Rhumatologie

TRAITEMENTS DES FRACTURES VERTÉBRALES OSTÉOPOROTIQUES

Publié le 24/10/2019
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Les fractures vertébrales ostéoporotiques sont considérées comme sévères. La prise en charge immédiate varie selon la douleur et l'impotence fonctionnelle. Dans tous les cas, le traitement des fractures vertébrales ostéoporotiques est évolutif et nécessite une prévention secondaire.
fracture ostopeorotique

fracture ostopeorotique
Crédit photo : SCIENCE SOURCE/PHANIE

L’ostéoporose (OP) est une maladie diffuse du squelette, caractérisée par une masse osseuse faible et une détérioration de la microarchitecture de l’os conduisant à une fragilité osseuse accrue et à une augmentation secondaire du risque de fracture (1). Les fractures ostéoporotiques peuvent toucher presque tous les os du squelette. Certaines d’entre elles, comme celles des vertèbres, sont considérées comme sévères (fractures majeures) car responsables d’une augmentation de la mortalité (2).

DIAGNOSTIC D’UNE FRACTURE VERTÉBRALE

Une fracture vertébrale (FV) induit habituellement une douleur vertébrale brutale de siège dorsal ou lombaire. Les circonstances déclenchantes peuvent être une chute de la hauteur, un effort de soulèvement, voire un simple éternuement…

L’impotence fonctionnelle est marquée, notamment aux changements de position (difficulté au retournement sur le plan du lit). La FV peut néanmoins passer cliniquement inaperçue dans 20 à 30 % des cas. Il faut savoir suspecter ces FV silencieuses en mesurant régulièrement les patientes et en faisant réaliser des radiographies du rachis en cas de perte de taille.

→ Les FV silencieuses ont le même pronostic que les FV symptomatiques : augmentation du risque de récidive (cascade fracturaire), de la morbidité (douleurs rachidiennes chroniques, retentissement respiratoire) et de la mortalité.

SIGNES DE GRAVITÉ

Les FV ostéoporotiques s’accompagnent rarement de complications neurologiques. Néanmoins, l’examen clinique doit être soigneux pour dépister des troubles sensitifs, moteurs, l'abolition des réflexes, les signes pyramidaux ou troubles sphinctériens qui nécessiteraient de prendre un avis neurochirurgical. La présence d’une FV de grade élevé (figure 1) et/ou d’un collapsus ischémique vertébral, avec présence d’air dans le corps vertébral et recul du mur vertébral postéro-supérieur (figure 2), augmente le risque de complications neurologiques.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

L’ostéoporose est la cause la plus fréquente de la FV. L’origine de la fracture peut être aussi néoplasique, secondaire à un myélome ou à une métastase osseuse. Un bilan biologique doit être systématiquement réalisé devant toute fracture vertébrale. D’autres diagnostics peuvent aussi être évoqués devant une rachialgie aiguë comme une spondylodiscite infectieuse ou une hernie discale (tableau 1). Dans tous les cas, l’examen d’imagerie clé est l’IRM (figures 3 et 4).

PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE PRIMAIRE

Les objectifs principaux sont la mise au repos du rachis et l’antalgie. Les modalités de ce traitement dépendent de l’importance des douleurs et de l’impotence fonctionnelle, pouvant justifier une hospitalisation si le maintien à domicile est impossible compte-tenu des comorbidités ou d’un entourage insuffisant.

Douleurs et impotence fonctionnelle modérées

Les antalgiques de niveau 1 sont à privilégier, ainsi que le maintien des activités ; si besoin un lombostat souple peut être prescrit. Au début, des périodes de repos au lit sont recommandées dans la journée en privilégiant le decubitus dorsal et la position genu-pectorale. Le maintien de l’activité, dans la mesure où les douleurs l’autorisent, permet d’éviter le déconditionnement musculaire et l’accentuation de la déminéralisation osseuse.

Douleurs et impotence fonctionnelle importantes

Dans ce cas, le repos au lit est nécessaire avec prévention des complications de decubitus, notamment chez les patients très âgés et en cas de comorbidités importantes. Les antalgiques de niveau 2 ou 3 sont préconisés en veillant à prévenir les effets secondaires tels que la constipation, la sédation excessive ou la décompensation psychique. La surveillance de l’évolution des douleurs par l’échelle visuelle analogique permet d’adapter les doses d’opioïdes et de diminuer leurs effets délétères.

