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Dossier

Dérives sectaires

Georges Fenech, ancien président de la Miviludes : « Attention à ne pas baisser la vigilance »

Par Amandine Le Blanc - Publié le 09/10/2020
Georges Fenech, ancien président de la Miviludes : « Attention à ne pas baisser la vigilance »


Raphaël Rippe

Les dérives sectaires dans le domaine de la santé sont devenues le premier sujet de signalement à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui a été placée en juillet dernier au sein du ministère de l’Intérieur. Le foisonnement des méthodes complémentaires et alternatives – auxquelles auraient recours quatre Français sur dix –, est un terreau fertile pour diverses dérives thérapeutiques. Dans Gare aux gourous*, paru fin août, Georges Fenech, ancien député LR du Rhône et président de la Miviludes de 2008 à 2012, alerte sur les dangers potentiels de ces pratiques et dénonce la complaisance des pouvoirs publics à leur égard. Entretien et extraits du livre.

Vous sortez un livre pour alerter sur les dérives sectaires en santé. Avez-vous le sentiment que le phénomène a gagné en envergure ces dernières années ?

Georges Fenech : Ce phénomène est toujours en expansion. Les dérives thérapeutiques pullulent partout. Sur Internet, dans les conférences, dans des salons… Mais surtout, depuis quelque temps, j’observe une baisse de vigilance des pouvoirs publics face à ce phénomène. De nombreuses facultés, notamment de médecine, délivrent des pseudo-diplômes de médecines non conventionnelles. Cela me paraît curieux et préjudiciable pour les futurs patients de ces élèves. Au sein des hôpitaux, notamment à l’AP-HP, nous avons laissé entrer des pratiques non conventionnelles comme la kinésiologie, le reiki, la naturopathie. Autant de méthodes qui n’ont jamais reçu le moindre commencement d’une preuve scientifique. Le ministère de la Santé lui-même a organisé un grand colloque sur les bienfaits de la méditation en pleine conscience pour tout un tas de pathologies. Il faut ajouter à cela la disparition du groupe d’études sur les sectes à l’Assemblée nationale, que je présidais jusqu’en 2017. Mon livre est une piqûre de rappel pour dire : attention à ne pas baisser la vigilance.

Au-delà d’un « laisser-faire », vous observez une validation voire la promotion de certaines médecines alternatives par les pouvoirs publics ?

G. F. : Oui car il ne s’agit pas d’une infiltration insidieuse. Le tapis rouge a été déroulé à toutes ces disciplines, malgré les mises en garde du ministère de la Santé. Par exemple, il alerte sur les dangers de la mésothérapie alors que dans le même temps, l’AP-HP laisse entrer des mésothérapeutes dans ses services. Il y a une incohérence et une tolérance pour ces pratiques, au prétexte qu’aujourd’hui il y a un engouement pour celles-ci. Or, en réalité, elles peuvent être un point d’entrée dans des communautés thérapeutiques où s’exerce une forme d’emprise médicale ou pseudo-médicale qui peut conduire le patient à devenir un adepte.

Selon les derniers rapports de la Miviludes, les médecines complémentaires et alternatives représentent le domaine de signalement numéro 1. Comment la santé est-elle devenue un terrain propice aux dérives sectaires ?

G. F. : La problématique santé se retrouve dans toutes les organisations sectaires. C’est souvent le point d’entrée. Par exemple, dans l’Église de scientologie, on trouve une promotion de la dianétique, une « science » de santé mentale. Les scientologues mènent d’ailleurs un combat contre les psychiatres, qu’ils considèrent comme des criminels. Il existe des centres de dianétique qui utilisent des électromètres pour faire des pseudo-analyses, des cures de purification… Chez les témoins de Jéhovah, il y a le refus de transfusion sanguine. Dans l’anthroposophie, on trouve des courants antivaccins. D’autres méthodes se basent sur les vertus supposées du gui. Il ne s’agit pas seulement de soigner ou guérir, y compris les pathologies lourdes, mais également de tendre vers la santé parfaite, l’éternelle jeunesse. Il faut être encore plus fort, toujours plus purifié dans son corps. On tombe alors dans une idéologie, une vision du monde qui s’éloigne de la science médicale.

Vous avez été président de la Miviludes de 2008 à 2012. Ces sujets étaient-ils aussi présents à l’époque ?

G. F. : De mon temps déjà, à peu près 40 % des signalements concernaient des personnes qui avaient connu des ruptures de soins conventionnels, accompagnés de ruptures familiales, des pertes de chance de survie, des décès suite à l’arrêt de chimiothérapie par exemple. Tout cela est une réalité. J’avais publié un guide sur la santé et passé des partenariats avec le ministère de la Santé. À cette époque, nous avons créé le Groupe d’appui technique (GAT), qui recense et évalue ces pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique. Malheureusement, je déplore que très peu l’aient été. Il y en a eu neuf, environ une par an, alors qu’on en dénombre 400. Malgré tout, ce groupe a le mérite d’exister. La kinésiologie par exemple a été évaluée, il y a une position de l’Inserm et du groupe d’appui pour dire attention.

