données est la première dans le monde sur ce sujet. Comme toutes les études de ce type, elle comporte de nombreux biais méthodologiques susceptibles de remettre en question la faible augmentation significative des arrêts de traitement (11 % et 12 %). En particulier, elle n’a recueilli aucun des motifs d’arrêt des statines (facteur confondant fondamental), ce qui est rédhibitoire.
Néanmoins, elle suggère que des informations négatives en santé, délivrées sans discernement au grand public, ont un impact sur les comportements des patients et des médecins généralistes (anglais). Sur le terrain, il est probable qu’à la fin de l’année 2015, de nombreux lecteurs de cette rubrique ont été questionnés par leurs patients sur l’opportunité de continuer à prendre leur statine.
Cette situation suscitée par des journalistes gourmands d'« audiences » soutenus par des « experts » éloignés du domaine est difficile à négocier dans la consultation. Le meilleur moyen est de s’appuyer sur les données scientifiques les plus solides, synthétiques et factuelles, qui montrent que le ratio bénéfice/risque des statines est favorable, quel que soit le risque cardiovasculaire du patient et quel que soit son LDL-c. Seules les quantités d’effet en termes de bénéfice clinique diminuent avec le risque cardiovasculaire du patient, alors que le risque iatrogène reste stable (5).
En pratique, ce type de consultation est idéal pour mettre en œuvre la démarche de décision partagée avec le patient, en lui laissant le choix après lui avoir clairement et honnêtement expliqué les risques et bénéfices de son traitement, et que les journalistes non spécialisés qui exposent les controverses scientifiques au grand public devraient être mieux éduqués.
Étude et pratique
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Cas clinique
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