« Coup de théâtre » aux urgences de Bicêtre : après la suspension de l'agrément de stage, des internes sommés de faire tourner le service ?

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Publié le 08/10/2021

Crédit photo : PHANIE

En juillet dernier, le service des urgences adultes du CHU du Kremlin-Bicêtre avait vu son agrément de stage retiré, après les signalements de dizaines d’internes faisant état de conditions de travail « déplorables ». À partir de novembre, aucun interne n'aurait donc pu être accueilli aux urgences. En théorie seulement, car cette semaine les internes ont appris avec stupeur que la direction du CHU comptait faire fi de cette interdiction, et accueillir de nouveaux des médecins en formation.

« C’est un coup de théâtre, créant un précédent inouï », s’indigne le Syndicat des internes des hôpitaux parisiens (SIHP). « Nous pensions candidement que le Kremlin-Bicêtre allait appliquer la réglementation en vigueur… Ils n’ont pas le droit d’accueillir des internes sans agrément, c’est inacceptable », s’indigne auprès du « Quotidien », Alexandre Brudon, vice-président du SIHP.

Postes vacants

Par crainte de ne plus pouvoir faire tourner le service des urgences faute d’internes, la direction a annoncé au détour d'une réunion qu'elle comptait faire appel aux internes « des étages » et aux FFI pour y assurer des gardes. « Ce n’est pas aux internes d’essuyer les plâtres du manque d’effectif, c’est complètement en train de déraper ! », poursuit Alexandre Brudon. Dans le service, un tiers des postes de médecins équivalent temps plein sont vacants. « Ce service ne remplit pas sa mission de formation », insiste-t-il.

« Une de moins sans avoir tué personne »

Après des mois d'alertes répétées, l’état des urgences de cet hôpital était devenu « inacceptable pour les internes comme pour les patients », rappelait le SIHP en juillet. Organisation anarchique, sous-effectif, manque de matériel adapté… Des dizaines de témoignages d’internes passés par le service – que nous avions pu consulter – faisaient état de défaillances chroniques.

En cause notamment : le manque d’encadrement des juniors. « À partir de minuit, les internes sont quasiment seuls pour assurer le circuit long, pour le reste de la nuit. Les internes deviennent chefs et les externes internes », racontait un médecin en formation. Conséquence : il n’est pas rare que les internes évaluent eux-mêmes les dossiers des externes, sans l’aval d’un senior. « Les décisions d’hospitalisation, de retour au domicile, d’imagerie, de bio, etc. sont donc laissées à des étudiants en formation », abondait le même interne.

Les étudiants faisaient également état d’une détresse psychologique, laissant planer le spectre de l’erreur médicale. « Je sors de chaque garde en me disant "une de moins sans avoir tué personne" mais en me demandant comment j'arriverai à faire la prochaine sans craquer », rapportait par exemple un autre interne.

Ce sentiment d’insécurité avait poussé les syndicats à alerter sur la situation du service à cinq reprises, depuis mars, avec en point d’orgue l’envoi d’un courrier à l'ARS le 2 juillet. Quelques jours plus tard, une visite d’audit avait été menée dans le service francilien, aboutissant le 13 juillet au retrait d’agrément.

Contentieux

Au total, huit FFI et plusieurs dizaines d’internes en stage au CHU pourraient être, de nouveau, mobilisés pour la permanence des soins dès novembre, « de manière totalement illégale, ce qui est une rupture de confiance historique », insiste Alexandre Brudon. Il se dit d’autant plus « choqué » que la direction « demande aux FFI, des médecins compétents et payés au lance-pierre, de combler les vides ». En colère, « de nombreux internes sont paniqués à l’idée de faire un stage au Kremlin-Bicêtre, de passer des gardes sans encadrement », relate encore le vice-président du SIHP. Les promesses estivales de recruter d’avantage d’encadrants, pour pallier les manques du service, n’ont pas été tenues.

« Les droits des internes sont bafoués, on est pantois… », juge Alexandre Brudon. Une concertation avec la direction est prévue la semaine prochaine, faute de quoi les syndicats se réservent le droit de saisir la justice. « Ce serait tout de même navrant que des internes traînent la direction de l’AP-HP devant le tribunal administratif », se désole Alexandre Brudon.


Source : lequotidiendumedecin.fr