Prévention

UN DÉPISTAGE DE MASSE SIMPLE QUI SAUVE DES VIES

Publié le 08/12/2017
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Une étude danoise démontre l'efficacité du dépistage combiné de l'anévrysme de l'aorte abdominale, de l'HTA et de l'AOMI sur la mortalité totale de la population âgée de 65 à 74 ans.
Anevrisme aorte abdominale

Anevrisme aorte abdominale
Crédit photo : ZEPHYR/SPL/PHANIE

Dépistage en population générale et intervention sur les maladies vasculaires chez les Danois mâles (VIVA) : un essai randomisé comparatif

Lindholt JS, S gaard R. Population screening and intervention for vascular disease in Danish men (VIVA) : a randomized controlled trial. Lancet 2017 ; 390 : 2256-65. http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(17)32250-X

CONTEXTE

Au Danemark, la seule pathologie vasculaire bénéficiant d’un dépistage de masse est l’anévrysme de l’aorte abdominale (AAA), qui a démontré son efficacité en termes de réduction de la mortalité chez les hommes âgés de plus de 65 ans et fumeurs (1). Les patients atteints d’AAA ont une probabilité multipliée par deux de décès lié à une autre pathologie cardiovasculaire (2) et 5 % à 10 % d’entre eux ont une artérite oblitérante des membres inférieurs (AOMI) asymptomatique associée (3), ce qui les expose à un haut risque de décès CV. De ce fait, il était légitime coupler le dépistage échographique de l’AAA à un dépistage de l’AOMI par l’index de pression systolique qui permet aussi de dépister l’hypertension artérielle (HTA) dans le même temps.

OBJECTIFS

Démontrer l’impact clinique du dépistage combiné de l’AAA, de l’AOMI et de l’HTA dans la population générale masculine danoise âgée de 65 à 74 ans.

MÉTHODE

Essai randomisé ayant alloué tous les habitants masculins de 19 communes danoises âgés de 65 à 74 ans à un groupe dépistage ou a un groupe témoin sans dépistage. Le critère de jugement principal était la mortalité toutes causes cinq ans après la randomisation, analysée chez tous les randomisés. Les principaux critères de jugement secondaires étaient la mortalité cardiovasculaire, celle liée à l’AAA et au cancer. Les sujets du groupe témoin et les adjudicateurs des causes de mortalité étaient en insu de la randomisation. Les patients ayant un dépistage positif de l’AAA ou de l’AOMI ont eu un second examen de confirmation un an plus tard et reçu un traitement validé si nécessaire (statine et/ou antithrombotique pour l’AOMI). Ceux ayant une HTA ont été dirigés vers leur médecin généraliste.

Le nombre d’hommes à inclure pour démontrer une réduction de 5 % de la mortalité totale était de 23 604 dans chaque groupe pour disposer d’une puissance de 90 % avec un risque alpha ≤ 0,05. L’analyse statistique a utilisé un modèle de Cox proportionnel aléatoire non ajusté.

RÉSULTATS

Parmi les 50 170 hommes éligibles au dépistage, 50 156 (99,9 %) ont été randomisés, soit 25 078 dans chaque groupe. Environ 75 % des sujets invités au dépistage (par courrier) y ont effectivement participé. Les caractéristiques des deux groupes à l’inclusion étaient comparables : âge = 69 ans, traitement hypolipémiant = 35 %, tabac = 21 %, HTA traitée = 22,5 %, diabète de type 2 traité = 10 %. Au dépistage, 3,6 % des sujets avaient une AAA, 10 % une AOMI confirmée, et 11,5 % une HTA non connue. À cinq ans, le statut vital était connu pour 99,98 % des sujets.

Durant un suivi médian de 4,4 ans, il y a eu 2 566 décès (10,2 %) dans le groupe dépisté vs 2 715 dans le groupe témoin (10,8 %) : HR = 0,93, IC 95 % = 0,88-0,98, p = 0,01, ce qui correspond à un nombre de sujets à inviter pour éviter un décès de 169 (IC 95 % = 89-1811). Il n’y a pas eu de différence sur la mortalité cardiovasculaire, ni celle liée à l’AAA ni au cancer. Dans une analyse post-hoc, il y a eu significativement moins d’hospitalisations pour AOMI et HTA dans le groupe dépisté.

COMMENTAIRES

Ce travail conduit par deux chirurgiens vasculaires est exemplaire à deux titres : la qualité de la démonstration de l’efficacité d’un dépistage combiné, simple, non invasif et bon marché sur la mortalité totale, et la capacité de l’équipe de recherche et du système de santé danois à randomiser 99,9 % de la population éligible et à connaître les causes de décès de 99,98 % de ces sujets 5 ans après. Jusqu’à ce jour, un seul essai randomisé avait démontré l’efficacité du dépistage de l’AAA (4). Aucun autre dépistage en population générale (5) n’a démontré un tel effet (même s’il reste modeste).

En pratique, 3,6 % (3,3 % avec diamètre < 5,5 cm et 0,3 % > 5,5 cm) des 25 000 hommes inclus dans le groupe dépistage (dont 75 % de non-fumeurs) avaient un AAA asymptomatique. Compte tenu du bénéfice démontré, de l’absence de sur-diagnostic et de sur-traitement inapproprié dans cet essai, de la simplicité de la procédure (1 doppler + 1 tensiomètre), de son innocuité et de son faible coût, nos autorités sanitaires devraient réfléchir à le proposer à nos seniors.

Bibliographie

1- Guirguis-Blake JM, Beil TL, Senger CA, et al. Ultrasonography screening for abdominal aortic aneurysms : a systematic evidence review for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2014; 160: 321-29.
2- Lindholt JS. Relatively high pulmonary and cardiovascular mortality rates in screening-detected aneurysmal patients without previous hospital admission. Eur J Vasc Surg 2007; 33: 94-9.
3- Alahdab F, Wang AT, Elraiyah TA, et al. A systematic review for the screening for peripheral arterial disease in asymptomatic patients. J Vasc Surg 2015; 61: 42S-53S.
4- Thompson SG, Ashton HA, Gao L, et al., for the Multicentre Aneurysm Screening Study (MASS) Group. Final follow-up of the MASS randomized trial of abdominal aortic aneurysm screening. Br J 
Surg 2012; 99: 1649-56.
5- Saquib N, Saquib J, Ioannidis JPA. Does screening for disease save lives in asymptomatic adults? Systematic review of meta-analysis and randomized trials. International Journal of Epidemiology 2015; 1-14. Le Généraliste 2015 ; 2715.

 

Dr Santa Félibre (généraliste enseignant, Paris)

Source : lequotidiendumedecin.fr