Dispositif hospitalier inédit pour la prise en charge psychologique du personnel soignant

Publié le 14/12/2015
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Suite aux attentats du 13 novembre, l’AP-HP a mis en place un dispositif spécifique pour la prise en charge psychologique de son personnel soignant choqué par l’horreur exceptionnelle des événements. En plus des cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP), « dans les suites immédiates, dès le 14, il y a eu beaucoup d’initiatives locales avec des interventions de psychiatres et de psychologues dans les hôpitaux concernés », décrit le Pr Thierry Baubet, psychiatre et directeur de la CUMP de Seine-Saint-Denis.

Tous n’étaient pas formés à la psycho-traumatologie, mais « les services en retour se sont déclarés très satisfaits », rapporte le Pr Baubet. « Une proposition systématique d’offres pour le personnel a ensuite été mise en place », à la demande de Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP.

Entretien individuel

Le dispositif piloté était double, à visée individuelle et/ou collective. « D’une part, quiconque pouvait faire une demande d’entretien individuel à l’Hôtel-Dieu chez le Dr Nicolas Dantchev dans le cadre des CUMP, poursuit le Pr Baubet. D’autre part, un dispositif collectif était mis en place avec deux types d’intervention possibles, des groupes de paroles ou des débriefings psychologiques ». L’équipe du Pr Baubet a animé une dizaine de débriefings collectifs, composés de 5 à 10 personnes, dans les services hospitaliers. « Au niveau de l’équipe il n’y a pas d’intérêt à un 2e débriefing », estime le psychiatre. S’il y a besoin de davantage, les personnes sont orientées vers un entretien individuel. À la fin de la séance, est proposé à chaque participant d’être rappelé 8 à 15 jours plus tard par l’un des « débriefeurs » psychiatres.

« Nous avons eu de grosses surprises, raconte le Pr Baubet. Certains qui étaient très affectés en séance nous répondaient aller beaucoup mieux. À l’inverse, d’autres qui semblaient tenir le coup lors du débriefing, nous disaient de ne pas aller bien du tout. »

Car si aguerri que puisse être le personnel soignant, il n’est pas à l’abri d’être traumatisé par des scènes aussi violentes que celles des derniers attentats. « Ce qui est traumatisant, c’est le caractère exceptionnel auquel on n’est pas préparé, explique le Pr Thierry Baubet. C’est le fait d’être soudainement envahi par le chaos. Le SAMU a l’habitude de voir du sang et il n’est pas question de mettre en place une intervention psychologique après chaque sortie. Tout un tas de facteurs peuvent être protecteurs et on peut se préparer sur le trajet à ce que l’on va voir et ce que l’on va faire. Plusieurs soignants sur les lieux étaient là en civil. »

Imminence de la mort

Comme l’explique le Pr Louis Crocq, médecin des armées et fondateur des CUMP : « Les sauveteurs sont confrontés avec le réel et l’imminence de la mort, de façon brute sensorielle, sans avoir les moyens d’y mettre du sens. Un même événement ne déclenchera pas la même réponse chez les uns ou les autres, et chez une même personne, la réponse peut être différente en fonction de l’état de fatigue, du moment dans la journée, du soutien des camarades. Tous les sauveteurs en immersion sur le site peuvent être potentiellement traumatisés. » La présence de psychologues sur place permet de désamorcer et de déchoquer les victimes, dont les soignants. « C’est prendre 10 minutes de repos et parler de ce que l’on vient de vivre, décrit le Pr Crocq. Cela s’appelle le "defusing", une sorte de "débriefing immédiat". Puis 3 à 15 jours plus tard, un débriefing collectif permet aux gens qui ont vécu le même événement d’aller mieux. »

Prendre soin de soi

Le Pr Baubet regrette quant à lui que les médecins, en particulier urgentistes et smuristes, n’aient pas encore cette culture du prendre soin de soi. « Cela commence à venir, il y a des résistances, indique-t-il. C’était surtout le personnel paramédical qui était demandeur. Pourtant, cela aide tout le monde, qu’un médecin habituellement sûr de lui dise avoir lui aussi été choqué par certaines images. » Des soignants de réanimation, habitués à travailler avec des gens intubés, se sont dits profondément choqués « d’entendre des blessés graves échanger entre eux, de façon presque détachée, des récits d’horreur », indique-t-il.

À l’AP-HP, des groupes de paroles ont été proposés. « C’est assez différent du débriefing, explique le Pr Baubet. Tout le service est convié, les gens exposés et non exposés. La discussion n’est pas menée "en profondeur", il s’agit davantage d’aborder comment les événements ont affecté l’équipe dans son fonctionnement ». À l’inverse, les débriefings ont un but thérapeutique et vont « très au fond des choses » chez des sujets forcément exposés. « Il faudra évaluer ce modèle de dispositif particulier auprès du personnel qui a consulté », conclut le Pr Baubet.

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du Médecin: 9458