LA SURVEILLANCE DU PATIENT
Les sujets atteints d’une maladie de Crohn (MC) sont exposés à la survenue de poussées, aux effets indésirables des traitements et à un risque augmenté de cancer. Ces risques justifient un suivi médical spécifique qui s’inscrit dans une relation de longue durée. Après une durée médiane de survie de 12 ans, 87 % des patients atteints de MC ont une évolution par poussées entrecoupées de phases de rémission plus ou moins complètes tandis que 13 % n’ont eu qu’un seul épisode (7).
Dans la plupart des cas, le patient voit annuellement ou semestriellement un gastro-entérologue. Si celui-ci met en route un traitement, il ne reverra le patient que 3 à 4 semaines plus tard, voire trois mois. Dans l’intervalle, le médecin généraliste est en première ligne pour repérer symptômes des effets indésirables, ce qui implique de bien connaître les traitements. Cette connaissance permet d’ailleurs d’éviter quelques erreurs.
Le Pr Bigard constate que « Nous voyons trop souvent des traitements de cinq jours à 60 mg/j de cortisone pour une suspicion de poussée de maladie de Crohn. Les MICI ne se traitent pas comme les infections ORL ! Effectivement, le patient va mieux mais on se retrouve avec une corticodépendance et des études récentes ont fait la preuve des dégâts de cette corticothérapie à l’emporte pièce. D’autre part, quand on doit prescrire de la cortisone pour une maladie de Crohn, c’est pour une durée minimale d’environ trois mois ; il faut attendre que patient aille bien puis diminuer progressivement. La décision de prescrire une corticothérapie dans une MC relève du spécialiste et toute poussée de la maladie justifie d’emblée une consultation spécialisée.»
- La fièvre. La survenue d’une fièvre sous corticoïde ou immunomodulateur nécessite une consultation rapide, en sachant que le risque de tuberculose et d’infections opportunistes est particulièrement à prendre en compte sous anti-TNFalpha.
- Le risque de cancer colique. Attention au risque de survenue de cancer colique, après quelques années, on a tendance à l’oublier chez les patients quiescents. Une coloscopie doit être réalisée, tous les deux ans après 8 ans d’évolution en cas de colite étendue. Selon une étude publiée en 2007, l’âge médian du diagnostic d’une MICI est de 29 ans et celui du diagnostic de cancer est de 48 ans. 8 % des patients développent un cancer après 8 à 15 ans d’évolution de leur MICI et 26 % après 10 à 20 ans.
« Si le patient va bien, hors ce dépistage du cancer il faut ne rien faire, et surtout éviter les scanners dits « de surveillance », inutiles et responsables d’irradiations trop importantes qui augmentent le risque cancéreux », précise Marc-André Bigard. Une NFS annuelle avec recherche de carence en fer suffit.
- Les co-prescriptions à éviter. Les AINS peuvent déclencher une poussée et doivent être évités mais en sachant raison garder ; s’ils sont nécessaires en cas de processus inflammatoire telle une spondylarthrite ankylosante et chez un patient bien équilibré, asymptomatique du point de vue digestif, leur prescription est possible.
- L’alimentation. Tout régime est inutile, les patients atteints de MC doivent avoir une alimentation normale, sauf éventuellement et transitoirement en cas de poussée marquée. L’alimentation n’influe pas sur le cours de la maladie.
- Le sevrage tabagique. Le tabac aggrave la maladie de Crohn, il est indispensable de convaincre le patient de l’effet favorable de son arrêt.
- Le soutien psychologique. L’information du patient sur sa maladie, ses symptômes et ses traitements est essentielle, la relation médecin-patient permet de déceler des peurs alimentaires, de rassurer sur la compatibilité avec une existence normale ou proche de la normale, d’indiquer le nom d’une association de patients (7).
Cette maladie chronique induit fréquemment des comportements particuliers, ainsi un patient sur deux recourt à l’homéopathie.
Plus la communication est fluide entre spécialiste, médecin généraliste et patient, meilleure est la prise en charge d’une MC.
