DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
« LA GUYANE mérite qu’on parle d’elle en termes élogieux ». Cette remarque d’Anne Laubies, secrétaire générale de la préfecture de Guyane, a donné le ton de ces journées. Après Schoelcher, en Martinique, qui a accueilli les premières journées en 2008, c’était au tour de Cayenne de réunir les acteurs de la veille sanitaire dans les départements français d’outre-mer (DFA). La représentante des services de l’État a signé le tout nouveau PSAGE-dengue de la Guyane avec les autres partenaires du dispositif : conseil général, agence régionale de santé (ARS), InVS, CIRe* Antilles-Guyane, institut Pasteur de la Guyane, associations des maires, les trois établissements hospitaliers du département (CH de Cayenne, CH de l’Ouest guyanais, centre médico-chirurgical de Kourou), la Direction interarmées des services de santé, l’Union régionale des médecins libéraux (aujourd’hui URPS), l’UFR Antilles-Guyane. « Il s’agit de se coordonner en respectant les champs d’intervention de chacun et avec la volonté d’aller dans la même direction », a souligné Philippe Damie, le directeur de l’ARS Guyane.
La Guyane n’a pas connu la même épidémie de dengue que la Martinique ou la Guadeloupe, avec 9 400 cas cliniquement évocateurs, dont 1 décès, mais, comme dans les deux autres départements, la situation évolue vers hyperendémicité. « On ne se contente pas de surveiller, on met en place des plans de réponse », a expliqué le directeur de l’ARS. Le PSAGE-dengue en est un exemple. Les DFA, et la Guyane en particulier, revendiquent le fait de devoir toujours « innover, inventer sans toujours respecter les canons traditionnels » pour pouvoir faire face à leurs différentes spécificités. « Nous n’arrêtons pas de gérer des situations de crise », a commenté Christian Ursulet, son homologue en Martinique, évoquant le cyclone Dean, la grippe H1N1, le séisme en Haïti ou encore la dengue. À chacune de ces occasions, les réponses et les organisations à mettre en place doivent être adaptées. Et désormais, « les populations sont attentives à la manière dont les pouvoirs publics gèrent les épidémies et les crises », a aussi fait remarquer Anne Laubies.
Confronter protocoles et données.
Les Journées de veille sanitaire étaient l’occasion d’échanger expériences et pratiques et d’identifier ce qui peut être transféré d’un territoire à l’autre. « Nous espérons aussi que nos expérimentations vont nourrir le débat national », a lancé Philippe Damie. Une délégation de l’île de la Réunion était invitée à participer à ces échanges et a présenté son expérience actuelle du chikungunya. Ce dernier reste une menace dans les DFA. Un PSAGE-chik est d’ailleurs en cours de finalisation et doit être signé par les 3 ARS. « Nous avions commencé à l’élaborer en 2006 à l’occasion de l’épidémie réunionnaise afin de détecter les cas importés et éviter qu’une chaîne de transmission ne s’installe. Des études entomologiques présentées lors des journées de 2008 ont montré que le moustique, Aedes aegypti, était hypercompétent. Du fait de la réémergence du chikungunya à la Réunion, nous avons relancé le programme, ce d’autant que l’OMS et l’organisation panaméricaine (OPS) ont organisé récemment au Pérou un atelier qui visait à construire un plan de lutte contre l’introduction du chikungunya. Nous y avons été invités avec tous les pays de la région. Cela nous a permis de finaliser le plan qui devrait être opérationnel dans les mois qui viennent », a expliqué au « Quotidien » le Dr Philippe Quénel, médecin et coordonnateur scientifique de la CIRE Antilles-Guyane.
Collaboration interrégionale, intégration dans la zone caribéenne et coopération bilatérale transfrontalière ont d’ailleurs été les grandes thématiques de ces journées. La pandémie grippale (H1N1)v est plus précoce aux Antilles qu’en métropole et une surveillance active des cas hospitalisés y a été mise en place, qui a aussi été l’occasion d’une collaboration avec l’OMS et de l’OPS. Le premier cas importé a été détecté début juin 2009 en Martinique et le premier cas autochtone début juillet à Saint-Martin. Au cours de l’épidémie (août et novembre 2009), 347 cas ont été hospitalisés dont 36 cas graves et 10 décès (8 en Guadeloupe). Toutefois, le taux d’hospitalisation a été similaire à celui observé lors d’une grippe saisonnière avec néanmoins une surreprésentation des moins de 30 ans (70 %), des femmes enceintes et des drépanocytaires (hospitalisation systématique de ces populations car connues comme à risque).
Au-delà des DFA, plusieurs îles et pays de la région ont aussi été touchés. Sollicité pour apporter un appui technique afin de mettre en place en Jamaïque les nouvelles recommandations de l’OMS et du CAREC (Caribbean Epidemiology Center), Jean-Louis Chappert de la Cire-Guadeloupe, témoigne de la richesse d’une expérience qui a permis « de confronter les protocoles et les modes de surveillance mais aussi de nous interroger sur l’interprétation de nos propres données ».
Penser le territoire épidémiologique.
En Guyane, qui partage 730 km de frontières avec le Brésil et que le seul Maroni sépare du Surinam, les échanges transfrontaliers sont une nécessité. Des délégations venues du Brésil et du Surinam ont d’ailleurs participé à ces journées. Comme l’a noté Clarice Matos Roll, représentante de l’Agence nationale de surveillance et de la santé, « le territoire épidémiologique va bien au-delà du territoire géographique ». Cette exigence, Philippe Damie l’a bien compris. « Il faut se libérer des approches nationales pour rentrer vraiment dans une logique de territoire et de santé incluant les pays frontières », a-t-il insisté. Plusieurs projets de collaboration sont ou vont être réalisés. Les professionnels de santé des 6 centres de santé de la rive française et des 8 centres de la rive surinamaise se sont rencontrés pendant deux ans afin d’élaborer un carnet de vaccination commun. « La population y est très mobile et utilise de façon indifférenciée les structures d’un côté à l’autre du fleuve », a expliqué le Dr Claire Grenier. Avec un carnet français et un carnet surinamien, des pratiques et des recommandations différentes, il était difficile de suivre un calendrier vaccinal cohérent et de mesurer la couverture vaccinale. « Nous nous sommes aperçu de certaines confusions, a expliqué la praticienne. Le P de pertussis en anglais (coqueluche en français) est fréquemment confondu avec en Guyane avec le P de polio. Parmi les différences, le BCG n’est pas administré au Surinam. »
D’autres projets sont menés avec le Brésil, de partage d’outils de veille et de données de surveillance ou de prévention et de prise en charge du VIH/sida dans des communes frontalières. « La coopération ne se décrète pas », a conclu le Dr Philippe Quénel. Se rencontrer, échanger, se faire confiance sont des préalables. Mais le directeur de la Cire-Guyane en est persuadé : « Ce sera l’enjeu des 5 prochaines années ». La prochaine création de la Caribean Public Health Agency, une agence de santé publique destinée aux 21 pays de la Caraïbe dont Haïti ou le Surinam, devrait changer la donne tout comme l’intérêt du ECDC (Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies) pour les pays et territoires d’outre mer « des pays qui au sens strict ne font pas partie de l’Europe mais dont les citoyens sont européens », a expliqué, sa représentante.
* Cellule de l’InVS en région.
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