À Angers, l’arrivée de Vedici sème la zizanie

Publié le 21/02/2013
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IL Y A trois ans, un chirurgien angevin contacte le groupe Vedici. Il souhaite passer la main, propose de céder ses actions. Regroupées sur deux pôles, prospères, les cliniques angevines ont bonne réputation. Toutes sont indépendantes, à l’instar de la clinique Saint-Léonard (105 lits), où exerce le chirurgien. Tenté d’entrer à son capital, Vedici propose gros. Quatre fois le prix mis sur la table par certains praticiens.

Une quinzaine de médecins actionnaires acceptent l’offre. L’un d’eux avait acheté ses actions 300 000 francs, il les revend 200 000 euros. « Le juste prix. Une vie de travail », dit-il. Le plus gros chèque avoisinerait les 800 000 euros. Au clan des « vendeurs », s’opposent les « anti-Vedici », farouchement opposés à l’irruption d’un groupe national sur la scène locale. C’est dans un climat tendu, sous l’œil d’un mandataire de justice, que se déroule une assemblée générale extraordinaire en avril 2012. Coup de théâtre : l’ancien conseil d’administration est débarqué, Vedici récupère 42 % du capital de la clinique Saint-Léonard.

Diabolisation ?

Depuis lors, un imbroglio judiciaire divise les médecins de l’établissement. La vente n’aurait-elle pas respecté le pacte d’actionnaires liant les chirurgiens ? C’est l’avis du Dr Guy Raimbeau, PDG de Saint-Léonard jusqu’en 2010. À charge pour le tribunal de commerce, qui a placé des actions sous séquestre, d’arbitrer le litige. Le Dr Raimbeau en a fait son combat : « Les opérateurs financiers se présentent avec leurs plus beaux habits. Au début ils apportent du matériel chirurgical, une belle communication. Puis ils serrent les boulons ». Sa crainte : que les médecins perdent la main sur les investissements, les recrutements, les partenariats, pour devenir des « outils de production » au service du fonds 3I (actionnaire de Vedici) « ayant droit de veto sur tout et pouvant être racheté par un Indien du jour au lendemain ». À un modèle « pollué par l’argent », le chirurgien préfère l’actionnariat 100 % médical du centre de la main qu’il dirige. Pas de dividende, les gains sont réinvestis dans la structure. « À Saint-Léonard, certains veulent toucher le pactole et casser la roue », déplore le chirurgien.

Le président - et cofondateur - de Vedici regrette cette diabolisation. « Les contacts sont établis à Angers depuis trois ans. Nous ne sommes pas là pour faire un coup, mais pour nous investir sur le long terme ». Pourquoi Angers ? En raison du « potentiel » local. Jérôme Nouzarède n’exclut pas d’entrer au capital d’autres cliniques angevines - Vedici, présent sur huit régions, rachète deux à quatre cliniques par an. Mais les esprits n’étant pas mûrs, il avance prudemment. Et appelle les récalcitrants à distinguer défense d’un modèle et logique de pouvoir.

Se protéger des attaques.

Le Dr Henry Parent, chirurgien du rachis, est l’un des administrateurs à avoir été débarqués l’an dernier. Conscient que « le médecin qui joue au DRH, c’est fini », il ne veut pas qu’un gestionnaire parisien guide son coup de bistouri : « Je fais quelques scolioses chez des handicapés même si ça ne rapporte pas assez. Dans un groupe, l’éthique est différente. On me demandera peut-être d’arrêter ». Les transferts de lits, le choix des activités rentables, relèvent du phantasme, assure Jérôme Nouzarède. Pas convaincu, le Dr Parent voit là l’occasion d’écrire une page nouvelle : « Notre structure est saine et nous voulons garder la maîtrise de notre environnement. Il faut réinventer le modèle en rémunérant l’actionnariat médical ».

La Mutualité Anjou-Mayenne est sur les rangs pour reprendre les actions de Saint-Léonard, si le tribunal venait à casser la vente. Son président honoraire, Alain Olivier, voudrait que les cliniques d’Angers créent une holding. Sa hantise : que soient brisés les partenariats entre les deux pôles hospitaliers privés et le CHU. La venue de Vedici n’est pas perçue d’un bon œil par la clinique de l’Anjou (359 lits), qui s’espère protégée des attaques par son actionnariat stable et concentré. Mais qui peut prédire l’avenir ? Son président, le Dr Patrick Locufier, ne voit qu’une parade : « Se regrouper à l’échelon local ou régional pour mutualiser les moyens ».

Ralliés à la cause, le président UMP du conseil général et un maire PS ont écrit aux médecins de la clinique Saint-Léonard quelques jours avant l’AG d’avril 2012 pour leur demander... de résister aux « sirènes lucratives » et à « la cour insistante » de Vedici. « Nous voulons conserver une médecine humaine », explique Marc Goua, député-maire (PS) de Trélazé, où est implanté le Village santé dont Saint-Léonard fait partie.

La fin des cliniques « à la papa ».

L’actuel PDG de la clinique Saint-Léonard qualifie le combat d’arrière-garde. À 66 ans, le Dr Jean-Yves Fraboulet admet que son opinion a évolué : « Il y a dix ans, Jérôme Nouzarède avait approché une autre clinique à Angers (Saint-Joseph). Je m’étais opposé à sa venue. Mais nous vivons un changement d’époque. Un groupe est mieux placé pour négocier avec les tutelles. L’argent n’est pas la motivation première des vendeurs, qui veulent confier la gestion de l’établissement à des spécialistes ». Un chirurgien orthopédiste de Saint-Léonard, actionnaire et administrateur, confie être las du cumul des casquettes. « Les petites cliniques à la papa, c’est fini, tranche le Dr Alain Monnod. On ne peut produire des soins de qualité, se former, être innovant, et gérer une PME - les conflits, le patrimoine, la société d’exploitation... Dernièrement, on s’est pris une amende de 300 000 euros car le circuit du médicament n’était pas conforme : cela pénalise l’intéressement du personnel et l’achat de matériel ». L’évolution du secteur, il la qualifie d’« inéluctable ».

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9220