Alors qu’on constate une montée des dérives thérapeutiques, l’intégration au ministère de l’Intérieur de la Miviludes, auparavant rattachée au Premier ministre, est-elle dommageable ?

G. F. : Je l’ai regretté. Mais j’ai depuis eu des assurances du gouvernement, notamment de Marlène Schiappa, qui m’a assuré de sa volonté de poursuivre cette lutte contre les dérives sectaires. Cette évolution de la Miviludes est sans doute moins grave que je ne l’avais cru, à condition qu’on lui donne vraiment les moyens de continuer ses missions, en nombre d’effectifs et en capacité d’action.

Et l'homéopathie dans tout ça ?

Parmi les médecines alternatives répertoriées par Georges Fenech dans son ouvrage, on retrouve l’homéopathie. Cheval de bataille médiatique du mouvement anti-fake med, son déremboursement total en 2021 a été acté par le ministère de la Santé. Une bonne chose pour l’homme politique. « L’homéopathie est une médecine qui n’a jamais été éprouvée scientifiquement, quoi qu’en disent certains. Tout cela relève de la croyance, chacun est libre d’y adhérer, beaucoup de Français prennent de l’arnica, cela peut avoir un effet placebo, pourquoi pas. Mais pourquoi la société devrait-elle prendre en charge une médecine qui n’a jamais été prouvée ? C’est la raison pour laquelle le remboursement a été arrêté. Il ne s’agit pas d’interdire l’homéopathie ou de considérer que c’est une dérive sectaire. C’est simplement une médecine parallèle qui peut apporter un réconfort à ceux qui y croient. »

Internet et les réseaux sociaux contribuent-ils à développer ces dérives thérapeutiques ?

G. F. : Sur Internet, vous trouvez des offres dans tous les domaines et les gourous thérapeutiques, que j’appelle les « dérapeutes », sont passés maîtres dans l’utilisation des réseaux. Ils s’infiltrent dans des discussions et forums en communiquant leur lien, créent des communautés où chacun partage ses expériences. Cela alimente une forme d’engouement et d’entraînement.

L’engouement pour ces médecines non-conventionnelles est-il lié à une remise en cause toujours plus forte de la vérité scientifique ?

G. F. : Il faut rappeler qu’en 2002, la loi Kouchner a réaffirmé qu’on peut choisir de se soigner ou non. Ceux qui veulent faire appel à des médecines complémentaires sont dans leur droit. Si cela leur apporte un réconfort, tant mieux. Je dis simplement qu’il faut savoir où l’on met les pieds et se renseigner avant de s’engager dans des protocoles thérapeutiques qui peuvent emmener les patients jusqu’à des points de non-retour. Pourquoi cet engouement ? D’une part il y a un phénomène de fond qui nous vient du New Age, des États-Unis. Mais il y a aussi une crise de confiance dans la médecine conventionnelle à la suite de grands scandales, que ce soit le sang contaminé ou le Mediator. On le voit encore aujourd’hui avec les querelles autour du Covid-19, des réseaux complotistes se développent. Des charlatans s’engouffrent dans cette crise de confiance et en tirent profit. Car au fond, ce qui les motive, c’est l’argent. Nous sommes sur des masses financières très importantes. Ils vendent des livres, des thérapies, des stages, des séminaires, de plus en plus chers, qui vont parfois engloutir tout un patrimoine familial.

Que peuvent faire les pouvoirs publics face à cette remise en cause permanente ?

G. F. : Le mouvement de fond est irrésistible aujourd’hui. Nous avons tellement laissé monter en puissance ces nouvelles médecines que l’on peut se demander si le combat n’est pas déjà perdu. Mais l’important est d’informer. Il y a trop de drames et cela n’arrive pas qu’aux autres. Des esprits bien formés peuvent aussi être touchés. Steve Jobs a sombré entre les mains d’un pseudo-chirurgien californien pour soigner son cancer du pancréas avec des méthodes douces. Le patron d’Apple serait mort en 2011 pour avoir refusé pendant plusieurs mois une opération chirurgicale conseillée quelques années auparavant.

Selon vous, l’essor de ces mouvances est aussi la conséquence d’un échec de la médecine conventionnelle, notamment dû à une perte d’humanisme, d’empathie de sa part. Pouvez-vous développer ?

G. F. : La médecine doit s’interroger. La souffrance psychologique, la peur des patients n’est pas suffisamment prise en compte par cette science qui soigne l’organe. Les pseudo-thérapeutes savent très bien appliquer des méthodes dites holistiques. Toute la personnalité de l’individu, qu’elle soit physique ou psychologique, est prise en compte. C’est aussi ce qui fait leur succès. Il est impératif que la médecine réfléchisse aux compléments qu’elle doit apporter elle-même à cette souffrance.

