LE QUOTIDIEN - Les problèmes que vous dénoncez publiquement ne datent pas d’hier. Pourquoi choisir ce moment pour quitter votre chefferie de service ?
DR PIERRE TABOULET - Par burn out. Je suis épuisé, fatigué de me battre, depuis 19 ans, contre des moulins à vent. Je pense que je ne suis plus capable d’être objectif et efficace pour défendre le service. Au sein de l’hôpital public, les urgentistes sont plus mal traités que les autres. Chaque jour il faut se battre pour tout. Les locaux sont trop petits, les lits d’aval manquent, les infirmières malades ne sont pas remplacées, le nombre d’internes s’érode. La réorganisation des urgences annoncée par Marisol Touraine, c’est bien. Mais entre ce que disent les politiques et la traduction dans les faits, il s’écoule tellement de temps... Je n’aurais pas pu attendre.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’AP-HP ? Les réorganisations à l’œuvre vous paraissent-elles emprunter la bonne voie ?
Je suis bien incapable de répondre, car je ne sais pas ce qui se passe à l’échelle de l’AP-HP. C’est d’ailleurs ce que je reproche à l’institution, un manque total de dialogue avec le terrain. Le siège a-t-il une vision ? Je n’en sais rien. S’agissant des urgences, il y a des discussions à l’Hôtel-Dieu et à Tenon, mais le débat reste local. Le monde des urgences a évolué à toute vitesse, l’importance des urgences est sous estimée. On veut bien servir de courroie de transmission entre les généralistes et les spécialistes, mais il faut s’organiser pour cela. Quand je passe une heure à chercher un lit pour un malade, je ne travaille pas.
Faut-il à vos yeux maintenir ou fermer les urgences de l’Hôtel-Dieu ?
Je ne suis pas un expert du sujet. On en parle entre confrères, mais cela ne suffit pas. Il faudrait réunir les équipes de Saint-Antoine, Cochin, Saint-Louis et l’Hôtel-Dieu, avec pourquoi pas un médiateur du siège, et qu’on mette à plat les projets en nous disant exactement les options. Je suis incapable de faire des projections avec les éléments que j’ai. C’est vraiment ce qui rend fou, et c’est aussi pour ça que je pars. Le dialogue avec l’Assistance publique sur le dossier urgences n’existe pas. Il faut que les moyens donnés aux urgences soient sanctuarisés partout, dire que c’est un lieu prioritaire, un lieu de refuge, de sécurité pour tous, qui a plus ou moins remplacé les consultations de soins primaires.
Précisément, n’est-on pas allé trop loin dans l’hospitalocentrisme ?
Mais que propose-t-on à la place ? Les gens affluent aux urgences avec des problèmes de plus en plus complexes. Renforcer le réseau de soins primaires, c’est un discours récurrent, mais personne n’y est arrivé. Je ne connais pas un pays où la fréquentation des urgences a baissé. Avec une consultation à 23 euros, une insécurité croissante et une démographie de médecins généralistes qui s’effondre, il n’y a pas d’autre choix que de renforcer les urgences, quitte à faire venir des généralistes dans notre giron, ou à créer des liens très forts entre les urgentistes et les dispensaires de santé. Améliorer le réseau de ville ne suffira pas. Tous les discours qui prétendent le contraire sont incantatoires.
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