Après la « privatisation » d’un étage à l’hôpital Ambroise-Paré par un émir du Golfe

AP-HP : la filière VIP de patients étrangers fortunés crée la controverse

Publié le 26/05/2014
Article réservé aux abonnés
1401110723524934_IMG_130348_HR.jpg

1401110723524934_IMG_130348_HR.jpg
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Si la privatisation par un émir d’un étage dans un hôpital public a provoqué une polémique, l’accueil de riches personnalités étrangères à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) n’a pourtant rien de nouveau. Cet aide-soignant d’un hôpital parisien a connu l’époque des lits privés, lui-même s’est occupé de chefs d’État étrangers. « On leur accordait 2 ou 3 chambres, l’AP-HP détachait un cuisinier. Rien à voir avec le commun des mortels ».

Malgré ce vécu, l’aide-soignant se dit scandalisé par l’accueil réservé à l’émir du Golfe et sa suite. « On a basculé dans un extrême ». Ce cadre infirmier à la Pitié-Salpêtrière bouillonne également : « Repeindre un couloir, c’est soit refusé, soit reporté. Combien ont coûté les aménagements pour l’émir ? ».

Personnel trié, parking embouteillé par les limousines, cirque dans la rue... : les versions varient, mais l’émir, à l’évidence, a bénéficié d’un traitement hors normes. À l’aide d’un gros chèque.

Le soutien de Marisol Touraine, et plus encore, les mots du directeur général de l’AP-HP (« j’assume ce côté "Robin des bois" à un moment où nous avons besoin de tous les moyens pour soigner les plus modestes (...) »), ont accentué le malaise au sein de l’institution. La nouvelle filière surfacturée mise en place par l’AP-HP (voir encadré) n’est pas comprise de tous. Environ 1 000 riches patients étrangers y ont déjà été accueillis sur les quatre premiers mois de l’année et l’AP-HP pense en recevoir 3 000 en tout d’ici à la fin de l’année.

Ne pas confondre l’hôpital et l’hôtel Crillon

Certains médecins engagés dans cette filière tiennent à se démarquer : « Louis XIV en 2014, cela n’existe pas », déclare le Pr Nicolas Thiounn, urologue à Pompidou, l’un des quatre hôpitaux pilotes. Plusieurs hauts dignitaires opérés à son actif par le passé, et jamais une aile privatisée. « J’ai opéré quelques patients via la nouvelle filière. Le premier venait du Koweit. Sa femme a dormi à ses côtés, rien de plus. Se priver de cet argent et de la renommée pour l’AP-HP serait dommage. Mais il ne doit pas y avoir de favoritisme ».

Cet autre chirurgien de Pompidou, orthopédiste, opère souvent des gens du Golfe. Lui trouve la polémique stérile : « Martin Hirsch a été maladroit sur la communication, mais il n’y a pas de plan B, et il faut bien trouver de l’argent. Chaque nuit surfacturée rapporte 2 300 euros net pour l’AP-HP sans que ça coûte un euro à la Sécu ».

La CME divisée

Pour ce tarif, selon les cas, l’AP-HP propose un taxi à l’aéroport, la traduction du compte-rendu médical, de l’interprétariat. Cette soignante maniant l’arabe est souvent sollicitée. Les exigences des patients étrangers VIP, elle connaît. Mais son service, jure-t-elle, ne déroulera jamais le même tapis rouge qu’Ambroise-Paré. « Les cadres et parfois les chirurgiens rappellent les règles fermement. Des patients odieux ont eu une sortie anticipée ».

L’affaire de l’émir divise la Commission médicale d’établissement de l’AP-HP. Son président, le Pr Loïc Capron, doute qu’un CHU puisse consacrer 8 ou 9 lits à un seul malade sans incidence sur les autres prises en charge. « Ceux qui payent plus cher doivent être traités comme les autres », martèle-t-il. « Assurons-nous simplement qu’aucun patient n’a été, dans cette histoire, pénalisé dans sa prise en charge », réagit ce chirurgien membre de la CME. Vite, débattons du financement privé à l’hôpital public, lui répond un confrère.

Delphine Chardon

Source : Le Quotidien du Médecin: 9330