→ Dans les cas où la douleur n’est pas contrôlable, que les effets secondaires des opiacés sont trop importants ou que des complications de decubitus apparaissent, il peut être nécessaire de proposer une vertébroplastie. Il s’agit d’injecter, sous contrôle scopique ou scanner, une résine de 

méthylméthacrylate (figure 5). Cette technique reste controversée, certains travaux n’ayant pas retrouvé de bénéfice en termes de réduction de la douleur vertébrale par rapport à une procédure placebo (sans injection de ciment). D’autres études ont même suggéré que la réalisation d’une vertébroplastie augmentait l’incidence de nouvelles fractures vertébrales. Il apparaît cependant raisonnable de continuer à réaliser ce geste chez des sujets âgés hospitalisés pour fractures vertébrales hyperalgiques, dont l’évolutivité est confirmée par IRM et qui sont résistantes aux traitements antalgiques majeurs (4).




PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE SECONDAIRE

Lorsque les douleurs ont été contrôlées, il faut débuter la rééducation fonctionnelle. Le travail en kinésithérapie doit être orienté sur les exercices en auto-agrandissement, la lutte contre la cyphose dorsale, les exercices respiratoires et la tonification des muscles paravertébraux.

En cas de douleurs persistantes, le port intermittent d’un corset de grand appareillage peut être proposé. Il doit être prescrit sur un imprimé cerfa (n° 12042*02) en précisant les niveaux vertébraux à immobiliser, le matériau, le type d’ouverture (latéral ou bivalvé), l’indication et le type de pathologie (figure 6). Réalisés sur mesure par un orthoprothésiste, ces corsets sont remboursés à 100 % par l'Assurance maladie, sans intervention des complémentaires.

PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE TERTIAIRE

Le but du traitement pharmacologique de l’ostéoporose est de prévenir la survenue de nouvelles fractures, vertébrales ou non vertébrales. Le bilan pré-thérapeutique initial doit comporter un bilan biologique et une ostéodensitométrie.

→ Biologiquement, il faut vérifier numération formule sanguine, vitesse de sédimentation, créatininémie, calcémie, phosphorémie, électrophorèse des protéines sériques, bilan thyroïdien et taux plasmatique de vitamine D. Ce bilan permet d’éliminer d’autres causes de déminéralisation osseuse, d’évaluer la fonction rénale pour adapter le traitement anti-ostéoporotique et de vérifier le statut vitaminique pour prévoir une éventuelle supplémentation en vitamine D.

→ L’ostéodensitométrie permet d’évaluer la densité minérale osseuse (DMO) lombaire et fémorale et de préciser le T-Score sur ces deux sites. Devant une fracture sévère (vertèbre, fémur, humérus, bassin) survenue en l’absence de traumatisme important, il est recommandé de traiter si le T-Score est < -1 (accord professionnel).

Traitement adjuvant vitamino-calcique

Chez les patients dont le taux de 25OHD est < 20 ng / ml, il faut prévoir une dose de charge de 50 000 UI de vitamine D3 par semaine pendant 8 semaines. Cette phase de recharge vitaminique est réduite à 4 semaines chez ceux dont le taux de 25OHD est compris entre 20 et 30 ng/ml (5). L’apport en vitamine D doit être ensuite de 800 UI/jour au long cours. L’apport de vitamine D est associé à une supplémentation en calcium quotidienne comprise entre 1 000 et 1 200 mg chez les femmes de plus de 50 ans. Les apports alimentaires en calcium doivent être privilégiés (accord professionnel). Une évaluation préalable des apports alimentaires peut être réalisée par questionnaire fréquentiel (disponible en ligne http://www.grio.org.espace-gp/calcul-apport-calcique-quotidien.php).

Traitement anti-ostéoporotique

Il vise à maintenir, voire à augmenter la DMO dans le but d’exercer une prévention secondaire, c’est-à-dire de réduire le risque de survenue de nouvelles fractures. Selon les médicaments (6), la réduction du risque de survenue d’une nouvelle fracture vertébrale se situe entre 50 et 70 % (tableau 2). Ce traitement peut faire appel à deux types d’agents, soit des inhibiteurs de la résorption osseuse (bisphosphonates, raloxifène et dénosumab), soit ostéoformateurs (tériparatide).

→ Initialement, il est recommandé de prescrire un bisphosphonate soit oral (alendronate, risédronate) ou injectable comme le zolédronate (7). Le dénosumab est prescrit en deuxième intention en cas d’intolérance ou d’échec aux bisphosphonates. Inversement, si le dénosumab est interrompu, il faut prendre un relai par bisphosphonates pendant un an pour éviter une reprise brutale de la résorption osseuse et la survenue de fractures.

→ Le tériparatide doit être réservé aux ostéoporoses vertébrales sévères avec au moins deux fractures incidentes. Ce traitement est limité à une durée de 18 mois et un relai doit être pris par bisphosphonates pour maintenir le gain osseux obtenu.

→ Le raloxifène, modulateur sélectif du récepteur aux estrogènes, est indiqué pour le traitement de l’ostéoporose vertébrale. Il doit être réservé aux femmes relativement jeunes (moins de 65 ans) ayant un risque de fracture non vertébrale faible, c’est-à-dire en l’absence des facteurs suivants : T-Score bas à la hanche, facteurs de risque de chute et antécédent de fracture non vertébrale.