LES TRAITEMENTS DE LA MALADIE DE CROHN
Il n’existe pas de traitement médical curatif de la maladie de Crohn. Les traitements actuels obtiennent de plus en plus souvent, de façon suspensive, un contrôle durable de la maladie et une qualité de vie satisfaisante (1).
En 2005, en France, plus de la moitié des patients ont reçu de l’azathioprine ou de la 6-mercatopurine, 10 % du methotrexate et 15 % de l’inflixumab, selon l’étude CESAME (Cancers et Surrisque Associé aux Maladies inflammatoires intestinales) réalisée sur plus de 12 000 patients (4,6).
Aminosalycylés
Les aminosalicylés, ou 5-ASA, essentiellement la mésalazine (Pentasa®, Fivasa®, Rowasa®) à la posologie de 2 à 4 g/j ou la sulfasalazine ( Salazopyrine®) à la dose de 4 à 6g/j, exercent une action anti-inflammatoire directe sur les muqueuses intestinales. Ils sont utilisés par voie orale et/ou locale en traitement des poussées légères (un à deux mois) et en prévention de rechutes d’intensité faible ou modérée (traitement prolongé sur de nombreuses années). Un suivi de la créatinine est nécessaire semestriellement. En fait, ils sont probablement peu efficaces dans la maladie de Crohn.
Corticothérapie
Une corticothérapie systémique, prednisone ou prednisolone, est proposée en première intention pour une poussée d’intensité moyenne à sévère.
Deux grands schémas thérapeutiques peuvent être utilisés : 40 mg/j en cas de maladie modérément active et 1 mg/kg/j en cas de maladie très active, avec ensuite diminution par palier de 5 ou 10 mg par semaine. Le traitement par budésonide (9 mg/j au départ puis à doses dégressives ensuite)est limité aux formes iléo-colique droites, il a l’avantage d’un moindre effet systémique.
- Une glycémie à jeun à une semaine, un examen ophtalmique (cataracte, glaucome) après plus de 6 mois de traitement cumulé sont recommandés.
- Le patient doit être impérativement informé de la fréquence des effets indésirables, de leurs délais d’apparition et de ses facteurs de risque individuels.
La cortisone présente, en effet, des risques secondaires notamment infectieux, osseux (ostéoporose), cosmétiques, neuropsychiques (insomnies, troubles de l’humeur). C’est un traitement potentiellement dangereux.
- Des le premier jour de la corticothérapie, un traitement substitutif par calcium (1 g/j) et vit D (800 Ui/j) doit y être associé. Une ostéodensitometrie est demandée pour les patients tabagiques, âgés, les femmes ménopausées, les sujets dénutris et un biphosphonate sera prescrit en fonction de ses résultats.
Les rhumatologues conseillent de poursuivre le tacitement par calcium+vitamine D pendant 3 à 4 mois après l’arrêt de la corticothérapie.
- Pour éviter la prise de poids, des conseils de diminution des graisses sont proposés. Le régime sans sel est inutile sauf en cas de facteur de risque associé (HTA, cardiopathie), il suffit d’éviter de sur-saler les aliments.
- L’effet cosmétique est majeur pour les jeunes qui doivent en être bien prévenus. « Sinon, une jeune fille de 18 ans se retrouvant avec un visage gonflé, de l’acné, refusera définitivement toute corticothérapie », insiste le Pr Bigard. Lorsque la corticothérapie sera abaissée à 10 mg/j, ces effets cosmétiques auront disparu trois mois après.
- A l’arrêt du traitement corticoïde qui dure 2 à 3 mois, un test au synacthène (couteux et peu facile à mettre en œuvre) n’est pas nécessaire.
- Les corticoïdes permettent une régression rapide des symptomes dans 60 à 90 %, mais ne doivent être utilisés que quand ils sont réellement indispensables
La corticothérapie est vite délétère et il faut toujours penser à une alternative. Si elle fait toujours pleinement partie de l’arsenal thérapeutique pour les poussées modérées et sévères, elle est inutile pour le maintien de la rémission, et le sevrage en corticoïdes est l’un des objectifs majeurs (3, 8). Dans la MC, la corticodépendance est fréquente, de 13 à 28 % des cas (3).
