Après les accusations d'une médecin, un #MeToo à l'hôpital ?

Publié le 12/04/2024
Article réservé aux abonnés

Au lendemain des accusations de l’infectiologue Karine Lacombe sur les agissements d'un urgentiste « prédateur » sexuel, la parole se libère dans le monde hospitalier où perdure une tradition d'omerta.

Crédit photo : SYSPEO/SIPA

Dans une enquête de Paris Match publiée mercredi, la Pr Karine Lacombe, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, a accusé le médiatique urgentiste Patrick Pelloux de « harcèlement sexuel et moral ».

En octobre, elle avait déjà décrit dans un livre – à l'époque sans donner son nom – le « regard concupiscent, les mains baladeuses » et le « comportement empreint de domination » de ce médecin senior, dont la réputation était déjà « bien établie ». Le Dr Patrick Pelloux a assuré dans Paris Match n'avoir « jamais agressé personne » mais reconnu avoir été « grivois » dans le passé.

Le syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP) a lancé vendredi un appel à témoignages. Ils se multiplient déjà sur les réseaux sociaux sous le hashtag #Metoohopital.

38 % des étudiantes en médecine disent avoir subi du harcèlement sexuel en stage

« Depuis 48 heures les témoignages affluent », confirme Kahina Sadat, vice-présidente de l'Association nationale des étudiants en médecine (Anemf). « Ce n'est pas une surprise », dit-elle. Une enquête de l'Anemf, réalisée en 2021, montrait déjà l'omniprésence et la banalisation de ces violences : 38,4 % des étudiantes en médecine disaient avoir subi du harcèlement sexuel pendant leurs stages hospitaliers, 49,7 % des remarques sexistes, et 5,2 % des « gestes déplacés », entre mains aux fesses, attouchements et autres « gestes sexuels ».

« On le dénonce depuis des années », souligne Pauline Bourdin, représentante de la Fnesi, le principal syndicat des étudiantes infirmières, qui avait aussi mené une enquête en 2022. Une aspirante infirmière sur six assurait avoir été victime d'agression sexuelle au cours de sa formation, essentiellement à l'hôpital. Les victimes décrivaient des « mains sur la cuisse », des « massages » ou « baisers » non désirés de collègues et maîtres de stage. La plupart se taisent car « à l'hôpital, il y a une forte omerta », des équipes soudées qui parfois « exercent une forte pression pour que rien ne sorte » et « des directions qui parfois couvrent ces agissements », ajoute-t-elle.

La culture carabine banalise le sexe

La médecine souffre « d'une culture carabine » qui « banalise le sexe pendant les études » et « expose à un humour sexiste », commente Florie Sullerot, présidente de l'Intersyndicale nationale des internes de médecine générale (Isnar- IMG). Dans certains internats, les étudiants mangent devant des fresques obscènes, pouvant représenter « jusqu'à des scènes de viol », décrit-elle. S'ajoute une « forte hiérarchie », qui place généralement le pouvoir entre les mains des hommes. L'ensemble crée « un climat favorable » aux violences, même si la féminisation de la profession « libère » progressivement la parole.

Cette omerta, Cécile Andrzejewski, journaliste, auteure de Silence sous la blouse, l'explique en partie à cause du dévouement qui anime une partie du personnel. « Imaginons une femme qui travaille dans un service d'oncologie pédiatrique, qui voit des enfants malades », elle va se dire : « oui, mon chef me met des mains aux fesses mais par rapport à ce que vivent mes patients ce n'est pas si grave. Il y a une espèce d'abnégation, à l'hôpital depuis des années », rapporte-t-elle.

« Il y a cette idée persistante que comme on s'occupe de la mort, de choses graves, il faudrait être libéré, sans tabou sur le corps, mais du coup c'est “no limit” », analyse aussi Delphine Giraud, co-présidente de l'association nationale des sages-femmes orthogénistes (ANSFO).

Pour Frédéric Valletoux, aucun écart ne doit être toléré

« Le sexisme et les violences sexuelles n'ont pas leur place à l'hôpital », a commenté vendredi sur X (ex-Twitter) le ministre de la Santé Frédéric Valletoux, promettant de réunir rapidement « associations, employeurs et professionnels » pour « travailler sur une réponse globale et ferme ».

C.D. (avec AFP)

Source : lequotidiendumedecin.fr