« Si on perd le seul service d’immunopathologie d’Île-de-France, on tombera dans un gouffre. Il faudra faire de nombreux kilomètres pour soigner certaines pathologies et on plongera dans la précarité des personnes frappées par la maladie. » Devant le parvis de l’hôpital parisien Saint-Louis (AP-HP), Anne-Pierre, porte-parole de six associations de patients (Ensemble leucémie, France moelle espoir, Laurette Fugain, Egmos, Aïda, Capucine) égrène à son tour les conséquences de la fermeture éventuelle du service d’immunopathologie de l’hôpital Saint-Louis, surnommé « coquelicot 4 » par les professionnels. Considéré comme un centre de référence pour l’hématologie et la prise en charge des cancers rares, son avenir serait en effet menacé « à très court terme », faute d’infirmiers de nuit.
Comme Anne-Pierre, environ 300 personnes, dont de nombreuses blouses blanches, se sont rassemblées ce mardi devant l’établissement pour « exiger une valorisation substantielle du métier de soignant, à la hauteur de la responsabilité exigée par la profession ». Tels sont les mots des professionnels de ce service en sursis, qui ont adressé le 14 avril une lettre ouverte aux candidats à la présidentielle. Selon eux, si « coquelicot 4 » est aujourd’hui en péril, c’est avant tout en raison de « la pénibilité du travail de nuit et ses répercussions sur la santé ne sont pas compensées par la prime de 9,63 euros brut par nuit », soit moins d‘un euro net de l’heure… Conséquence directe : des dizaines de postes seraient vacants sur le site de Saint-Louis, faute de candidatures.
Une équipe décimée
« Hôpital recherche infirmiers (es) pour poste de nuit 19 heures/7 heures/Prime : 1,07€/h brut/Embauche immédiate », peut-on lire sur la façade de l’entrée de l’hôpital. Des conditions de travail et de rémunération qui ont progressivement poussé vers le départ la quasi-totalité des infirmiers de nuit du service. Depuis septembre, l’équipe de nuit serait « décimée », selon « Le Monde » qui précise qu’il reste deux infirmiers, alors que douze seraient pourtant nécessaires. Pour effectuer le travail de nuit, l’établissement a donc appelé en renfort les soignants de l’équipe de jour, accompagnés par des gardes d’IDE volontaires et un nombre croissant d’intérimaires. Mais le tableau des gardes ne compterait plus d’inscrits à compter du 1er juin.
Infirmière de nuit depuis 23 ans à Saint-Louis, Sylvie a vu de ses propres yeux les conditions de travail de ses collègues se dégrader d’année en année. Selon elle, « le métier a perdu tout son sens », si bien que les pots de départs se sont multipliés ces derniers mois. Récemment, deux infirmiers de nuit en partance lui ont confié ne plus pouvoir poser leurs jours de repos et manquer de « considération financière ».
Dans l'attente de propositions concrètes
Il reste que, selon le Pr Éric Oksenhendler, chef du service d’immunopathologie, ni la direction de l’hôpital, ni l’AP-HP, ni le ministère de la Santé n’envisagent la fermeture du service. « Mais, in fine, c’est à moi et à mon équipe de savoir si le service doit rester ouvert », a expliqué le médecin, qui estime que toutes les conditions de sécurité et de qualité des soins doivent être réunies pour empêcher la fermeture. Selon lui, les soignants ont fait leur part du travail, notamment en plaidant la bonne parole dans les écoles pour faciliter le recrutement des infirmiers manquants. Il attend donc désormais des « propositions concrètes » des politiques, ce qui permettrait aux infirmiers « d’exercer dans des conditions dignes, avec des rémunérations tenant compte des compétences et des conditions de vie à Paris ».
« La fermeture de ce service d’excellence n’est pas envisagée », confirme dans un communiqué l’AP-HP, qui reconnaît que l’équipe de nuit connaît « d’importantes difficultés » ces derniers mois, « notamment à la suite de l’épidémie ». Nécessaires au bon fonctionnement de l’équipe de nuit, 11 IDE titulaires sur une équipe de 12 IDE seraient récemment partis pour des motifs d’ordre personnel (retraite, déménagements en régions, mobilités internes à l’hôpital Saint-Louis et au sein de l’AP-HP…), mais aussi en raison des conséquences du changement d’organisation du travail intervenu en avril 2021.
Une réponse jugée « hors-sol »
L’organisation du service a, en effet, évolué vers trois journées de 12 heures par semaine, contre cinq journées de 7 h 36 par semaine auparavant. « Si cette nouvelle organisation rend les postes de jour très attractifs en limitant les temps de transport pour les professionnels, elle doit être adaptée aux spécificités du travail de nuit », admet l’Assistance publique qui travaillerait sur la question.
Elle estime toutefois que la situation devrait s’améliorer sensiblement à l’automne 2022, « avec plusieurs recrutements d’ores et déjà assurés ». Selon la direction de l’AP-HP, la situation n’est « pas inéluctable », puisque 525 étudiants en soins infirmiers en stage dans les services de l’AP-HP auraient d’ores et déjà signé un contrat allocation études (CAE) pour travailler 18 mois au sein de l’institution.
Une réponse jugée « inadaptée, déconnectée et hors-sol » par la Dr Marion Malphettes. Cette hématologue de Saint-Louis rappelle que « cela fait un an que la direction compte sur les sorties d’école ». D’après elle, la solution du problème « dépasse largement notre direction », car il faudrait avant tout « donner à l’hôpital les moyens de soigner », mais aussi supprimer définitivement l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie (Ondam), pour que « le budget hospitalier s’adapte aux besoins de l’hôpital ». Elle considère enfin que « c’est dans les urnes » que l’avenir de son service « va se jouer », sous peine de voir également fermer d’autres services de l’hôpital (greffe de la moelle osseuse, leucémie aiguë…) « où on a déjà fermé des lits et où des infirmiers de nuit sont en partance ».
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