Imunosupresseurs
Les indications des immunosuppresseurs peuvent être indiscutables : corticodépendance, corticorésistance, rechutes fréquentes (2 à 3 par an).
Ils sont aussi indiqués d’emblée dans certaines formes sévères. Actuellement, un essai du GETAID nommé RAPID cherche à déterminer si une mise en route plus précoce de l’azathioprine ou du méthotrexate permettrait de modifier l’histoire naturelle de la maladie et notamment de prévenir le développement de lésions nécessitant une chirurgie avec comme critères d’inclusion : maladie de Crohn diagnostiquée de puis moins de 6 mois, certaine avec au mois deux des trois critères suivants : moins de 40 ans, lésion anopérinéale, mise sous corticoïdes au cours de la première poussée.
- En France, on utilise l’azathiopine (Imurel®) en première intention à la dose initiale de 2 à 2,5 mg/kg/j. On réserve la 6-mercaptopurine (6-MP) aux cas d’intolérance (pancréatite mise à part car le risque est identique). « L’azathioprine est un médicament problématique, souligne Marc André Bigard. Il est très utile, certains patients atteints de maladie de Crohn ont une vie radicalement transformée avant et après Imurel®, avec poussées successives avant et disparition des poussées après et ce pendant plusieurs années. Mais les séries nous montrent que 20 à 25 % des malades ne tolèrent pas ce traitement et il s’agit d’une proportion importante de patients. Lors d’une primo-prescription d’azathioprine, nous savons qu’un quart des malades l’interrompent dans les deux mois pour des raions d’intolérance.»
- L’effet secondaire le plus grave, c’est bien sur la tolérance hématologique. Une déficience en enzyme TPMT (thiopurine méthyltransferase), dont le phénotypage n’est pas réalisé systématiquement en France avant traitement mais l’est en cas d’accident hématologique, provoque, , une leucopénie profonde - jusqu’à quelques centaines de globules blancs - qui met le patient en danger. Ceci concerne 1 sujet sur 300. Cet effet précoce, le premier mois, impose une surveillance hématologique stricte avec contrôle sanguin toutes les semaines. Ensuite on peut relâcher la surveillance qui devient mensuelle. Un bilan hépatique est fait tous les 3 mois.
- Le deuxième effet grave est la pancréatite aigue, nettement plus fréquente dans la maladie de Crohn, 3 à 4 % des patients, que dans les autres indications de l’azathioprine. Révélée le plus souvent par une douleur aigue, ses manifestations peuvent être plus anodines : dyspepsie, difficultés pour s’alimenter. Le scanner n’a pas d’intérêt car le plus souvent, il n’est pas modifié. Le diagnostic repose sur le dosage de la lipasémie. Si elle est élevée, le traitement est arrêté et surtout jamais repris. Cette interdiction définitive rend indispensable de documenter ces manifestations par la lipasémie, car on se prive d’une arme importante, le patient n’aura plus d’azathioprine de sa vie.
- Il existe d’autres signes d’intolérance : asthénie, arthralgies, fièvre, vomissements, éruptions, pouvant dans certains cas amener les patients à arrêter leur traitement. « L’intérêt, note le Pr Bigard, c’est qu’on le sait rapidement et que l’on peut dire au patient : « Si vous supportez ce médicament deux mois, vous le supporterez 20 ans ».
- Le traitement doit être prescrit de nombreuses années. L’efficacité est jugée sur la clinique : l’azathioprine est considérée comme inefficace après un délai variable mais de l’ordre de 6 mois.
- Le méthotrexate est indiqué en cas d’intolérance à l’azathioprine ou au 6-MP. On a recours au méthotrexate par voie injectable à la dose de 25 mg par semaine; cette dose n’impose pas une supplémentation en folates. Très tératogène, ce traitement nécessite une contraception impérative et rigoureuse. Une grossesse peut être envisagée sans risques trois mois après l’arrêt du traitement chez la femme et après quatre mois chez l’homme.