Des médecins eux-mêmes tombent-ils dans ces dérives thérapeutiques ?

G. F. : Malheureusement, un nombre non négligeable de médecins versent dans des mouvements thérapeutiques alternatifs (Georges Fenech dénombre dans son livre environ 4 000 médecins, ndlr). Ils ne le disent pas ouvertement, mais prescrivent d’autres méthodes à côté de la médecine conventionnelle. Certains se font même radier du conseil de l’Ordre pour pouvoir pratiquer exclusivement ces médecines parallèles. C’est inquiétant car le patient a confiance en son médecin et peut se laisser abuser. Ce sont peut-être des médecins frustrés de voir que la médecine ne peut pas tout soigner aujourd’hui et qui cherchent, mais il faut que cette recherche soit encadrée, scientifique, reconnue.

À l’inverse, quelle est la conduite à tenir pour un médecin qui s’apercevrait qu’un de ses patients est sous l’emprise d’une dérive thérapeutique ?

G. F. : Il faut être très psychologue, ne pas rompre le dialogue avec le patient, et l’amener à bien réfléchir à ce qu’il fait, à peser le pour et le contre. Ne pas être dans un dialogue de fermeté, de critiques sans nuance. Les gens sous emprise désespèrent, ce n’est donc pas la peine d’ajouter à leur souffrance, mais il faut les amener petit à petit à comprendre que leur intérêt est dans la médecine conventionnelle, celle de Pasteur et de grands médecins qui font des prodiges.

*Gare aux gourous. Santé, Bien-Être, éditions du Rocher, 272 pages, 18 euros

Morceaux choisis

« Lorsque le thérapeute autoproclamé prétend donner à la maladie une cause autre qu’organique, en recherchant d’éventuels chocs traumatiques indépendants des facteurs génétiques et physiques, le risque de charlatanisme apparaît. Lorsque la médecine conventionnelle et les prescriptions médicamenteuses sont rejetées en bloc au profit d’une offre psychothérapeutique à la carte, les dérives sont à redouter. »

« Internet est devenu le « Web-openbar » des charlatans et des prodiges médicaux les plus extravagants. Pour juguler ce déferlement sur la Toile, le Parlement a contraint les principaux sites internet consacrés à la santé (ex. : doctissimo.fr) à faire figurer sur leur page d’accueil des liens avec des sites institutionnels comme celui de la Haute Autorité de santé, proposant un système de certification des sites dédiés à la santé. »

« Le développement des outils numériques reste une source inépuisable de recrutement. On constate que des groupes protéiformes se créent sur les réseaux sociaux et que les participants s’échangent leurs expériences. Ce processus d’isolement virtuel favorise encore davantage l’emprise sur des individus déjà fragilisés par la maladie. »

« Il n’est pas illégitime de s’interroger sur les véritables motivations d’une telle décision édictée par les fossoyeurs de la Miviludes. S’agit-il de faire des économies budgétaires ? La Miviludes ne coûte que 500 000 euros par an ! S’agit-il de rendre ses missions plus opérationnelles ? On peut en douter. Reste, disons-le tout net, la forte suspicion d’un entrisme à caractère sectaire au plus haut niveau de l’État, qui est parvenu à amoindrir une institution pourtant reconnue de tous, mais qui présentait sans doute une menace pour le marché colossal du charlatanisme thérapeutique. »

« Au total, quelque quatre-vingt-dix diplômes universitaires relatifs aux médecines alternatives sont ainsi recensés en France, dont les deux tiers obtenus dans des facultés de médecine. Il est vrai que, devenues autonomes depuis la loi Pécresse, ces universités y ont déniché un filon très lucratif au mépris, hélas, des données acquises de la science. »

« Le Pr Jean-Yves Fagon et le Dr Catherine Viens-Bitker ont rédigé un rapport en mai 2012 sur l’usage des médecines dites « complémentaires » au sein de l’AP-HP. En dehors de cinq pratiques qui ne posent pas de difficultés (l’acupuncture, l’hypnose, la relaxation, l’ostéopathie et le toucher massage), on découvre, non sans stupeur, l’introduction de méthodes plus ou moins fantaisistes, telles que l’art-thérapie, l’aromathérapie, la balnéo-thérapie, l’électrothérapie, l’EMDR (Eye Mouvement Desensitization and Reprocessing), la luminothérapie, la naturopathie, l’olfactothérapie, le qi gong, la sophrologie, la réflexologie plantaire, le shiatsu, le yoga, le tai chi, l’auriculothérapie, la mésothérapie, etc. Alors même que des études très critiques à l’égard de ces pratiques existent déjà dans le monde, la directrice générale de l’AP-HP, Mireille Faugère, a clairement annoncé, lors d’un colloque qui s’est tenu le 16 septembre 2011, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière : "Le but est de faire de ces thérapies des actes du quotidien, pour la santé de nos patients". »

Dossier réalisé par Amandine Le Blanc

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