Spécialité en souffrance

La psychiatrie publique en état d'urgence

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Publié le 22/09/2023
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Fermetures de lits, absence de perspective de réouverture, postes médicaux vacants : une enquête menée par la Fédération hospitalière de France (FHF) documente l'aggravation, depuis la crise sanitaire, de la situation des établissements publics ayant une activité de psychiatrie. Elle appelle à un plan d’urgence.
anifestation des soignants, Paris le 30 juin 2020.

anifestation des soignants, Paris le 30 juin 2020.
Crédit photo : Voisin/Phanie

La crise sanitaire a accentué le marasme dans lequel se trouve la psychiatrie publique, dont les fermetures structurelles de lits se sont accélérées. C'est l'enseignement majeur d'une enquête d'envergure* de la FHF menée en avril-mai 2023, à laquelle ont répondu une centaine d'établissements publics disposant d’une activité de psychiatrie.

« Depuis plusieurs années, tous les acteurs alertent sur la situation de la psychiatrie publique. Longtemps, l’enveloppe dédiée est restée stable, voire a diminué », pendant que les besoins, eux, explosaient, contextualise la Dr Sylvie Péron, psychiatre au centre hospitalier Henri-Laborit de Poitiers (Vienne), qui a piloté ce groupe de travail. 

58 % des hôpitaux contraints de fermer des lits après la crise

Premier enseignement général, des « difficultés » sont rapportées par 77 % des établissements en psychiatrie adulte, 73 % des établissements en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, 49 % de ceux exerçant dans les soins sans consentement et 41 % dans la psychiatrie de la personne âgée.

Mais, surtout, la dégradation de la situation s'illustre dans les tensions en matière de capacité d’hospitalisation. Avant la crise du Covid, seuls 20 % des établissements avaient fermé des lits (parmi lesquels 5 % ont fermé plus de 10 % de leurs capacités d’hospitalisation). Après la crise, c’est un effondrement : 58 % des établissements ont dû fermer des lits (parmi lesquels 25 % ont fermé plus de 10 % de leurs capacités). 

La vacance des postes (notamment de psychiatres) est un autre indice de déstabilisation. Dans 40 % des établissements, on recense entre 25 % et 75 % de postes médicaux vacants. De fait, 8 % d’entre eux déplorent la vacance de plus de la moitié de leurs postes médicaux. Seuls 2 % des établissements disposent de tous les psychiatres dont ils ont besoin. Dans ce contexte, plus de la moitié des hôpitaux publics n'ont pas de perspective de réouverture de lits psychiatriques.

Quant à la ressource paramédicale, elle fait aussi défaut : seuls 22 % des établissements n’ont pas de problème de recrutement. Mais 31 % d'entre eux ont plus de 10 % de postes vacants. Nombre d'hôpitaux ne parviennent plus à recruter du tout. Au final, un établissement sur quatre est en grande difficulté sur le plan RH.

Des délais qui s'allongent

Un autre signe marquant de cette asphyxie est l’allongement des délais d’attente pour obtenir une prise en charge en hospitalisation comme en ambulatoire (consultation), aussi bien pour les adultes que les enfants et les adolescents. La situation est particulièrement critique pour l'accès à l'ambulatoire des mineurs : 38 % des établissements affichent des délais de consultation de cinq mois à un an et 7 % des hôpitaux dépassent l'année d'attente.

Et concernant la psychiatrie adulte, « quand on est hospitalisé, c’est vraiment une urgence, 80 % des patients étant pris en charge en ambulatoire », explique Sylvie Péron. Si une semaine d’attente est considérée comme un délai correct, seuls 54 % des établissements peuvent répondre à cette exigence. Quant au délai moyen d’accès à l’ambulatoire, il est d’un à quatre mois pour plus de la moitié des structures.

Le pire concerne le temps d'attente pour accéder au secteur médico-social (en Ehpad, maisons d’accueil spécialisées ou foyers d’accueil médicalisés). Pour 59 % des établissements, il faut attendre plusieurs années de délai. « Ce n’est pas une situation récente, mais elle ne s’améliore absolument pas », déplore la Dr Péron.

Cartographie et attractivité

La FHF avance plusieurs solutions. Sur le plan organisationnel, elle préconise de désigner les agences régionales de santé (ARS) comme pilotes de l'organisation territoriale des soins de psychiatrie. Ce dispositif s'appuierait sur une nouvelle cartographie et la mobilisation collective des acteurs de terrain. L'effort immédiat devrait se concentrer sur les établissements en difficulté.

Côté attractivité, il conviendrait de renforcer la formation des infirmières en doublant le nombre d'heures en psychiatrie et en augmentant le nombre de stages. Une autre piste serait de renforcer la délégation de tâches aux paramédicaux dans l'évaluation des patients (afin de mieux réguler l'accès à l'ambulatoire), le médecin restant garant de la coordination de l'équipe pluridisciplinaire. L'allègement des charges administratives serait également bienvenu. 

*110 établissements se sont exprimés, soit 48 % des établissements publics autorisés en psychiatrie. 13 % des répondants sont des CHU, 42 % des hôpitaux spécialisés et 45 % des CH

Soins hospitaliers en psychiatrie : le privé lucratif progresse

L’offre de soins hospitaliers en psychiatrie a connu des « transformations marquantes » entre 2008 et 2019, estime une étude de la direction statistique du ministère de la Santé (Drees). Malgré une baisse de ses capacités d’accueil, le secteur public reste majoritaire, tandis que le secteur privé à but lucratif occupe une place croissante, tant en termes de capacités d'accueil que de volume d'activité.

Au total, le nombre d’entités juridiques déclarant une prise en charge hospitalière en psychiatrie a reculé (de 518 à 475). Les entités publiques constituent la moitié de l'offre hospitalière en psychiatrie, devant les cliniques privées à but lucratif (autour de 30 %) et à but non lucratif (20 %).

Mais la répartition des capacités d’accueil hospitalières par secteur a évolué. Pour les prises en charge à temps complet, la part des lits des établissements publics a diminué sur douze ans (- 5,1 points, à 63 %) tandis que la part du privé lucratif a augmenté (+ 6 points, à 24 %). La tendance est similaire pour la prise en charge à temps partiel (- 5,5 points de la part des places dans le public, + 5,3 points dans le privé lucratif). Au total, les capacités de prise en charge à temps complet ont diminué de 6,1 %, passant de 65 600 à 61 600 lits, soit un recul de 4 000 lits en douze ans.


Source : Le Quotidien du médecin