- La surveillance est hématologique et hépatique : NFS, transaminases et Gamma GT toutes les semaines le premier mois, puis tous les mois pendant deux mois, puis tous les trois mois. Le méthotrexate provoque des fibroses hépatiques et des cirrhoses, surtout en cas de consommation alcoolique associée. Ces complications surviendraient particulièrement chez les malades d’âge moyen (anciens psoriasiques notamment) mais rarement dans la population des malades jeunes avec peu d’alcoolisme. Une toux persistante doit alerter, elle peut témoigner d’une rare (< 1 %) atteinte allergique du poumon obligeant à l’arrêt du traitement.
- L’efficacité du méthotrexate et de l’azathioprine sont globalement équivalentes (environ 42 %). La durée du traitement par immunosuppresseurs est d’au moins 4 ans. En cas d’arrêt du traitement après ce délai, un essai du GETAID a montré 21 % de rechute à 18 mois contre 8 % chez les patients poursuivant le traitement, le taux de rechute à 5 ans est de 60 %, et 80 % des patients répondent à un retraitement. Si le traitement est efficace, la question se pose pour certains de le maintenir à vie.
Biotherapies
Ces dernières années, la prise en charge des MICI réfractaires aux traitements standards a été révolutionnée par l’introduction d’anticorps monoclonaux, les antiTNF-alpha : inflixumab (Remicade®) et adalimumab (Humira®) (9,2).
Le TNFα (tumor necrosis factor alpha) est une cytokine pro-inflammatoire jouant un rôle central dans les réactions inflammatoires et immunitaires en général, et dans la pathogénèse de la maladie de Crohn (comme de la RCH) en particulier (5). Dans les MICI, il existe une activation du système immunitaire liée à une perte de tolérance vis à vis de la flore intestinale et à des anomalies génétiques.
- Ces biothérapies sont indiquées dans les formes sévères actives avec corticodépendance/résistance à l’azathiopine ou au méthotrexate (3,4). Situées initialement en troisième ligne après échec de la corticothérapie et des immunosuppresseurs, elles peuvent actuellement passer en deuxième ligne en cas de maladie de Crohn sévère (lésions anopérinéales menaçantes, poussées mal contrôlées), sans recourir aux immunosuppresseurs. L’adalimumab est administrée par voie SC tous les 14 jours est plus facile à réaliser en ambulatoire que l’infliximab administré tous les 2 mois par perfusion (deux heures) en milieu hospitalier compte tenu du risque de réaction allergique (moins de 5 % des cas).
- Avant toute prescription, une enquête infectieuse est systématique (Recommandations Afsapps 2005) avec notamment la recherche d’une éventuelle tuberculose comte tenu du risque de réactivation de la maladie sous anti-TNFα.
Les biothérapies, outre leur coût élevé, ont des inconvénients à bien connaître :
- les vaccins vivants atténués sont contre-indiqués (fièvre jaune, rougeole, oreillons, rubéole, tuberculose, varicelle) et ces sujets souvent jeunes doit en être informés, tout voyage dans un certain nombre de pays africains leur devenant ainsi interdit,
- chez les femmes jeunes, on portera une attention particulière à la survenue d’affections virales gynécologiques (papillomavirus),
- le risque infectieux est augmenté aussi le patient doit savoir qu’il doit toujours joindre un médecin en cas de fièvre.
- des éruptions cutanées, type eczéma ou psoriasis sont parfois observées, répondant souvent à l’application de pommade à base de cortisone mais pouvant parfois faire suspendre le traitement,
- des réactions type fièvre, arthralgies, céphalées sont habituellement soulagées par la prise de paracétamol, mais peuvent être le signe d’une maladie sérique.
Actuellement, les anti-TNFα ne sont pas utilisés pendant la grossesse, mais les recueils de données actuelles n’ont pas révélé d’effet nocif chez les femmes enceintes.
- Sous anti-TNFα, on contrôle la maladie de façon durable dans environ les 2/3 des cas. Le traitement est poursuivi plusieurs années si possible. Dans la pratique, on le poursuit tant qu’il est efficace et bien toléré.
Mise au point
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Étude et pratique
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Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique
Recommandations
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