La recomposition du premier syndicat de médecins libéraux

Après douze ans de mandat à la tête de la CSMF, Michel Chassang quitte la scène

Publié le 13/03/2014
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La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) s’apprête à remanier son management. Après le Dr Luc Duquesnel, propulsé aux manettes de la branche généraliste (UNOF) en octobre dernier, la Conf’ élit ce week-end un nouveau chef de file des spécialistes (UMESPE). Et le 22 mars, le premier syndicat médical changera de président avec le départ programmé de Michel Chassang. Cette nouvelle donne ne devrait pas entraîner de virage idéologique majeur, le syndicat ayant adopté à l’unanimité son projet stratégique pour les prochaines années. Mais ce turn-over sera suivi très attentivement par le monde de la santé, l’assurance-maladie et le gouvernement.

Il a porté pendant douze ans la parole des médecins. Il était le premier interlocuteur du gouvernement, des parlementaires, de l’assurance-maladie et des médias. Samedi 22 mars, le Dr Michel Chassang ne sera plus président de la CSMF. À 58 ans, le généraliste troquera ce costume qui lui semblait taillé sur mesure. Son départ ouvre une nouvelle page pour la Conf’ dont les Drs Jean-François Rey et Jean-Paul Ortiz, deux spécialistes, se disputent le leadership.

Rien ne prédestinait ce fils de garagiste d’Aurillac à devenir le leader du premier syndicat médical français. Il aurait pu d’ailleurs ne jamais être médecin. Ses parents souhaitaient qu’il reprenne l’affaire familiale. Mais déjà forte tête, il ne se voyait pas réparer des voitures. Plutôt le corps humain.

Pion et carabin studieux

Le bac en poche, le jeune Chassang part suivre ses études de médecine à Toulouse où il rencontre Michel Combier, de deux ans son aîné, qui deviendra lui aussi syndicaliste au niveau national. Pour payer ses études, il enchaîne les petits boulots. Il est pion dans l’école Sainte-Barbe. « Il avait l’ambition de réussir ses études, se souvient son acolyte toulousain. Il a eu beaucoup de mérite car il n’est pas né avec une cuiller d’argent dans la bouche ».

Michel Chassang est un carabin studieux. Pas le temps de s’engager dans une association étudiante ou un parti politique. C’est seulement une fois son diplôme obtenu que le docteur se sent l’âme d’un syndicaliste. « Les conditions n’étaient pas bonnes pour m’installer, se souvient-il. Je voulais faire quelque chose. » Jeune généraliste, il remplace un médecin rural, le Dr Jean Descoeur à Anglards-de-Salers, également président de la CSMF du Cantal. « J’ai suivi son activité syndicale et je lui ai succédé très vite », se souvient Michel Chassang près de 30 ans plus tard.

Dans les pas de Maffioli, les combats contre la maîtrise « comptable »

C’est l’époque des premiers faits d’armes. Les généralistes mènent la vie dure au conseil général et obtiennent un meilleur salage des routes enneigées. Les premières grèves contre les enveloppes globales que le gouvernement veut imposer dans le cadre de plans d’économies serviront de tour de chauffe.

Alors que la CSMF subit la scission d’une partie de ses généralistes, partis créer MG France, il reste dans le giron confédéral et y grimpe les échelons quatre par quatre.

En 1993, Michel Chassang devient président des généralistes de l’UNOF. Au cours des dix « années sombres », marquées par le plan Juppé et les divers combats contre la régulation comptable, il forme un tandem efficace avec le Dr Claude Maffioli, le président pugnace de la CSMF. Il découvre surtout l’univers des négociations conventionnelles et affectionne les jours et les nuits de discussion pied à pied avec l’assurance-maladie. Si ces rounds de négociations sont souvent comparées à une scène de théâtre, Michel Chassang est indéniablement un grand acteur. Tout au long de sa carrière de leader syndical, il se délectera de ces apartés et conciliabules où se joue le sort de la médecine libérale, des coups de fil avec l’avenue de Ségur, Matignon ou l’Élysée et des séances de décryptage avec la presse où il est capable de formater son discours pour l’AFP, une radio, une télévision ou la presse professionnelle.