Suivi sous traitement

Une réévaluation est nécessaire au bout de deux années de traitement. Il faut rechercher des évènements fracturaires, mesurer les patients, rechercher de nouveaux facteurs de risque, évaluer le risque de chute, mener un interrogatoire soigneux sur l’observance médicamenteuse et la tolérance du traitement. Une mesure de la DMO peut être proposée pour évaluer la réponse osseuse au traitement. On peut profiter de l’ostéodensitométrie pour demander une VFA (Vertebral Fracture Assessment) pour rechercher de nouvelles fractures vertébrales passées inaperçues ou une aggravation du grade de fractures qui sont déjà connues.

Le dosage des marqueurs biologiques du remodelage osseux permet une évaluation précoce de l’efficacité des médicaments inhibiteurs de la résorption osseuse et également de l’observance médicamenteuse. L’effet pharmacologique attendu est une diminution de 25 % du taux sérique des marqueurs par rapport à la valeur pré-thérapeutique.

Durée du traitement

Il est recommandé de traiter pendant 3 à 5 ans. On peut interrompre le traitement s’il n’y a pas eu de nouvelle fracture, qu’aucun nouveau facteur de risque n’est apparu et que la DMO n’a pas diminué. Le T-Score fémoral doit être supérieur à -2,5 en fin de séquence thérapeutique (8). Ces recommandations supposent donc qu’une densitométrie osseuse de contrôle doit être réalisée. Une surveillance du patient est nécessaire et une réévaluation complète s’impose après deux années de fenêtre thérapeutique.

En résumé, le traitement des fractures vertébrales ostéoporotiques est évolutif et doit être adapté en fonction du stade du syndrome fracturaire vertébral. Au stade aigu, le repos et une antalgie adéquats, voire une vertébroplastie permettent une reverticalisation et une reprise des activités. Secondairement, il est important de promouvoir l’exercice physique, la rééducation, la suppression des facteurs de risque de chute et les règles hygiéno-diététiques. Des aides à type d’orthèses du tronc sur mesure peuvent être utiles lors de cette phase de transition pour éviter un alitement trop prolongé susceptible d’aggraver la déminéralisation osseuse et le désentraînement musculaire. Ultérieurement, la mise en route d’un traitement anti-ostéoporotique est impérative pour tenter de diminuer le risque de récidive fracturaire. Dans tous les cas, une surveillance clinique, densitométrique, morphologique et biologique permet d’adapter le traitement, voire d’envisager des fenêtres thérapeutiques si le risque fracturaire paraît contrôlé.

Remerciements à M. Laurent Manissol, orthoprothésiste, directeur région Languedoc du groupe Lagarrigue, pour la fourniture de la photographie de corsets de grand appareillage.

Bibliographie

1-     NIH Consensus Development Panel on Osteoporosis. JAMA 2001 ; 285 : 785-95

2-     Bliuc D, Nguyen ND, Milch VE et al. Mortality risk associated with low-trauma osteoporotic fracture and subsequent fracture in men and women. JAMA 2009 ; 301 : 513-21

3-     Genant HK, Wu CY, van Kuijk C et al. Vertebral fracture assessment using a semiquantitative technique. J Bone Miner Res 1993 ; 8 : 1137-48

4-     Cortet B, Chastanet P, Laredo JD. Plea for continuing but rational use of vertebroplasty for osteoporotic vertebral fractures. https://doi.org/doi:10.1016/j.jbspin.2019.09.002

5-     Souberbielle JC, Cormier C, Cavalier E et al. La supplémentation en vitamine D en France chez les patients ostéoporotiques ou à risque d’ostéoporose : données récentes et nouvelles pratiques. Rev Rhum 2019 ; 86 : In press

6-     Aubry-Rozier B, Krieg MA, Lamy O et al. Nouveautés dans la prise en charge des fractures vertébrales ostéoporotiques : place de la vertébroplastie et de la kyphoplastie. Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 1417-21

7-     Eastell R, Rosen CJ, Black DM et al. Pharmacological management of osteoporosis in postmenopausal women : an endocrine society clinical practice guideline. J Clin Endocrinol Metab 2019 ; 104 : 1595-1622

8-     Briot K, Roux C, Thomas T et al. Actualisation 2018 des recommandations françaises du traitement de l’ostéoporose post-ménopausique. https://doi.org/doi:10.1016/j.rhum.2018.02.005

Liens d'intérêts

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article.


Dr Éric Thomas (PH, département de rhumatologie, CHU Lapeyronie, Montpellier – 34 295 cedex 5)

Source : Le Généraliste: 2886