Sens aigu de la formule

Son plus grand souvenir de syndicaliste, il le vivra en 2002 quand la profession obtient, alors qu’il vient d’être élu président de la CSMF, la consultation à 20 euros, la revalorisation des visites et la fin de l’obligation des gardes. Avant ce résultat, le syndicaliste a contribué à lancer les semaines de 35 heures dans les cabinets médicaux, puis les ponts et semaines « sans toubibs ». La France de la santé découvre alors un syndicaliste au verbe haut. La presse se délecte de ce bon client, toujours disponible. « Après les réquisitions et le "service de garde obligatoire", le gouvernement continue sur le mode répressif et envoie les chiens en faisant appel aux directeurs de CPAM les plus zélés pour bouffer du médecin », déclare-t-il au « Quotidien » en mars 2002, au plus fort du conflit.

Pendant une décennie, il ne cesse de cibler les « technocrates » loin du terrain, les caisses tatillonnes, l’hôpital dispendieux, l’ONDAM insuffisant. Au risque d’user certaines formules comme « la médecine de ville ne doit pas être la variable d’ajustement budgétaire...».

Pour remplir ses fonctions, le syndicaliste n’exerce plus qu’un jour par semaine et se spécialise dans une niche : l’aptitude au permis de conduire. « Le syndicalisme, c’est sans parachute doré, clame-t-il. On sacrifie une clientèle et tout peut s’arrêter à tout moment ». Le Dr Chassang assure avoir gagné moins qu’un médecin en exercice. Mais son agenda est tout aussi débordant, entre réunions, colloques, entretiens et sollicitations médiatiques.

« Mussolini du Cantal »

Bourreau de travail, il est rivé à son ordinateur, affirme recevoir 1 000 mails par jour. Il connaît ses dossiers sur le bout des doigts. Cette capacité de travail a fait de lui au fil des ans un acteur incontournable du secteur de la santé. Il a siégé dans d’innombrables instances telles que le Haut conseil pour avenir de l’assurance-maladie, la Conférence nationale de santé, le CNPS, l’UNPS... L’Université d’été de la CSMF est désormais un rendez-vous annuel prisé des décideurs, ministres, industriels et experts du secteur.

Cette omniprésence mais aussi son caractère autoritaire lui ont valu quelques inimitiés. Un confrère syndicaliste l’a un jour gratifié du sobriquet peu flatteur de « Mussolini du Cantal ». Sur la Toile et les réseaux sociaux, les « médecins pigeons » l’ont pris pour cible favorite depuis quelques années. Mais le Dr Chassang a toujours été soutenu par ses troupes et respecté des pouvoirs publics.

« Pas de réforme possible sans la CSMF », a-t-il pour habitude de proclamer. Il a signé les deux dernières conventions et accompagné des réformes majeures : la mise en place du médecin traitant en 2005, la généralisation du paiement à la performance (ROSP) ou la régulation des dépassements d’honoraires à la faveur du contrat d’accès aux soins (CAS). Mais pour l’ancien député UMP du Bas-Rhin Yves Bur, Michel Chassang est resté « conservateur, arc-bouté sur des positions idéologiques ». « Sur la maîtrise médicalisée, l’encadrement des dépassements ou l’exercice regroupé, on n’a pas avancé au bon rythme pour moderniser le système de santé, tance le parlementaire. Les évolutions se sont imposées à lui... ».

Avec les ministres, le meilleur et le pire

Ce corporatisme argumenté fut une de ses forces mais, revers de la médaille, peu de jeunes ou de femmes ont intégré les instances confédérales. Avec les patients, les relations furent parfois crispées.

L’ex-président du collectif interassociatif sur la santé (CISS), Christian Saout, s’en souvient, lui qui fut poursuivi par la CSMF et condamné à lui verser un euro de dommages et intérêts après avoir accusé les médecins de détourner les aides à l’informatisation pour « acheter des sacs à main à leur épouse ou des Playmobil pour leurs enfants ». « C’était la campagne des URPS, tout petit-bois était bon à brûler », analyse aujourd’hui Christian Saout.

Avec les ministres de la Santé, les relations furent inégales, très compliquées avec Roselyne Bachelot et son cabinet, presque amicales avec Xavier Bertrand et, jure-t-il, « les meilleures du monde » avec Marisol Touraine, « qui a parfois une vision idéologique étriquée mais qui ne se débrouille pas mal ».

Après 30 années de syndicalisme médical, Michel Chassang tourne une page. « Je n’ai pas eu le temps de penser à ma reconversion, assure-t-il. Je vais me consacrer pleinement à la présidence de l’UNAPL [union nationale des professions libérales] et à mes deux dernières années de mandat ». Il lui reste surtout la médecine. « L’exercice a changé, les relations avec les caisses se sont compliquées, les patients sont plus exigeants mais on fait un métier extraordinaire ».

Christophe Gattuso

Source : Le Quotidien du Médecin: 9309